Un parchemin de plus de 20 mètres expose les "confessions" sous la torture des Templiers

Publicité

Un parchemin de plus de 20 mètres expose les "confessions" sous la torture des Templiers

Par
Rouleau d’interrogatoire des templiers à Paris. Archives nationales, J//413/A, n° 18.
Rouleau d’interrogatoire des templiers à Paris. Archives nationales, J//413/A, n° 18.
- Archives nationales de France

Un parchemin daté de l'an 1307, long d'une vingtaine de mètres, est exposé depuis le 13 septembre aux Archives nationales, à Paris. Les aveux de 138 Templiers, obtenus sous la torture, y sont consignés. Ils avaient marqué la fin de l’ordre du Temple et de leur grand maître, Jacques de Molay.

Pape Clément ! Chevalier Guillaume ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître devant le tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment. Maudits ! Maudits ! Soyez tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races !” Le 19 mars 1314, Jacques de Molay, dernier grand maître de l’ordre du Temple, invective ses bourreaux depuis son bûcher. C’est en tout cas de cette façon que le romancier Maurice Druon imagine la scène, dans sa célèbre saga, Les Rois maudits.

La condamnation de Jacques de Molay fait suite à ses aveux, très probablement obtenus sous la torture, en l’an 1307. Consignées sur un long rouleau, avec celles de 137 autres Templiers, ces “confessions” sont aujourd’hui présentées au musée des Archives nationales, à Paris, à l’occasion de l’exposition Le procès des Templiers. 1307 - Le rouleau d'interrogatoire. Exposition lancée ce 13 septembre 2023 et qui se terminera le 15 janvier prochain.

Publicité

"C'est un document qui est écrit dans un style indirect et qui nous rapporte précisément les réponses que livrent les Templiers aux questions des inquisiteurs", témoigne Jean-François Moufflet, responsable du fonds des archives de la royauté au département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime des Archives nationales :

Jean-François Moufflet : "Le lecteur a presque l'impression de se retrouver dans la salle d'interrogatoire"

26 sec

La fin des Templiers

Ce rouleau de parchemin s'inscrit au cœur de la chute de l'ordre du Temple, véritable ordre religieux et militaire. Ce document est un témoignage exceptionnel de la façon dont la machination politique orchestrée par le roi de France, Philippe le Bel, a marqué la fin de l’ordre du Temple. La fin des Templiers se pose dans le cadre, plus large, “du conflit qui oppose Philippe le Bel à la papauté depuis le début du XIVe siècle”, rappelle Alain Demurger, historien médiéviste et spécialiste des ordres religieux militaires au Moyen Âge. “C’est une question de pouvoir, de pouvoir théocratique d’un côté et de pouvoir monarchique de l’autre”.

En 1303, le roi de France, Philippe le Bel, a tenté de faire arrêter, à Anagni, en Italie, le pape Boniface VIII, dans l’espoir de le faire accuser d’hérésie par un conseil œcuménique. La manœuvre, intitulée l’attentat d’Anagni, échoue. “Dans ce conflit, quelques années plus tard, l’affaire des Templiers va tomber comme une occasion de faire pression sur le pape, poursuit Alain Demurger. Philippe Le Bel veut obtenir du nouveau pape, Clément V, qui est pape depuis 1305, qu'il ouvre un procès de condamnation de la mémoire de Boniface VIII”. Le roi de France souhaite ainsi obtenir l’effacement des sanctions prononcées contre son ministre, Guillaume de Nogaret, qui a orchestré l’attentat d’Anagni. Afin d'accentuer la pression sur la papauté, Philippe Le Bel va donc s’appuyer sur des rumeurs à propos des membres de l'ordre du Temple, dont il se murmure qu'ils ont des pratiques obscènes et auraient renié le Christ.

Des aveux obtenus par la torture

Neuvième membrane du rouleau d’interrogatoire des templiers à Paris, où figurent les aveux de Jacques de Molay. Archives nationales, J//413/A, n°18.
Neuvième membrane du rouleau d’interrogatoire des templiers à Paris, où figurent les aveux de Jacques de Molay. Archives nationales, J//413/A, n°18.
- Archives nationales de France

C’est dans ce contexte que, en 1307, les Templiers sont arrêtés dans toute la France. Amenés à Paris, ils sont interrogés, et soumis à la torture, pour confesser leurs pêchés. Les aveux forcés des Templiers sont consignés dans le long rouleau aujourd’hui exposé aux Archives nationales. "Ce n'est ni plus ni moins qu'un procès verbal d'interrogatoire, mené par l'inquisiteur du royaume de France, Guillaume de Paris, qui est le confesseur de Philippe le Bel", complète Jean-François Moufflet.

“L’interrogatoire des 138 Templiers est la conséquence directe de l’initiative du Roi", retrace l’historien médiéviste Alain Demurger. "Il a décidé cette opération seul, sans en référer au Pape, alors même que l'ordre du Temple, un ordre religieux, dépend entièrement de la papauté et de l'Église. Philippe le Bel, pour pouvoir justifier son initiative auprès du Pape, doit démontrer l'hérésie des Templiers, pour pouvoir dire 'j'ai davantage fait que vous pour la défense de la foi et la défense de l'Église'. Tout l'enjeu, à partir de là, va être de démontrer que les Templiers sont hérétiques et que, par conséquent, ils doivent être condamnés”.

Les rumeurs sont fausses. Mais les aveux vont être extirpés de force, et consignés sur le rouleau de 22 mètres de long : sur les 138 Templiers interrogés, seuls quatre d’entre eux n’avouent rien. Les autres, face aux inquisiteurs, confessent les péchés d’injure au Christ (123 avouent avoir craché sur l’effigie, et 105 l’avoir renié) et s’être adonnés à des pratiques homosexuelles (102 Templiers).

Jacques de Molay lui-même se voit extorquer des aveux : “Celui qui le recevait fit apporter en sa présence une croix en bronze sur laquelle était représenté le crucifix, et il lui dit et lui ordonna de renier le Christ dont il y avait la représentation. Ce que, bien malgré lui, il fit ; et alors celui qui le recevait lui ordonna de cracher sur la Croix, et il cracha à terre. Interrogé sur le nombre de fois qu’il le fit, il dit sous serment qu’il ne cracha qu’une seule fois, et qu’il s’en rappelle bien.” Le grand maître de l'ordre du Temple aura beau se dédire, par la suite, il finit néanmoins sur le bûcher, comme de nombreux autres Templiers.

22 mètres de peaux de chèvres

Seuls trois mètres de ce document sont exposés, pour la première fois depuis plus de douze ans, aux Archives nationales, faute d'une vitrine assez grande pour pouvoir dérouler les 22 mètres de parchemin. Le document surprend en effet par sa taille : "L'usage du rouleau n'est pas quelque chose de si extraordinaire dans le cas d'une procédure judiciaire ou dans le cadre d'une enquête", rappelle Jean-François Moufflet, avant de concéder que, traditionnellement, les rouleaux qui prédominaient étaient bien plus petits. "Ici, il y aussi un parallèle symbolique entre l'ampleur physique du rouleau et la quantité d'informations qu'il contient. 22 mètres d'aveux, c'est considéré comme des preuves irréfutables, tangibles…"

En 2010, Eric Laforest, chef de travaux d’art et restaurateur de document, avait été chargé de la restauration de ce parchemin étonnamment long, réalisé à l'aide de peaux de chèvres : "À partir du moment où on emploie le terme de parchemin, on exclut toute fibre papetière. D'un côté, vous avez un matelas fibreux composé de cellulose, le papier, et de l'autre vous avez une peau issue d'une dépouille animale qui a été traitée à l'aide de différentes opérations, c'est ce qu'on appelle le parcheminage."

Le rouleau des Templiers a ainsi été réalisé à l'aide de 44 membranes de parchemin, provenant de 22 peaux de chèvres coupées en deux. "C'est un petit troupeau de 22 chèvres qui a été nécessaire à la confection de ce grand rouleau", commente Eric Laforest. "Les différentes membranes du rouleau sont cousues les unes aux autres, avec du fil coloré, et chaque membrane correspond à une journée d'interrogatoire. À l'intersection des membranes, il y a un motif à l'encre, il s'agit des seings des quatre notaires, qui permettent d'authentifier le document", et donc de prévenir toute falsification.

Seings de quatre notaires apposés à cheval sur les membres dix et zone du rouleau d’interrogatoire. Archives nationales, J//413/A, n° 18.
Seings de quatre notaires apposés à cheval sur les membres dix et zone du rouleau d’interrogatoire. Archives nationales, J//413/A, n° 18.
- Archives nationales de France

Ce rouleau permet néanmoins de se faire une idée précise de ce à quoi ressemblait la société des Templiers. "Si on analyse les interrogatoires, on peut identifier ces 138 Templiers : on a des jeunes de 16 ans et des vieillards âgés de plus de 80 ans", assure Jean-François Moufflet. "De nombreuses générations de Templiers sont représentées, on connaît leurs fonctions au sein de l'ordre du Temple, des frères chevaliers aux préposés aux animaux, sans oublier, dans les commanderies, les prêtres, les chapelains… C'est une véritable photographie sociale de l'ordre du Temple." Le parchemin, malgré sa dimension tragique, reste un trésor archéologique. Un véritable trésor, en quelque sorte, des Templiers.