La nouvelle extrême droite roumaine s’oppose à l’approche « soviétique » de l’UE et soutient le modèle Meloni

Le président du parti d’extrême droite Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), George Simion. [EPA-EFE/ROBERT GHEMENT]

L’extrême droite roumaine, en pleine ascension, souhaite profiter des élections européennes de l’année prochaine pour réformer les institutions de l’UE et promouvoir une coalition européenne de droite sur la base du modèle politique de la Première ministre italienne Giorgia Meloni. C’est ce qu’a confié le président du parti d’extrême droite Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), George Simion, à EURACTIV lors d’un entretien exclusif.

Ce parti d’extrême droite a fait ses débuts politiques en récoltant 9 % des voix lors des élections législatives de 2020. Trois ans plus tard, les sondages indiquent qu’il pourrait atteindre 20 % des voix, un score qui pourrait lui permettre de finir à la deuxième place.

La Roumanie tiendra des élections législatives et présidentielles l’année prochaine. M. Simion n’a pas caché qu’il souhaitait faire partie du prochain gouvernement, surtout après le récent scandale des « asiles de l’horreur », qui a mis à mal le gouvernement dirigé par les socialistes.

Roumanie : des abus inhumains commis dans des centres de soins se transforment en scandale politique

En Roumanie, un réseau criminel bien établi, composé de fonctionnaires et de particuliers, tenait des centres de soins destinés à des personnes âgées et handicapées comparables à des « camps nazis », où les personnes étaient laissées à l’abandon, sans nourriture ni soins.

« Nous voulons gouverner la Roumanie à partir de la fin de l’année 2024. Nous le ferons soit en remportant la majorité, soit en formant une coalition si le futur président décide que nous ferons partie d’un gouvernement de coalition », a-t-il indiqué à EURACTIV à Bucarest.

L’assurance de M. Simion ne donne pas l’impression, largement répandue en Roumanie, que l’AUR est un parti extrémiste et qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour le pays.

Ion M. Ioniță, rédacteur en chef et journaliste au quotidien Adevarul, a expliqué à EURACTIV que cette dichotomie pouvait facilement s’expliquer.

D’après lui, la « société roumaine et les médias sont très polarisés actuellement. Le […] camp européen [se montre] très critique à son égard [M. Simion]. De l’autre côté, les nationalistes et la presse nationaliste en Roumanie lui sont probablement très favorables ».

Selon lui, « cette expression politique du nationalisme roumain qu’est l’AUR constitue une menace pour la démocratie, pour les valeurs européennes et pour la qualité d’État membre de l’UE de la Roumanie, car l’AUR se montre très critique à l’égard de l’Union européenne et des valeurs occidentales et de nombreuses personnes nourrissent des inquiétudes à ce sujet ».

L’AUR affirme défendre les valeurs familiales traditionnelles et s’oppose au mariage pour la communauté LGBTQI+ ainsi qu’à « l’idéologie du genre ».

Ses quatre piliers sont la foi, la liberté, la famille et la nation. Le parti soutient également l’idée controversée de la réunification de la Roumanie et de la Moldavie, le tout dans le cadre d’une idéologie chrétienne-nationaliste.

L’AUR pourrait revendiquer entre 8 et 11 eurodéputés après les élections européennes de juin 2024. En présentant ses 44 candidats lors d’un lancement de campagne le 21 juillet, l’AUR souhaite voir une transformation des institutions de l’UE.

« Giorgia Meloni représente un modèle politique pour nous », a déclaré M. Simion, précisant que la Première ministre italienne suit les intérêts du peuple italien « comme nous voulons suivre les intérêts du peuple roumain ».

M. Simion a qualifié l’AUR de parti « euro-réaliste » qui souhaite faire partie d’une Union réformée qui redonne la souveraineté aux nations européennes, s’alignant ainsi sur le groupe des Conservateurs et Réformistes européens au Parlement européen.

« Nous serions le dernier pays à quitter l’Union européenne », a affirmé M. Simion, avant d’ajouter qu’un « Romexit » constituerait un « suicide pur et simple ».

Un Parlement européen plus à droite ?

Il a déclaré qu’il s’attendait à ce que le nouveau Parlement européen se tourne davantage vers la droite l’année prochaine.

« [Ce changement] aura lieu, mais il ne détruira pas l’Europe, il la rendra peut-être plus saine d’un point de vue économique, car les choses vont dans une mauvaise direction », estime-t-il.

M. Simion a critiqué Bruxelles pour sa « bureaucratie », comparant la manière dont elle impose la législation aux États membres à l’époque où la Roumanie était sous domination soviétique et où « Moscou dictait sa loi ».

Selon lui, la Commission européenne devrait avoir moins de pouvoir, tandis que le Parlement, la seule institution dont les membres sont directement élus, devrait posséder le pouvoir d’initiative législative.

« Notre vision de l’avenir de l’Europe se fonde sur une Europe meilleure, car nous ne pensons pas que les bureaucrates non élus à Bruxelles disposent du même programme que les citoyens », a-t-il déclaré, soulignant le fossé croissant entre les priorités de Bruxelles et celles de la Roumanie, l’un des trois pays les plus pauvres de l’Union européenne.

« J’entends la Commission parler d’identité de genre, de changement climatique, du Pacte vert [Green Deal]. Or, en Roumanie, nous n’avons pas d’hôpitaux, de routes, de système éducatif qui fonctionne, et ce sont là nos priorités », a-t-il soutenu.

M. Simion a critiqué l’ingérence de la Commission dans les politiques nationales, citant en exemple les commentaires de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, avant les élections italiennes de février 2023.

Il a toutefois convenu que l’AUR suivrait l’exemple du récent rapprochement de Giorgia Meloni avec la Commission, Mme von der Leyen et d’autres partis politiques européens après son arrivée au pouvoir.

« Nous souhaitons entretenir de bonnes relations avec la Commission et toutes les autres institutions à Bruxelles. En 2023, Ursula von der Leyen et Giorgia Meloni sont les meilleures amies du monde », a souligné M. Simion.

« Nous ne voulons pas être l’ennemi des souverainistes, des Verts, de la Gauche, etc., parce qu’ils représentent une partie de la voix du peuple et qu’il est difficile de ne pas avoir la coopération à l’esprit », a-t-il ajouté.

Cependant, l’AUR s’en prend au Fidesz de Viktor Orbán et estime que le Premier ministre hongrois a des « tendances à la dictature ».

« M. Orbán est très attaché à la politique de [Vladimir] Poutine [qui consiste à] modifier les frontières. Nous pensons que c’est anachronique ; nous ne voulons pas changer les frontières, nous voulons coopérer et abattre les frontières », a expliqué M. Simion.

L’eurodéputé roumain Daniel Buda (Parti national libéral roumain affilié au Parti populaire européen) n’est pas convaincu et a déclaré à EURACTIV qu’« un gouvernement AUR pour la Roumanie et l’UE reviendrait à un deuxième Orbán qui remettrait toujours en question les valeurs européennes, ou pire, à un David Cameron, l’artisan du référendum sur le Brexit. La Roumanie pourrait facilement se retrouver dans la même situation ».

L’eurodéputé a ajouté que l’AUR est « anti-système », que le parti a des convictions anti-vaccins et qu’il rend l’UE responsable de la pandémie de Covid-19, de l’inflation et de la hausse des prix de l’énergie.

Les chefs d’État roumain et hongrois témoignent de leur amitié

Le Premier ministre roumain Marcel Ciolacu et le Premier ministre hongrois Viktor Orbán se sont rencontrés en Roumanie mercredi (19 juillet), bien que cette rencontre n’ait pas été inscrite à l’ordre du jour du Premier ministre roumain et qu’il n’y ait pas eu d’annonce officielle.

Les bons amis « patriotes »

L’AUR a établi des liens avec d’autres formations d’extrême droite et de droite à travers l’Europe.

Lors de la présentation officielle des candidats de l’AUR au Parlement européen le 21 juillet dernier, le parti avait invité un large éventail d’eurodéputés de divers partis politiques « amis », notamment des Frères d’Italie (Conservateurs et Réformistes européens) et de la Ligue (Identité et Démocratie), des Démocrates de Suède (CRE), du Parti populaire conservateur d’Estonie (ID) et du PiS polonais (CRE).

« Je vous attends à Bruxelles, nous avons besoin de vous », avait déclaré l’eurodéputé italien Carlo Fidanza, membre du parti Frères d’Italie de Giorgia Meloni, lors du rassemblement, exhortant les patriotes à avoir une position commune face à la gauche.

De même, Charlie Weimers, des Démocrates de Suède, a indiqué que « l’ironie, c’est que ceux de Bruxelles se disent pro-européens, mais non, ils sont pro-UE, nous sommes pro-européens ».

S’exprimant sur les amis de l’AUR en Europe, l’eurodéputé roumain Dragoș Pîslaru (Renew Europe), a indiqué que le parti fait partie d’une vague anti-européenne qui a commencé par s’enraciner dans l’illibéralisme, mais qui a progressé vers un discours et une idéologie extrémistes.

« L’AUR n’est pas seule en Europe, mais bénéficie du soutien de toutes ces forces politiques qui agissent de la même manière dans l’UE », a-t-il expliqué, précisant qu’elles exploitent les peurs des gens au moyen de « mensonges et d’illusions ».

« Ils font partie de cette vague anti-européenne […] la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, les prix élevés de l’énergie — tout cela laisse des marques sur les citoyens, qui sont exploitées par les pratiques populistes », a déclaré M. Pîslaru.

Tobias Gerhard Schminke a contribué à la rédaction de cet article.

Roumanie : un régime spécial de retraites et des exonérations fiscales pèsent sur le budget

En Roumanie, les dépenses ont augmenté en raison d’un régime spécial de retraites trop généreux pour certains fonctionnaires, tandis que leurs revenus ont été exemptés d’un certain nombre de taxes, causant une explosion du déficit public roumain. Cette situation a poussé l’UE a se pencher sur la question.

[Édité par Anne-Sophie Gayet]

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