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Des cas de «drogue du zombie» ont-ils été observés à Rouen ?

Plusieurs vidéos partagées par le «média» Cerfia laissent croire à un usage de fentanyl en Normandie, cette drogue qui fait des ravages aux Etats-Unis. L’une de ces vidéos montre en réalité des personnes porteuses d’un handicap.
par Anaïs Condomines
publié le 12 septembre 2023 à 15h17

Le retour de la «drogue du zombie». Lundi 11 septembre, le compte d’actualité «Cerfia» a partagé sur le réseau social Twitter (renommé X) deux vidéos, vues plus de trois millions de fois, montrant censément des personnes sous emprise de stupéfiants dans l’espace public. Dans ce post désormais supprimé, on voit notamment une femme, suivie d’un jeune homme, marcher avec difficulté en agitant les bras et la tête puis deux hommes, cette fois dans une rame de transport, peinant à se tenir debout. L’un d’eux finira pas tomber lourdement au sol.

En légende, Cerfia précise, assurant se fonder sur les dires de témoins : «Plusieurs cas s’apparentant à la “drogue du zombie” ont été recensés à Rouen ces derniers jours.» Le tout, agrémenté d’un émoji «zombie».

Sédatif pour chevaux

Ces images ont bien été filmées dans l’agglomération rouennaise. On reconnaît ainsi, sur la première vidéo (publiée une première fois sur Twitter le 24 août) un magasin d’opticiens situé rue Sadi-Carnot, dans la commune de Darnétal. La seconde est captée dans le métro de Rouen, dont l’intérieur des rames est reconnaissable à ses fauteuils rouges et à ses barres mauves. L’auteur de ces images, contacté par CheckNews, confirme que la scène s’est déroulée samedi soir aux alentours de 21 heures dans le métro. «Tout ce qu’il y a dans la vidéo s’est passé entre les stations Saint-Sever et Théâtre-des-arts», indique-t-il.

L’appellation «drogue du zombie», jugée stigmatisante par les acteurs de la prévention des addictions, est régulièrement utilisée, de manière indifférenciée, à propos de différentes drogues. En 2013, par exemple, elle désignait déjà dans la presse la desomorphine, ou drogue du «Krocodil».

Ici, l’expression fait référence au produit qui cause des ravages actuellement aux Etats-Unis, dans le cadre de la crise des opioïdes : à savoir le fentanyl, un analgésique de synthèse, souvent coupé désormais à la xylazine, un sédatif pour chevaux. En l’occurrence, la xylazine, aussi appelée «tranq», a écopé du surnom de «drogue du zombie» en raison des lésions cutanées qu’elle peut entraîner chez ses consommateurs.

«Cette vidéo est complètement diffamatoire»

Pourtant, dans le cas précis de ces images, les témoins, autorités locales et observatoires contactés par nos soins réfutent toute observation de fentanyl et/ou de xylazine sur le terrain.

Ainsi, plusieurs commerçants de Darnétal, situés dans la rue où ont été tournées les images de la femme et du jeune homme, nous indiquent qu’ils connaissent bien ces deux personnes. Et que, porteuses d’un handicap, elles n’ont aucun lien avec une éventuelle consommation de drogue. «Ce sont des habitants de la rue, une mère et son fils, qui sont handicapés. Je suis installé depuis quatre ans dans le quartier, je les vois passer quotidiennement. Le jeune homme est déjà venu se renseigner dans ma boutique», précise un barbier à CheckNews. Du côté de la pharmacie, le gérant confirme : «Ils sont bien connus chez nous, ils viennent régulièrement à la pharmacie. Ce sont des personnes malades qui n’ont rien à voir avec une consommation de drogue. Cette vidéo est complètement diffamatoire !» Tous déplorent que ces personnes soient ainsi affichées dans une vidéo virale.

Concernant la seconde vidéo tournée dans le métro de Rouen, l’auteur des images tient à nous préciser : «La personne de droite tenait une bouteille d’alcool complètement vide deux minutes avant que je filme.» D’après lui, ces deux hommes étaient donc ivres.

«Aucune saisie enregistrée»

Du côté des autorités judiciaires, le procureur de Rouen, Frédéric Teillet, confirme à CheckNews «qu’à ce jour, aucun produit de ce type n’a été saisi par les services d’enquête» et qu’il n’a «pas connaissance de procédures où l’usage d’une telle drogue aurait été constaté».

Des observations corroborées par la préfecture de Seine-Maritime, qui nous indique : «Aucune saisie de xylazine/fentanyl n’a été enregistrée par les services de police, ni aucun signalement n’a été identifié par le réseau régional de pharmacovigilance. A ce stade, aucun lien ne peut être établi entre les images publiées sur les réseaux sociaux, récupérées par le “média” CerfiaFR, et les affirmations de ce dernier.»

Rumeur de présence de fentanyl

Dans l’associatif aussi, on ne note pas encore de présence de Fentanyl à Rouen et dans les environs, nous indique le directeur de l’association médico-sociale locale La Boussole, «même si nous sommes vigilants». Et d’un point de vue plus global, l’Observatoire français des drogues et tendances addictives confirme également à CheckNews ne pas avoir «reçu d’alerte sanitaire sur la présence de xylazine sur le territoire national. Elle n’est pas, à ce stade, observée sur le territoire national à travers le système d’identification national des toxiques et des substances que nous pilotons».

Ce n’est pas la première fois que des vidéos virales partagées relaient la rumeur de présence de fentanyl en France. En juin, CheckNews se penchait sur de nombreuses vidéos, supposément tournées à Toulouse, à Paris ou à Lille, montrant des personnes errer dans un état second. Là encore, associatifs et autorités avaient indiqué ne pas avoir relevé de cas de consommation d’un tel produit. Et de fait, ces images étaient principalement tournées à Philadelphie, aux Etats-Unis, où le sujet relève bien d’une situation d’urgence sanitaire.

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