Spoliations nazies : à la recherche des œuvres perdues : épisode • 4/4 du podcast SOS patrimoine en détresse

Un soldat américain examine une statue en or massif, faisant partie du butin privé d'Hermann Goering, près de Schönau am Königssee, le 25 mai 1945 ©Getty - History/Universal Images Group
Un soldat américain examine une statue en or massif, faisant partie du butin privé d'Hermann Goering, près de Schönau am Königssee, le 25 mai 1945 ©Getty - History/Universal Images Group
Un soldat américain examine une statue en or massif, faisant partie du butin privé d'Hermann Goering, près de Schönau am Königssee, le 25 mai 1945 ©Getty - History/Universal Images Group
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Dès l’arrivée des troupes de l'Allemagne nazie dans les différents pays conquis ou occupés, les spoliations d'œuvres d’art sont mises en place de manière systématique. Aujourd’hui encore, le long processus de restitution et d'indemnisation des victimes est loin d’être achevé…

Avec
  • Corinne Hershkovitch Avocate, spécialiste des questions de restitution artistique
  • David Zivie Chef de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 au Ministère de la Culture
  • Ines Rotermund-Reynard Historienne de l'art, chargée de recherches en provenance au musée d’Orsay

La spoliation désigne l’action de déposséder par la violence ou par la ruse, c’est ce qu’indique le Trésor de la langue française, formidable dictionnaire en ligne. Ainsi, il y a spoliation d’héritage, de lettres, de bijoux. Quant au verbe spolier, le Dictionnaire précise son utilisation : on dit "spolier quelqu’un de quelque chose", comme par exemple "spolier un orphelin de son héritage", "spolier une famille juive de ses œuvres". Dès lors, ce sont bien les gens qui sont spoliés et non les œuvres. Toutefois, le sens du mot a évolué, comme l’explique le ministère de la Culture, en charge de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 : "Si le terme "spolié" s’applique initialement au propriétaire dépossédé, il qualifie désormais, dans l’usage courant, les biens eux-mêmes, dont la victime de spoliation a été dépossédée". L’évolution de la signification d’un mot est lourd de sens. Qu'en est-il du mot restitution ?

La dimension idéologique des spoliations nazies

La spoliation systématique par les nazis des biens culturels des populations juives répond à plusieurs impératifs. Il s’agit tout à la fois d’organiser la mort économique de ces populations, de financer l’économie de guerre allemande, mais aussi de lutter contre un “art dégénéré” conspué par l’idéologie du Troisième Reich. "C’est une politique systématique, extrêmement organisée, qui naît en Allemagne dès les lois de Nuremberg en 1935", explique Corinne Hershkovitch, avocate et spécialiste des questions de restitution artistique. "À partir du moment où les Juifs sont des hommes et des femmes qui sont exclus de la communauté, il est tout à fait normal que les biens soient considérés comme des biens abandonnés, des biens libres et donc tout à fait appropriables."

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Des pillages à visées économiques

Plus prosaïquement, les hauts dignitaires nazis cherchent à s’enrichir personnellement et sont souvent désireux d’agrandir leurs propres collections. Partout en Europe, des livres, des tableaux, des sculptures, des meubles et objets d’art sont saisis. "Les Allemands recherchent un certain nombre d'œuvres selon le goût nazi. Les œuvres classiques, les peintures des écoles du Nord, hollandaises, les écoles allemandes, flamandes. Certains se servent pour leur propre collection personnelle - comme Goering ou Ribbentrop - dans des conditions souvent douteuses", souligne David Zivie, chef de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 au Ministère de la Culture. Pour la France seulement, ce sont 100 000 œuvres qui auraient fait l’objet de spoliations.

Le marché de l’art parisien est florissant durant ces années d’Occupation. Son “aryanisation” bouleverse les flux de circulation traditionnels des œuvres d’art et les marchands, galeristes, commissaires priseurs et conservateurs se rendent largement complices de la spoliation et du recel de ces biens culturels volés aux populations juives.

À la recherche des œuvres, le long travail de restitution

Au lendemain de la guerre, une vaste entreprise de restitution se met en place. Ce sont 60 000 œuvres spoliées qui sont retrouvées en Allemagne, et 45 000 d’entre elles qui sont restituées aux familles et aux ayants droits. Cependant la question des restitutions passe ensuite au second plan, et fait l’objet d’un relatif désintérêt jusqu’aux années 1990. Il faut attendre 1997 pour qu’à l’initiative du Premier ministre Alain Juppé soit créée la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, dite Mission Mattéoli, du nom de son président Jean Mattéoli. Si la question occupe le devant de la scène politique en France, elle devient aussi un sujet international : la conférence de Washington, en 1998, réunit quarante-quatre pays et donne lieu à une déclaration des principes applicables eu égard au processus de restitutions des biens et œuvres spoliés.

Aujourd’hui, ce travail de longue haleine se poursuit, notamment sous l’impulsion de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, affiliée au Ministère de la Culture et créée en 2019. De nouvelles méthodes se mettent en place, notamment grâce au développement d’une toute jeune discipline : la recherche de provenance, qui vise à reconstituer le parcours d'œuvres en croisant différents types de sources et d’approches. "L’idée est de retracer les provenances, d'essayer de comprendre à qui appartenaient les œuvres et quel transfert de propriété a eu lieu. On dépouille les catalogues de vente, les fonds d'archives pour comprendre à quel moment l'œuvre était dans la main de tel marchand ou tel collectionneur. Tout ceci permet de reconstituer une forme de chronologie de l'œuvre d’art", souligne Ines Rotermund-Reynard, historienne de l'art, chargée de recherches en provenance au musée d’Orsay.

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Pour aller plus loin

  • Corinne Hershkovitch, La restitution des œuvres d'art. Solutions et impasses, Hazan, 2011

Références sonores

  • Extrait du film La Femme au tableau de Simon Curtis, 2015
  • Archive INA du Journal des Actualités Françaises, RTF, 1er juin 1945
  • Archive INA de Rose Valland au sujet du sauvetage des collections du Jeu de Paume à Paris, ORTF, 1964
  • Archive INA de Jean Mattéoli au sujet de la responsabilité de Pétain pour le pillage des œuvres juives, Question directe, France Inter, 8 avril 2000
  • Archive INA d'Arno Klarsfeld et Françoise Cachin, directrice des musées de France, Antenne 2, 1997
  • Musique d'Amadeus Mozart, Sonate en ré majeur n°9, interprété par Wanda Landowska

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