VIDÉOS - "Lip vivra" : il y a 50 ans, un conflit social historique à Besançon
L'affaire Lip a 50 ans. Ce conflit social emblématique, en 1973, a marqué l'histoire locale à Besançon, mais pas seulement : la mobilisation des ouvriers de l'entreprise horlogère, l'occupation de l'usine, la tentative d'autogestion, les manifestations ont touché toute la France.
Il y a des noms qui ont marqué l'histoire sociale de la France, Lip est de ceux-là. Cette entreprise de Besançon, née à la fin du XIXe siècle, devenue au XXe le fleuron de l'horlogerie française, a été le théâtre d'une grève aux dimensions inédites, en 1973. L'année 2023 marque donc le cinquantenaire de l'affaire Lip, commémorée toute cette fin d'année à Besançon.
Au début des années 70, Lip traverse une mauvaise passe. La marque était jusqu'ici prestigieuse et innovante : ses montres portées par les alpinistes français qui affrontent l'Annapurna en 1950, ou offertes aux grandes personnalités comme le général De Gaulle ou le président américain Eisenhower. Mais son dirigeant historique Fred Lipmann doit démissionner et le groupe suisse qui a repris l'entreprise envisage de la démanteler.
En avril 1973, Lip dépose le bilan. L'entreprise emploie 1.300 personnes dans son usine du quartier de Palente. Les salariés réagissent : ils créent un comité d'action et alertent l'opinion publique. Ils disent "non au démantèlement et aux licenciements". En juin, découvrant l'existence d'un plan de 480 suppressions de poste, les ouvriers occupent l'usine. Ils confisquent un stock de 25.000 montres, leur trésor de guerre. Le 15 juin, 7 à 15.000 personnes manifestent dans les rues de Besançon. L'affaire Lip est lancée.
Dans l'usine occupée, les ouvriers relancent la production. C'est le début d'une expérience d'autogestion. Un slogan historique barre l'entrée du site : "C'est possible, on fabrique, on vend, on se paie". Le personnel fabrique, vend les montres à l’usine et se verse des salaires. Les ouvriers travaillent pour leur propre compte. Il y aura plusieurs "payes sauvages".
Lors du Front populaire en 1936, puis en mai 68, il y avait déjà eu des occupations d'usines, mais comme le relève Jean-Paul Barrière, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté, la particularité réside ici dans "le maintien et le respect de l'outil travail", et dans la "volonté de continuer la production (...) même si ça a été très compliqué".**
L'affaire Lip frappe l'opinion parce que ses acteurs ont su faire connaître et populariser leur lutte. L'usine est ouverte au public. Les montres se vendent comme des petits pains. Pour la direction, c’est du vol et du recel, mais les visiteurs affluent, de toute la France voire d'Europe, tant pour les bonnes affaires que pour marquer leur solidarité.
C'est une autre caractéristique de l'affaire Lip, explique l'historien : dès le début, les Lip captent l'attention. Des leaders charismatiques prennent la parole, comme le syndicaliste Charles Piaget (CFDT). Des livres s'écrivent, des films se tournent, l'histoire s'écrit en direct. A tel point que, parfois, on a "plus retenu la méthode que le fond" estime Jean-Paul Barrière.
Le dossier est suffisamment brûlant pour que le gouvernement de Pierre Messmer tente de résoudre la crise. Un médiateur est chargé de lancer des négociations. Mais le 14 août 1973, 3.000 gardes mobiles investissent l'usine et expulsent le personnel. Les salariés se replient dans un gymnase de Besançon, prêté par la mairie, mais ils ne peuvent pas y fabriquer de montres, ni les vendre. Charles Piaget a cette formule restée célèbre : "L'usine, ce ne sont pas des murs, c'est là où sont les salariés. L'usine, on va la reconstruire !"
Le 29 septembre 1973, la "marche des 100.000" marque l'apogée du mouvement de soutien aux Lip. En coulisses, des négociations ont lieu en terrain neutre, à Arc-et-Senans. Le plan finalement soumis par le médiateur réduit le nombre de licenciements à 159, mais il est massivement rejeté par les ouvriers en assemblée générale. Le Premier ministre Pierre Messmer lâche : "Lip, c'est fini".
Il y aura pourtant bien un redémarrage sous la direction d'un groupe de patrons progressistes. En mars 1974, 300 salariés reprennent le chemin de l'usine. Un an plus tard, ils sont 830, mais l'expérience fera long feu et le personnel Lip descendra à nouveau dans la rue. Par la suite, Lip a changé de mains plusieurs fois, les montres ont même été fabriquées en Asie. Depuis 2014, la société SMB a repris la marque et relancé la fabrication à Besançon. Lip est toujours prisé des amateurs de montres.. et d'histoire.
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