"J'ai senti sa main dans mon entrejambe" : une technicienne accuse à son tour Gérard Depardieu

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"J'ai senti sa main dans mon entrejambe" : une technicienne accuse à son tour Gérard Depardieu

Gérard Depardieu fait l'objet de nombreuses accusations de violences sexistes et sexuelles
Gérard Depardieu fait l'objet de nombreuses accusations de violences sexistes et sexuelles
© AFP - ANNE-CHRISTINE POUJOULAT

TÉMOIGNAGE FRANCE INTER - Une seizième femme, technicienne, accuse à son tour Gérard Depardieu d'agression sexuelle sur un tournage récent. Contactés, les avocats de l'acteur n'ont pas souhaité répondre.

Anna* a une trentaine d'années lorsqu'elle rencontre Gérard Depardieu pour la première fois. Elle est embauchée dans l'équipe technique d'un gros tournage. C'est une belle opportunité, elle accepte. Ses proches qui connaissent le monde du cinéma et ses collègues la mettent en garde : l'acteur est connu pour être graveleux, avoir des comportements déplacés. Une fois sur le plateau, la technicienne se fait toute petite : "J'essayais de ne pas me faire repérer par Gérard Depardieu, on était en plein été, mais je cachais mes formes féminines", se souvient-elle aujourd'hui, au micro de France Inter.

"Les gens ont fait semblant de ne pas voir"

Le comédien fixe d'abord son attention sur une assistante mise en scène, raconte Anna : "Avec elle, c'était terrible, il la prenait sur ses genoux, il la touchait, la tripotait sur le tournage, il faisait des blagues. C'est d'abord elle qui a été l'objet de ses convoitises." Une autre assistante suscite ensuite l'intérêt de Gérard Depardieu, poursuit-elle. "Une personne qui a du caractère et de la bouteille, mais elle n'y a pas échappé. Un jour, il l'a plaquée contre un mur sur le plateau, en poussant ses grognements à la Depardieu, elle ne pouvait pas se dégager. Tout le monde l'a vu, il ne s'en cache pas, personne n'a réagi. Les gens regardent sans regarder, ont fait semblant de ne pas voir."

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Gérard Depardieu finit par la remarquer. Pendant une semaine, un décor unique et fixe amène Anna à être très proche de l'acteur, se souvient-elle. "Là a commencé tout un jeu. Il faisait rire le plateau en me prenant à partie. Il a commencé à dire 'je vais t'emmener manger, je vais t’enivrer, on va passer une bonne soirée', toujours avec des grognements. Il me mettait au centre de l'attention pendant que j'étais en train de travailler, j'ai compris que j'étais dans sa ligne de mire".

"Pétrifiée"

Une semaine passe. L'acteur persiste, raconte Anna. Un soir, la jeune femme est en charge d'une mise au point caméra très délicate. Il fait nuit, c'est en extérieur. Entre acteurs et techniciens, une vingtaine de personnes l'attendent, elle est au centre de l'attention sur le plateau. "J'ai tourné le dos à Gérard Depardieu pour dire à l'assistante mise en scène que j'étais prête. J'ai senti sa grande main, sa grosse main dans mon entrejambe, me choper l'entrejambe avec volonté, en laissant échapper un gros rire graveleux. J'étais liquéfiée, pétrifiée. C'est ce moment-là qu'il a choisi pour m'humilier."

Anna rejoint sa caméra sans se retourner. Personne ne réagit. "Il était accompagné d'un acteur qui a gloussé. Mon chef, je pense qu'il a tout vu, il a vu ma tête, il m'a dit "reste concentrée"". Après ça, Anna rentre dans son appartement de location : "J'ai pleuré tout le trajet et à part à mes assistantes, je n'en ai parlé à personne et personne ne m'en a reparlé."

Anna est la seizième femme à accuser Gérard Depardieu de violences sexistes et sexuelles. T reize femmes ont témoigné dans Mediapart en avril 2023. Une nouvelle accusatrice, Léa*, s'est confiée au micro de France Inter en juillet. À ce jour, l'acteur est mis en examen suite à une plainte pour viols et agression sexuelle déposée par l'actrice Charlotte Arnould en 2018.

Anna, elle, a choisi de ne pas porter plainte : "Je minimisais beaucoup ce qui m'est arrivé. Jusqu'à maintenant, je n'ai pas considéré que c'était assez grave pour aller porter plainte. Je me dis aussi 'comment ma parole peut être considérée puisque que tout le monde l'a vu et tout le monde se tait'. Qui témoignera ?"

"Comme c'est Depardieu, tout le monde trouve ça normal"

Le silence qui entoure le comédien, Lionel*, membre de l'équipe technique sur le film "Vidocq" (2000), a choisi aujourd'hui de le dénoncer. Il est le premier homme à témoigner, sur France Inter, dans cette affaire Depardieu. Il a vingt ans quand il met le pied sur son premier plateau. En face, Gérard Depardieu tient le rôle principal, il le voit tous les jours. Lionel décrit l'acteur comme une "espèce de personnage de Gargantua totalement hypnotisant".

"Chaque fois que la maquilleuse s'approchait de lui, il lui touchait le sexe et les seins en rigolant. Comme c'est Depardieu, tout le monde trouve ça normal. Le reste du temps, c'est des blagues, une logorrhée pornographique à base de mots comme 'chatte'." À ce moment-là, le technicien ne dit rien, partagé entre la peur de ne pas pouvoir continuer à travailler dans le cinéma et "une attitude collective qui laisse passer beaucoup de choses". "Vu d'aujourd'hui, ça parait choquant, mais à l'époque, c'est loin d'une prise de conscience pour moi", admet-il.

"Pour que d'autres hommes parlent"

Aujourd'hui, il choisit de parler pour se "racheter une conscience et pour que d'autres hommes parlent". Pour lui, "c'est toujours plus facile une fois que d'autres l'ont fait. S'il n'y avait pas eu de révélations féminines, il ne se serait jamais rien passé, c'est clair."

Si Anna a trouvé le courage de témoigner c'est aussi suite à une certaine libération de la parole, dit-elle : "Je veux que d'autres témoignent. Moi je me suis réveillée parce qu'il y a eu d'autres témoignages. J'ai presque quarante ans, j'estime que maintenant c'est de ma responsabilité de parler pour éviter ça aux nouvelles générations. Cette omerta va finir par tomber. Un jour, il va arrêter de faire peur à tout le monde."

Contactés, les avocats de Gérard Depardieu n'ont pas souhaité répondre. L'acteur a toujours démenti toutes les accusations pouvant relever de la loi pénale.

"Les gens ont peur d'être 'blacklistés"

Jean-Loup Chirol est le secrétaire général du syndicat national des techniciens et travailleurs de la Production Cinématographique et de Télévision (SNTPCT). Pour lui, le nom de Depardieu fait encore peur : "Les gens viennent nous voir, ils ont peur d'être blacklistés, ils se disent 'ma carrière va être finie si je parle et qu'est-ce que pourrait le syndicat face à des gens qui ont autant de pouvoir, qui pèsent financièrement' alors ils s'enferment, ils hésitent à venir nous voir." Aujourd'hui il appelle les techniciens à témoigner : "Il y a des procédures, on peut agir mais il faut qu'on soit saisis. A partir de là, on peut demander à la production de faire quelque chose."

Du côté de la CGT, c'est Laurent Blois qui est le délégué général représentant les techniciens et les autres professionnels de l'audiovisuel. Il reste très prudent en ce qui concerne l'affaire Depardieu : "Il y avait de l'excès à tout cacher, il y a peut-être de l'excès à tout dénoncer aujourd'hui". Il est embarrassé pour qualifier le comportement du comédien : "J'entendais que c'était un plaisantin, qu'il mettait le bordel sur les tournages, qu'il déconcentrait son ou sa partenaire. En tous cas les gens ne l'ont pas qualifié de harcèlement sexuel. Tant que les choses ne sont pas avérées, on est dans un équilibre de protection de la victime et de l'agresseur présumés." L'un et l'autre l'assurent : aucun technicien ne serait venu témoigner au sujet de Gérard Depardieu.

*Prénom d'emprunt

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