"Rentrée contrôlée" d'un satellite : l'Europe veut nettoyer l'espace derrière elle

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"Rentrée contrôlée" d'un satellite : l'Europe veut nettoyer l'espace derrière elle

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le satellite AEOLUS (vue d'artiste)
le satellite AEOLUS (vue d'artiste)
- ESA

Soucieuse de l'encombrement de l'espace qui va grandissant, l'Agence Spatiale Européenne organise à partir de ce lundi la rentrée contrôlée sur Terre du satellite AOELUS. L'engin a servi à mesurer par laser les vents de l'atmosphère pendant cinq ans. Il doit retomber dans l'Océan Atlantique.

Après avoir fourni pendant cinq ans de précieuses données sur les régimes de vent autour de la Terre, le satellite Aeolus s'apprête à finir sa mission en disparaissant. Du moins est-ce l'objectif affiché de l'Agence Spatiale Européenne qui l'a financé. "L'homme, de la même manière qu'il a pollué la terre et l'océan, a pollué l'espace" concède Luisa Innocenti, cheffe du bureau Clean Space à l'ESA. "Pas tout l'espace, mais les orbites déclarées protégées, ce qu'on appelle les orbites basses de 0 à 2000 km et l'orbite géostationnaire [36000 km d'altitude, NDLR]. Nous, scientifiques, sommes alertés depuis un moment sur le sujet".

Dans le sillage du CNES, l'agence française qui a érigé un code de conduite en 2008, l'ESA réfléchit aux moyens de limiter les débris. Tout satellite ayant achevé sa mission est considéré comme tel s'il n'est pas désorbité. Il vient s'ajouter aux 30 000 objets de plus de 10 cm qui errent dans l'espace et qui rendent de plus en plus hasardeux le trafic spatial, puisque le risque de collision augmente.

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La chute d'AEOLUS, un test de mise hors service vertueuse

Désormais, de plus en plus d'acteurs du spatial cherchent à respecter les règles et à se montrer vertueux. Le dire est plus facile que le faire tant il est compliqué d'aller nettoyer la poubelle spatiale. Plusieurs pistes sont explorées, et la rentrée contrôlée est la moins compliquée des méthodes, serait-on tenté de dire. C'est dans ce cadre qu'est programmée celle d'AEOLUS cette semaine.

Le satellite de 1366 kilos, opéré depuis l'altitude de 400 km est en train de descendre naturellement et lentement vers nous, attiré par la gravité terrestre. Les ingénieurs vont réaliser trois poussées avec les moteurs afin d'atteindre différents paliers et de procéder à la dernière pichenette dont la précision est capitale. L'objectif final est de réduire au maximum la zone d'impact : elle est prévue dans l'Océan Atlantique, sur "une très longue étendue d'océan où il n'y a rien ou presque rien, pas d'île, peu de trafic maritime, et où le risque est très faible", selon Benjamin Bastida Virgili, ingénieur spécialiste des débris spatiaux au centre ESA de Darmstadt en Allemagne. Cela ne devrait durer qu'une poignée d'heures, et seuls 20% du satellite ne seront pas désintégrés sous l'effet thermique des frottements de l'atmosphère.

Dès ce lundi, une première poussée devrait amener Aeolus de 280 à 250 km d'altitude. Après quelques jours de pause, Isabel Rojo, spécialiste des manœuvres spatiales à l'ESA, annonce une deuxième série de correction de l'orbite pour arriver à 120 km d'altitude vendredi, jour de la dernière pichenette qui marquera la dernière phase de la croisière : la traversée des couches de l'atmosphère. C'est à partir de 80 km que le satellite commencera à se désintégrer.

Quand un engin rentre dans l'atmosphère (vue d'artiste), ici l'ATV
Quand un engin rentre dans l'atmosphère (vue d'artiste), ici l'ATV
- ESA/ D. DUCROS 2007

"Prédire où va tomber un caillou après 15 ricochets"

Piloté depuis le centre technique de Darmstadt, ces opérations n'ont jamais été tentées par l'agence européenne. Elles comportent une part d'inconnues en raison de la forte activité solaire du moment. Par son impact sur l'électronique du satellite, elle peut modifier le déroulement des manœuvres. Par ailleurs, explique Dominique Gillieron, responsable instrument optique chez "Airbus defense and Space", "à raison de 7km/seconde, le satellite va très vite et si vous faites une erreur d'une minute sur votre prédiction d'entrée dans l'atmosphère, vous avez déjà bougé de 500 km" détaille t-il.

L'incertitude du point d'impact reste donc assez grande, en particulier suivant l'axe Nord-Sud. Il compare la situation à une personne qui ferait des ricochets au bord d'un lac avec une pierre : "Notre problème c'est qu'il faut prédire l'endroit exact où va tomber le caillou après 15 ricochets. C'est le même niveau de difficulté qu'on demande à nos experts aujourd'hui car le satellite va un peu rebondir en frottant l'atmosphère. La manière dont il arrive, s'il tourne ou pas, va faire qu'il va rester peut-être 20 secondes de plus dans l'atmosphère au lieu de rentrer directement. Bonne chance pour faire une prédiction exacte !", conclut-il.

Si sur le papier, tous les ingrédients d'un scenario catastrophe hollywoodien sont réunis, il y a peu de chances que cette désorbitation se termine mal. Même s'ils devaient renoncer au plan prévu, Aeolus pourrait naturellement retomber sur Terre. Ce serait plus lent, avec un "plouf" ou un "bang" vers la mi-août.

Vers un "cargo poubelle spatial" ?

Si des règles ont été édictées pour contrôler au maximum ces rentrées quand elles ne sont pas assistées, l'Agence spatiale européenne réfléchit aux situations délicates ou complexes. Celles générées par des satellites qui, au moment de leur construction, n'ont pas pris en compte cette désorbitation contrôlée afin de libérer la place. Une panne prématurée des moteurs, l'interruption des communications avec le sol... Il faut anticiper l'avenir. "L'ESA est en train de préparer des standards pour arriver au zéro débris" insiste Luisa Innocenti. "Aujourd'hui, 25 ans après sa fin de vie, un satellite doit être sorti de sa position. Il s'agit de réduire ce délai à cinq ans."

Être capable d'aller chercher un satellite devenu passif est autrement plus délicat. D'où les réflexions sur des technologies nouvelles. Envoyer un satellite pour en désorbiter un autre n'a guère d'intérêt, mais inventer le "cargo poubelle spatial" n'est pas non plus aisé. Il faudrait penser à ajouter une poignée pour la capture, voire des capteurs pour savoir où il se trouve précisément. Suivant les orbites, un satellite peut rester plus ou moins longtemps dans l'espace. Or certaines positions sont très convoitées et là encore, nécessitent de rester disponibles. Pour cela, plus qu'avant, un ménage s'impose, qui reste encore à inventer.

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