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Témoignages (3/3)

Répression en Iran : "Ils ont ôté mes vêtements et ils m’ont coupé les cheveux"

Originaire du Baloutchistan, Elaheh Ejbari, 22 ans, a été enlevée dans la rue et séquestrée pendant quatre jours après avoir manifesté à Téhéran. Elle a subi des violences sexuelles et des humiliations, notamment en raison de son appartenance ethnique. 

Elaleh Ejbari, lors de son passage en Turquie, après avoir fui l'Iran  fin 2022.
Elaleh Ejbari, lors de son passage en Turquie, après avoir fui l'Iran fin 2022. © Elaheh Ejbari
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"Mahsa Amini avait mon âge, 22 ans. Comme moi, elle venait d’une ville de province. Moi, j’ai grandi au Baloutchistan [dans le sud, à la frontière avec le Pakistan]. Sa mort m’a mise très en colère. Je me suis identifiée à elle et très vite, j’ai eu besoin de manifester. 

La vie pour moi était déjà très pesante à Téhéran, mais je m’y sentais plus en sécurité qu’au Baloutchistan. Savoir que ce genre de choses [Mahsa Amini est morte après son interpellation par la police des mœurs, NDLR] arrivait dans la capitale aussi, ça a été terrible pour moi. 

J’ai été mariée à l’âge de 16 ans. Ça n’était pas un mariage consenti. Je suis partie dès que j’ai pu. Sans que mon mari ne le sache, j’ai préparé le concours de l’université de Téhéran et j’ai été prise en filière psychologie. Je me suis enfuie pour la capitale. 

Il a essayé de me récupérer de force, mais avec l’aide d’avocats rencontrés à l’université, nous avons réussi à lui faire renoncer et j’ai fini par obtenir le divorce au bout de trois ans. 

"J’étais tellement hors de moi que j’ai jeté mon voile" 

Je pensais, en venant vivre à Téhéran, que les femmes seraient considérées comme des égales ici, que la vie serait plus simple. J’avais mis tous mes malheurs sur le dos de ma famille, qui est très traditionnelle. Mais j’ai découvert à mes dépens que c’est le système qui veut que notre société soit comme ça. Que les ordres viennent d’en haut. 

Après la mort de Mahsa Amini et les premières protestations, la ville était quadrillée par les forces de sécurité. On voyait partout des hommes en armes, surtout aux sorties des bouches de métro. Je ne portais plus de voile, je ne l’avais même plus sur les épaules, je l’avais rangé dans le sac. Une fois, un agent m’a fait une remarque et je me suis retrouvée à l’insulter. On était tellement en colère que même si ces hommes armés étaient là, on continuait à crier 'Femme, vie, liberté'. 

Devant moi, lors d’une des manifestations dans le centre de Téhéran, ils ont tiré du gaz lacrymogène. J’ai tourné la tête et j’ai aperçu une fille de mon âge se faire tabasser au sol. Mon sang n’a fait qu’un tour, je n’ai pas réfléchi, je me suis jetée entre elle et l’agent de police. Il m’a assommée d’un grand coup. Trois garçons ont débarqué de je ne sais où. Ils se sont fait passer pour mes frères, ils ont négocié avec le policier, et ils m’ont extraite de là. ‘Faites-moi disparaitre cette pute’, a dit l’agent. 

Les garçons m’ont entraînée jusqu’à une petite rue, ils ont allumé une cigarette pour dissiper les effets du gaz lacrymogène qui m’avait brûlé les yeux, et ils m’ont donné à boire. C’est la première fois que des hommes ont veillé sur moi. J’ai senti qu’ils avaient le cœur aussi lourd que moi.  

Au Baloutchistan, les femmes ne mangent même pas dans la même pièce que les hommes. J’ai passé tellement de repas, seule, dans la cuisine. J’étais privée de téléphone, privée de chaînes satellites. Dans ma famille, j’ai toujours été une honte : ils avaient honte que j’étudie, honte que je divorce. 

"Ils touchaient mon corps et ils me disaient : 'Tu aimes ça. Tu dis ‘Femme, vie, liberté’"

À Téhéran, je gagnais de l’argent en donnant des cours de langues à des plus jeunes, et il m’arrivait de vendre des épices dans la rue, sur la place de la Révolution. 

Le 5 décembre, je venais de donner un cours dans le quartier de Tehranpars [dans l'est de la capitale, NDLR]. Des hommes m’ont jetée dans une camionnette. Aujourd’hui encore, je ne sais pas qui ils étaient exactement. Ils m’ont enfermée dans un lieu que je n’ai pas su identifier. Ils ont ôté mes vêtements et ils m’ont coupé les cheveux. Ils se moquaient de la couleur [mate] de ma peau. Ils m’insultaient parce que je suis Baloutche [minorité ethnique discriminée par le pouvoir iranien, NDLR].  

Ils ne comprenaient pas comment une fille baloutche avait réussi à s’enfuir et à vivre par ses propres moyens dans la capitale. Ils me suspectaient de recevoir des financements de groupes d’opposants. 

Ils m’ont accusée d’être une représentante de la cause baloutche à Téhéran et de représenter l’imam Molavi Abdolhamid [leader sunnite des Baloutches, NDLR]. Je leur ai ri au nez, en répondant que je ne savais pas que les Baloutches avaient tant progressé, au point de choisir une femme pour faire entendre leur voix. C’est là qu’ils m’ont tapée. Ils touchaient mon corps et ils me disaient : ‘Tu aimes ça. Tu dis ‘Femme, vie, liberté’, tu veux te retrouver toute nue, c’est ça ton slogan ? Alors c’est que tu aimes ça. Tu devrais nous remercier’. Ils me répétaient qu’ils ne me tueraient pas mais qu’ils me renverraient au Baloutchistan pour que mes oncles s’en chargent. 

"Je n'ai pas pu reprendre une vie normale"

Au bout de quatre jours, ils m’ont jetée dans une rue. Entre temps, mes amies s’étaient inquiétées pour moi, elles avaient fait le tour des morgues et avaient alerté les médias. 

J’ai tenté de reprendre une vie normale mais je n’ai pas pu. Mes élèves ont annulé leurs cours les uns après les autres. Le propriétaire de mon appartement m’a demandé de quitter les lieux. J’ignore s’ils ont subi des pressions ou s’ils ont juste pris peur. J’ai rassemblé l’argent que j’avais et je suis partie pour l’aéroport, où j’ai pris un vol pour la Turquie, sans savoir si j’allais réussir à passer. 

Avec le recul, je sais que les hommes qui m’ont arrêtée savent qui je suis. J’avais déjà passé deux mois à la prison d’Evin en 2020 pour "propagande contre le régime". Je suis considérée comme une militante des droits des femmes parce que je lutte pour interdire les mariages d’enfants en Iran [l’âge minimum légal y est fixé à 13 ans pour les filles], et aussi en raison de mes posts sur Instagram. 

Heureusement, j’ai pu aller en Turquie et maintenant je vis dans un pays européen. À l’étranger, j’ai rencontré des personnes qui me comprennent mieux. Car même à Téhéran, les autres filles ne savaient pas ce que j’avais enduré. 

Je vais voir une psychologue et ça m’aide beaucoup. Aujourd’hui encore, quand je vois une camionnette ralentir, même ici, j’ai peur." 

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