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Témoignages (1/3)

Mort de Mahsa Amini : "Cette foule muette a pris vie et s’est mise à hurler"

Professeur au lycée de Saqqez, la ville kurde dont Mahsa Amini était originaire en Iran, Diako Alavi a assisté à la naissance des premières protestations après la mort de la jeune Iranienne, dont il connaissait la famille. Il accompagnait ses étudiants dans les manifestations avant d’être lui-même arrêté par les autorités iraniennes.

Diako Alavi, ancien professeur d'anglais à Saqqez en Iran, après avoir fui son pays fin janvier 2023.
Diako Alavi, ancien professeur d'anglais à Saqqez en Iran, après avoir fui son pays fin janvier 2023. © Diako Alavi
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"J’étais professeur d’anglais au lycée à Saqqez [dans la région du Kurdistan iranien], c’est là que vivait Mahsa Amini. Là-bas, on l’appelle Jina [son prénom kurde]. Je connais bien sa famille. Saqqez, c’est une petite ville de 50 000 habitants et son père est retraité de la 'CAF' locale, il est respecté de tous. Quand j’ai appris que sa fille était dans le coma après avoir reçu des coups à la tête par la police des mœurs, je me suis immédiatement inquiété. La nouvelle a commencé à circuler en ville et l’émotion s’est répandue. Ses parents nous ont demandé de prier pour elle.

J’ai appris que Jina nous avait quittés le vendredi 16 septembre. On attendait tous le retour de son corps pour les funérailles dès le lendemain. Plusieurs groupes semblaient s’être dispersés aux quatre coins de Saqqez pour veiller à ce que son corps soit bien rendu à la famille.

Je me suis rendu au cimetière à 8 h 30. Il y avait tellement de monde. Des milliers et des milliers de personnes était prostrées dans le silence le plus total. On ne les entendait même pas respirer. C’était saisissant et effrayant tout à la fois. Là, un homme s’est mis à crier : 'Elle aurait pu être ma fille. Elle aurait pu être ta sœur. Jusqu’à quand allons-nous supporter cela ?' Cette foule muette a alors pris vie et s’est mise à hurler. En quelques minutes ont émergé des slogans appelant à la mort d’Ali Khamenei [Guide suprême]. Des agents de sécurité présents sur place ont commencé à filmer la scène depuis le toit de la mosquée du cimetière.

"Ne pleure pas, maman, nous vengerons la mort de ton enfant"

Ça a provoqué la colère d’une partie de la foule, qui s’en est prise à eux. Un instant, j’ai cru qu’ils allaient les tuer, mais ils ont juste confisqué leurs téléphones et sont retournés en direction de la tombe de Jina. Les gens continuaient à crier en chœur, en kurde et en persan. Ils s’adressaient à la mère de Jina : 'Ne pleure pas, maman, nous vengerons la mort de ton enfant.'

Le père de Jina a pris un microphone pour calmer la foule. Je crois que, la veille, ils avaient été menacés de représailles sur leur unique fils si les obsèques tournaient à la manifestation. C’est alors que les milliers de personnes lui ont répondu d’une seule voix : 'N’aies pas peur ! N’aies pas peur !' C’est aussi là que des femmes se sont mises à faire voler leurs foulards noirs en l’air. [Certaines de ces femmes ont, elles aussi, été obligées de fuir le pays après avoir été identifiées.]

"J’ai vu deux jeunes se prendre une balle devant moi"

Les gens ont décidé de se rendre devant le poste de gouvernorat pour manifester leur colère. Nous étions tellement nombreux que nous avons mis des heures à rejoindre le lieu. Les forces de l’ordre avaient anticipé et avaient quadrillé la place. Elles ont commencé à tirer avec les canons à eau après une seule sommation. Puis elles ont tiré au fusil à pompe… J’ai vu deux jeunes se prendre une balle devant moi. Ils étaient blessés aux yeux.

Dès le lendemain, ma ville avait pris des allures de zone de guerre. Jour après jour, les forces de sécurité, des Gardiens de la révolution et des forces spéciales dépêchées, ont afflué dans les rues.

J’ai manifesté chaque jour. Au départ, je ne voulais pas, car je suis un peu gros et je ne cours pas assez vite. Mais les parents de mes élèves se sont mis à me téléphoner pour me supplier de les aider à ramener leurs enfants à la maison. Ils me disaient : 'Ils vous écoutent, professeur, dites-leur que c’est dangereux dehors, dites-leur de rentrer.'

J’y suis allé pour veiller sur eux et j’ai découvert des jeunes au courage hors norme, prêts à en découdre. Cette génération est très différente de la mienne. À force de vivre dans une société qui ne leur offre qu’un avenir fait de noirceur et de mensonges, ils n’ont plus rien à perdre. Au moins, le mouvement 'Femme, vie, liberté' leur a donné un peu d’espoir. Ils se sont saisis de l’occasion comme pour garder la tête hors de l’eau. J’ai eu le sentiment qu’ils n’obéissaient plus à rien, ni à personne.

Je me souviens d’une jeune fille dont j’ai lavé le visage ensanglanté. Elle avait pris une balle. Je l’ai suppliée de rentrer chez elle. Je lui disais qu’elle avait eu sa dose de blessure du jour, qu’elle ne devait pas rester là, qu’elle reviendrait une autre fois. Mais elle n’entendait rien. Elle est repartie aussitôt en première ligne des affrontements.

"Mon interrogateur m’a accusé d’être un mauvais professeur"

J’ai été arrêté quelques mois plus tard pour mes activités au sein du syndicat des enseignants et pour avoir participé aux manifestations. J’ai passé deux semaines en prison, du 2 au 15 janvier 2023. Mon interrogateur m’a accusé d’être un mauvais professeur et d’avoir embrigadé mes élèves. Depuis toujours, en classe, je discute de tout avec eux. L’anglais est l’occasion d’apprendre les mots 'freedom', 'equality', 'apartheid'… Je tenais un café littéraire là-bas et c’était aussi un lieu d’échange culturel entre professeurs.

À ma sortie de prison, j’étais en 'liberté provisoire'. Le jour-même, j’ai décidé de partir sans dire au revoir. J’ai passé trois mois en Turquie avant de rejoindre la France.

Souvent, je regrette. Mes élèves me manquent, je suis très inquiet pour eux et pour leur avenir.

J’ai honte de tous les proches que j’ai laissés sans leur faire mes adieux. Je me dis que j’aurais dû rester. Je risquais jusqu’à huit ans d’emprisonnement. Je pensais que je ne le supporterais pas. Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que j’en aurais été capable et que, de toute façon, cette République islamique d’Iran ne tiendra pas huit années de plus. Car chaque jour, elle se vide un peu plus de l’intérieur.

Elle a perdu toute assise idéologique, tout soutien, dans toutes les strates de la société : chez les professeurs, les ouvriers, les retraités, les médecins, les femmes – et même chez les plus religieuses d’entre elles… Elle a même perdu le combat du voile qui était l’un de ses piliers. Ce régime n’est plus qu’un squelette vide. Aussi, je ne sais pas quand je retournerai en Iran, mais ce que je sais, c’est que j'y retournerai un jour."

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