Belgique

"On se fait emmerder tout le temps": l’impatience des femmes sans-abri avant l’ouverture d’un nouveau centre de jour 100% féminin

Femmes sans abri : souffler dans un lieu qui leur est réservé

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Par Sophie Mergen

C’est une réalité cachée, mais omniprésente dans les rues de Bruxelles. Le sans-abrisme atteint des records. En quinze ans, le nombre de personnes sans domicile fixe a quadruplé dans la capitale. On en dénombre plus de 7000, selon les derniers chiffres de Bruss’help. Une problématique qui a longtemps été considérée comme quasiment exclusivement masculine. Mais de plus en plus, dans les métros, les ruelles, les parkings, les femmes sortent de l’invisibilité. À Bruxelles, au moins une personne sans-abri sur cinq est une femme.

On est des proies faciles

Pour répondre aux besoins spécifiques et croissants de ces femmes livrées à la violence de la rue, un tout nouveau centre de jour a été inauguré ce mercredi 13 septembre au Parvis de Saint-Gilles. Dénommé Circé, ce centre, lancé par l’ASBL L’Ilôt, est entièrement conçu par et pour des femmes. Une bulle d’oxygène où elles pourront trouver repas, douches, aide sociale et psychologique. Destiné à accueillir une soixantaine de personnes par jour, le lieu devrait ouvrir ses portes la semaine du 18 septembre.

© RTBF

Une ouverture attendue avec impatience par Moesha. "Je suis émue. C’est vraiment un endroit où on pourra se sentir en sécurité. Je n’aime pas ce mot mais c’est la réalité".

Depuis près d’un an, suite à un divorce, cette journaliste de formation est sans-abri. Chaque jour, c’est le même rituel : la boule au ventre, elle appelle le Samusocial en espérant qu’il y ait une place pour y passer la nuit.

Quant à ses journées, Moesha les passe depuis des mois au centre de jour mixte de l’Ilôt. Sourire aux lèvres, elle donne le change, aide à la préparation des repas, mais au fond d’elle, l’angoisse est permanente.

Ce n’est pas parce que je n’ai pas de domicile que je n’ai pas de dignité

"Les hommes font des propositions indécentes, te disent que tu as de beaux seins, te mettent la main au cul. Ils te mettent tout de suite dans une case, comme si parce que tu étais une femme sans-abri, tu étais facile. Ils te proposent de dormir chez eux. Bref, des propositions qu’ils ne feraient pas en temps normal. C’est comme si parce qu’on n’avait pas de domicile, on n’avait pas de dignité, pas de valeur", raconte-t-elle.

© Tous droits réservés

Un constat observé au quotidien par Philip De Buck, directeur du centre de jour mixte de l’Ilôt :"Quand une femme vient dans un centre de jour où il y a des hommes, c’est 'struggle for life', c’est horrible […] Le parcours d’une femme entre l’entrée et l’accueil où aller chercher un sandwich, c’est 20 mètres de cauchemar".

C’est 20 mètres de cauchemar

"On doit très souvent intervenir" poursuit Philip De Buck. "C’est ce qui explique que beaucoup de femmes viennent une fois et puis ne viennent plus".

C’est intenable. On se sent sale.

"Ça ne s’arrête pas", reprend Moesha. "Ces hommes disent 'tu es ma femme, tu dois sortir avec moi'. Ils imposent. Ils pensent qu’ils ont le droit d’être mal élevés puisqu’on est sans-abri […] On se sent agressée, et on se sent sale".

Ces comportements ont des conséquences importantes : "Au début, j’étais en pleurs tout le temps. Tu n’as même pas le temps d’analyser ta propre situation, comment tu en es arrivée là. Tout est embrouillé dans ta tête et puis ça, ça se rajoute. C’est invivable".

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"Etre une femme à la rue, c’est extrêmement difficile" résume-t-elle. "C’est être sur le qui-vive tout le temps".

Il est essentiel de pouvoir amener ces femmes dans un endroit où elles se sentiront en sécurité

C’est face à ce constat implacable que l’ASBL l’Ilôt a voulu réagir. "Ce qui les a amenées en rue, c’est souvent les violences économiques, physiques, conjugales. Et quand elles se retrouvent à la rue, elles revivent des violences parfois encore beaucoup plus importantes, plus dures" explique Ariane Dierickx, directrice générale de l’Ilôt.

"Par exemple, des violences sexuelles. Le viol est une réalité pour les femmes sans-abri. Il est essentiel de pouvoir amener ces femmes dans un endroit où elles se sentiront en sécurité, où elles ne devront pas être attentives en permanence à la main qui se balade, où elles sauront qu’il y a une écoute capable de prendre en compte leurs besoins et leur parcours de vie de femme".

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Alors, la mixité est-elle impossible dans le secteur du sans-abrisme ? Pas forcément.

"La mixité, on peut l’envisager quand on a retrouvé un peu de force, d’estime de soi […] mais durant le temps de crise, il est essentiel que les femmes puissent se reconstruire entre elles, créer des liens de solidarité" affirme Ariane Dierickx.

Une reconstruction qui sera désormais possible au cœur de Bruxelles. Ce centre 100% féminin vient compléter l’offre déjà existante, telle que les abris de nuit pour femmes ou les maisons d’accueil destinées à des séjours plus longs.

En 2022, plus de 1200 femmes sans-abri ont été recensées dans la capitale. Sans compter toutes celles qui survivent hors des radars.

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