Controverse scientifique : une étude sur la presque extinction de nos ancêtres agite les spécialistes

Crâne d'Homo Erectus, espèce éteinte du genre Homo ayant vécu il y a 900 000 ans. ©Getty - DEA / G. CIGOLINI
Crâne d'Homo Erectus, espèce éteinte du genre Homo ayant vécu il y a 900 000 ans. ©Getty - DEA / G. CIGOLINI
Crâne d'Homo Erectus, espèce éteinte du genre Homo ayant vécu il y a 900 000 ans. ©Getty - DEA / G. CIGOLINI
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Selon une étude parue dans Science, les populations ancêtres de notre espèce se seraient drastiquement réduites il y a 900 000 ans jusqu'à atteindre 1 280 individus seulement. Une chute spectaculaire qui fait parler dans la communauté scientifique. Pourquoi cette étude appelle-t-elle à la prudence ?

C’est un article tout juste paru dans la revue Science et ce que montrent les auteurs plus précisément, c’est que la population de nos ancêtres aurait diminué jusqu’à près de 1 300 individus adultes, et ce pendant près de 100 000 ans. Ce qui est extrêmement faible pour une population — on parle de goulot ou goulet d’étranglement. Cette chute vertigineuse coïncide avec une période climatique très froide.

Des questions sur la méthode

Un déclin si important de la population est seulement possible ? Oui, c'est possible. Ce qui pose question en fait, c'est la méthode. Pour remonter à la taille des populations, on se sert de l’ADN moderne. On va regarder la distribution des mutations dans le génome. Pour faire simple : les mutations anciennes sont retrouvées dans beaucoup d'individus, contrairement aux mutations récentes. Et avec ça, on peut reconstruire les tailles des populations à différentes époques, mais seulement jusqu’à quelques centaines de milliers d’années, après ça, l’information est trop rare dans l’ADN pour qu’on puisse la lire correctement. Alors, les auteurs ont développé ici un modèle, et c’est une des limites de l’étude.

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Explications avec Thierry Grange, généticien et directeur de recherche CNRS à l’Institut Jacques Monod et à l'Université Paris Cité : “Les modèles sont toujours des simplifications… La réalité est toujours plus complexe que le modèle qu'on fait. Donc il va y avoir un traitement mathématique sophistiqué qui peut donner des résultats correspondant à de l'information qui est contenue véritablement dans les séquences ou créer artificiellement de l'information à partir de cette information et produire autre chose. Et ça, c'est toujours le risque, c'est-à-dire, on ne sait pas exactement si ce qu'on a, c'est toujours la réalité ou si c'est une transformation de la réalité qui est imputée par le modèle mathématique parce qu'il y a un moment où il n'est pas adapté à la réalité. La question se pose clairement dans le cadre du modèle qu'ils ont proposé."

La Science, CQFD
58 min

Une autre critique porte sur les données chiffrées : la date exacte et la taille de la population atteinte. Et cela ne découle pas directement du modèle, mais des paramètres initiaux possiblement un peu arbitraires. Je m’explique, par exemple, pour l’âge à laquelle les individus vont se reproduire, ici, les auteurs ont pris 25 ans, mais est-ce que ce chiffre est stable et constant sur 900 000 ans ? Rien n’est moins sûr.

Des critiques qui façonnent le savoir scientifique

Mais à côté de ces questions d’ordre méthodologiques, d’analyse et d’interprétation, la contestation de résultats scientifiques est-elle spécifique à cette discipline ?

Thierry Grange : "Ça existe dans tous les domaines scientifiques. Donc en fait, quand on est à la frange comme ça sur des questions qui sont considérées importantes par une large partie de la communauté scientifique, on a souvent des papiers qui essayent de dépasser les limites des connaissances et qui se trompent. Mais comme on dépasse les limites des connaissances, on ne s'en rend pas compte tout de suite. Et en fait, après, il y a des discussions, on en peut finir. Il y a à la fois le conservatisme intellectuel des gens qui ne veulent pas remettre en question tout leur modèle sur un truc qui est nouveau et dont on n'est pas sûr, et puis il y a le fait qu'on ne sait pas exactement quand on a dépassé une limite de la connaissance, si on l'a fait correctement ou pas. Donc le processus prend un peu de temps pour se corriger, pour se réajuster."

C’est un peu la démarche scientifique même — parce qu’elles touchent à nos origines, ces articles et leurs controverses sont peut-être un poil plus médiatisés — et encore, un papier de physique sur la supraconduction a semé la zizanie cet été sur l’ex-Twitter.

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Finalement, l'article en soi est-il mauvais ? Non. Est-ce qu’il aurait dû être publié en l’état, au vu des incohérences ? Ce n’est pas certain. Est-ce qu’il sera rétracté ? On ne le sait pas. Si énorme erreur il y a, peut-être, nous le verrons dans les prochaines semaines.

Mais cela amène un peu de complexité sur ce qu’est la recherche et comment elle se fait. Et ça me permet de rappeler que ce n’est jamais un unique papier qui fait la connaissance, mais un ensemble d’articles, un faisceau de preuves dans des domaines adjacents, mais distincts qui façonnent et construisent le savoir scientifique.

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