L’éducation, un droit fondamental bafoué en France ? C'est ce que le père d'Eliott, 13 ans, atteint d’autisme sévère, dénonce. Son fils n'a pas franchi le portail d'une école pour la seconde rentrée cette année. En arrêt de travail, il se charge de son instruction à la maison depuis juin 2022.

Abel a 12 ans et est atteint d'autisme léger. L'adolescent est sur liste d'attente pour intégrer un institut médico éducatif (IME). Jusque-là, sa mère, Séverine, n'a pas de "solution de scolarisation". Suivi par l'hôpital de jour jusqu'à l'année dernière, il ne peut plus s'y rendre depuis cette rentrée, parce que passé 12 ans, la structure ne peut plus le prendre en charge

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Louise a aussi 12 ans. Elle souffre de troubles du spectre autistique et de troubles du déficit de l'attention. Elle est récemment passée au pôle adolescents de l'IME qu'elle fréquentait depuis 2015, mais les conditions sont inappropriées pour la jeune fille. Elle a donc quitté l'institut et se retrouve aussi sans solution de scolarisation.

Ces parcours, ce sont aussi des histoires de parents dépassés, livrés à eux-mêmes. Matthieu, papa d'Eliott, a dû arrêter de travailler pour s'occuper de son fils. Géraldine est en arrêt maladie après un burn-out et une vie de combat pour sa fille Louise. Séverine est terrorisée pour l'avenir de son fils Abel.

Et ils ne sont pas les seuls. D'après un rapport de l'Unapei, en 2023, 23% des enfants en situation de handicap n'ont "aucune heure de scolarisation" par semaine et 28% bénéficient seulement de 0 à 6 heures d'enseignements hebdomadaires. "L’école n’est aujourd'hui pas en capacité de mettre les moyens nécessaires et adaptés pour répondre aux besoins de tous les enfants. En particulier ceux des enfants en situation de handicap. Pourtant, la scolarisation est importante pour tous, pour ne pas les éloigner de la possibilité de se construire un avenir ", explique Sonia Ahéhéhinnou, porte-parole de l'association.

Scolarité et handicap : un combat quotidien pour les familles

Alors que chaque enfant devrait pouvoir avoir accès aux mêmes apprentissages et à une scolarité adaptée à ses besoins, c'est un véritable parcours du combattant pour de nombreuses familles. Et le combat dure, pour certaines, depuis des années.

"Ça a toujours été très compliqué. En première année de maternelle, le premier jour, on nous a fait comprendre qu’il ne devait pas revenir", commence Matthieu. Depuis, la famille a connu de rares moments de sérénité dans la scolarité d'Eliott. Aujourd'hui, c'est le papa qui s'occupe de l’instruction de son garçon, à la maison, sans formation. "C’est du bricolage. Je fais le professeur et l’éducateur", reprend-il.

Une double casquette, de parent et d'aidant, que doivent endosser ces proches, lorsque le système les abandonne. Et cela a parfois de graves conséquences sur leur santé psychique et physique. Comme l'explique Géraldine : "en 2021, j'ai fait un burn-out parental. Je suis tombée malade en devenant aidante". Il y a plusieurs années, épuisée, la maman fait une mauvaise chute après une période difficile pour sa fille. Hospitalisée, elle arrête alors de travailler. Si mai 2022, elle est en affection longue durée, elle passera d'ici peu en invalidité, la mettant alors, avec son mari, dans une situation financière précaire. 

En première année de maternelle, le premier jour, on nous a fait comprendre qu’il ne devait pas revenir.

Pourtant, les pouvoirs publics sont aux abonnés absents. Matthieu leur écrit souvent afin de les interpeller sur la situation de son garçon. Tous l’ont renvoyé vers l’ARS (Agence régionale de Santé). Il a ainsi pu obtenir, fin 2022, deux heures de soutien scolaire par semaine. Il continue d’écrire aux sénateurs, aux députés européens, à l’ONU. Un SOS qui ressemble à celui de la mère d'Abel : "j’ai écrit au ministre, à la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), à l’ARS. On m’a répondu que je n’avais qu’à mettre mon fils dans un collège normal, qu’il y serait 'gardé'. Mais pour lui ce ne serait que du stress et un chemin vers la dépression". 

Des propositions inadaptées aux besoins des enfants et des parents

Car parfois, des places en établissements, spécialisés ou non, sont disponibles pour ces enfants. Mais elles ne sont pas toujours adaptées.

"En juin dernier, on nous a dit qu’il était trop âgé pour rester dans une école primaire. On nous a proposé de le mettre dans une classe dans un collège. Mais que va faire un gamin avec un niveau de cinq ans dans un collège ? Ce n’est pas possible", reprend le papa d'Eliott. Une situation que connaît bien Séverine : "Abel a 12 ans, mais il a un niveau CE2, parce que son temps d’école a été réduit et puis, il y a le handicap. C’est impensable pour lui d’intégrer une sixième aujourd’hui". 

Un décalage qui s'explique par le handicap. "L'âge de développement ne correspond pas à l'âge physique", précise la porte-parole d'Unapei. Alors, pour l'instant, c'est aussi l'école à la maison pour Abel. "Si on pouvait les accueillir en primaire et non dans le cycle suivant, avec une auxiliaire, ce serait déjà beaucoup. Partir de l’âge comme indicateur est honteux, le collège n’est pas un milieu adapté à tous : mon fils ne s’y sentirait pas bien et dérangerait la classe. En attendant, on a fait une demande d’école à la maison. Il se pose des questions, il ne comprend pas pourquoi il n’y a pas de prise en charge", se désole la maman. 

De son côté, c'est en 2015 que Géraldine trouve une place en IME à Louise. Mais à l'aube de ses 12 ans, la jeune fille doit être transférée au pôle adolescents, "dans une classe de 29 enfants, très hétérogène où différents profils d'enfants sont réunis". Bruits, sorties, cantine : le pôle n'est pas adapté à son handicap. "Elle a tenu jusqu'en février puis a complètement décompensé", reprend la maman. Louise ne se rend plus en IME que le matin. Mais son état de santé psychique se dégrade. Elle quitte l'institut et une auxiliaire prend le relais, 40h par semaine, mettant à mal les finances de la famille, qui doivent déjà gérer d'autres dépenses pour assurer le bon suivi de leur fille.

École plus inclusive, places en IME, observatoire : des solutions existent

Aujourd'hui, Géraldine se bat pour trouver des financements pour poursuivre l'éducation de sa fille et pour faire reconnaître ses droits devant la justice. Pour Eliott, la seule solution reste de trouver au plus vite une place dans un institut médico éducatif, seul établissement adapté à sa situation. “Depuis la primaire, on fait les démarches pour l’IME, car c’est la seule solution. Mais on me dit de rappeler l’année prochaine, que c’est bloqué pour deux, trois, cinq ans”, dénonce Matthieu. Mais il n’a pas le temps d’attendre cinq ans, car Eliott sera d'ici-là majeur. Alors, les parents, qui sont aussi aidants, se transforment tant bien que mal en professeur. 

Mon enfant est extraordinaire et c’est frustrant de voir comment la société ne veut pas de lui.

Exit l'hôpital de jour et la classe Ulis (Unité localisée pour l'inclusion scolaire), inadaptée pour un enfant autiste, l'IME est aussi le dernier recours pour Abel : "’il y a des classes intégrées où il trouvera les mêmes acquisitions et repères. Mais il y a entre 40 et 80 personnes sur liste d’attente. On téléphone toutes les semaines, c’est du harcèlement à ce stade, mais on n’a pas le choix. Malheureusement, il font une sélection par rapport à la facilité de l’enfant et non de son handicap, c’est terrible. Mon enfant est extraordinaire et c’est frustrant de voir comment la société ne veut pas de lui. J’ai peur pour son avenir". 

J’ai peur pour l'avenir de mon fils. 

D'après Sonia Ahéhéhinnou, la mise en place d'une école plus inclusive est l'unique solution : "il faut se demander comment on peut obtenir que chaque élève, quelles que soient ses difficultés, ses compétences, puisse trouver dans l’école les moyens suffisants et les ressources pour se développer. Pour que ces moyens soient bien pensés, coordonnés, suivis, et financés, il faut un observatoire qui puisse déterminer les besoins et ressources disponibles", propose-t-elle.

Un projet qui doit intégrer toute la société, aux côtés de la communauté éducative, des enfants et de toutes les familles, pour qu'enfin, comme Mathieu l'espère, "ces enfants grandissent comme des gamins de leur âge”.