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De pire en pire

Les inondations en Grèce et en Libye «jusqu’à 50 % plus intenses» à cause du dérèglement climatique

D’après un groupe pionnier de climatologues, les précipitations à l’origine du déluge meurtrier en Cyrénaïque ont été rendues jusqu’à 50 fois plus probables à cause du changement climatique. En Grèce et en Bulgarie, de telles précipitations sont désormais attendues une fois tous les dix ans.
par Julie Renson Miquel
publié le 19 septembre 2023 à 15h12

Depuis quelques mois, les phénomènes météorologiques extrêmes s’enchaînent sur le globe. «Hotspot» du réchauffement climatique, le bassin méditerranéen a pris des airs d’enfer pour des millions d’habitants. Après les canicules marines, les mégafeux en Grèce – dont le plus grand jamais enregistré dans l’Union européenne avec quelque 94 000 hectares de forêt brûlés – ou encore la sécheresse et un pic de chaleur à 48°C en Italie, ce fut au tour des inondations de faire des ravages début septembre. En Espagne, Grèce, Bulgarie, Turquie et Libye, des quantités pharaoniques de précipitations sont tombées en l’espace de quelques jours, voire quelques heures, au passage de la tempête Daniel, un «médicane» (contraction de Méditerranée et du terme anglais hurricane «ouragan») selon certains experts.

Des chercheurs grecs, américains, hollandais, allemands ou britanniques, tous membres du consortium World Weather Attribution (WWA), ont collaboré pour évaluer dans quelle mesure le changement climatique d’origine humaine a modifié la probabilité et l’intensité de ces fortes précipitations à l’origine d’inondations meurtrières. D’après leurs travaux publiés ce mardi 19 septembre, les climatologues estiment que le réchauffement les a rendues «jusqu’à 10 fois plus probables en Grèce, en Bulgarie et en Turquie, et jusqu’à 50 fois plus probables en Libye».

Augmentation de la probabilité d’inondations

Le WWA est spécialisé dans «la science de l’attribution», un champ de recherche émergent qui étudie les liens entre changement climatique et événements météorologiques extrêmes (inondations, tempêtes, vagues de chaleur, sécheresses…). Sa méthode de travail, validée par les pairs, permet de publier des analyses dans un laps de temps relativement court. Au printemps, ces chercheurs avaient par exemple établi que le réchauffement lié aux activités humaines était à l’origine de la vague de chaleur ayant frappé de plein fouet la péninsule ibérique et l’Afrique du Nord, avec des températures dignes d’un mois de juillet sur le pourtour Méditerranéen. Même constat pour les canicules monstres qui ont sévi en juillet en Europe du sud, aux Etats-Unis, et en Chine ou encore les feux au Québec entre mai et juillet.

Pour quantifier l’effet du changement climatique sur les fortes pluies dans la région méditerranéenne, les scientifiques ont appliqué leur protocole : analyser de données climatiques et des simulations de modèles informatiques afin de comparer le climat actuel – après un réchauffement global d’environ 1,2°C depuis la fin des années 1800 – avec le climat du passé. Contrairement aux résultats obtenus pour les vagues de chaleur et les incendies, les données concernant les inondations comportent de «grandes incertitudes mathématiques», précisent d’emblée les auteurs de l’étude. Les déluges se sont en effet produits sur des zones relativement petites et la plupart des modèles ne sont pas aussi efficaces à ces échelles.

«Comme nous n’avons pas de données issues de stations météorologiques en Libye, nous n’avons pas pu utiliser d’observations directes, donc l’ampleur exacte des précipitations dans cette zone est très incertaine, précise Friederike Otto, climatologue au Grantham Institute de l’Imperial College de Londres et co-autrice de l’analyse présentée ce mardi. Mais dans tous les cas, cela n’affecte pas le signal du changement climatique : les modèles indiquent systématiquement une augmentation de l’intensité et de la probabilité de ces phénomènes.» Concrètement, chaque dixième de degré supplémentaire accroît la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère, augmentant inexorablement les risques d’épisodes de fortes précipitations.

En Libye, un évènement «extrêmement inhabituel»

Concernant la Libye, l’événement semble toutefois «extrêmement inhabituel» et ne devrait se produire qu’une fois tous les 300 à 600 ans environ dans le climat actuel. «De telles précipitations sont devenues jusqu’à 50 fois plus probable et jusqu’à 50 % plus intenses par rapport à un climat plus froid de 1,2°C», dévoile Mariam Zachariah, du Grantham Institute, à l’Imperial College de Londres, également co-autrice de l’étude.

Le pays a été gravement touché par la tempête Daniel, l’Organisation mondiale de la santé faisant état de 3 958 morts et plus de 9 000 disparus à Derna. La faute au fameux blocage en oméga : deux systèmes dépressionnaires se sont formés autour d’un anticyclone, c’est-à-dire une zone de haute pression, de blocage au niveau des Pays-Bas. La tempête Daniel est ainsi devenue l’événement météorologique extrême le plus meurtrier de 2023 et la tempête la plus meurtrière dans le monde depuis le passage du cyclone Nargis en Birmanie en 2008 (130 000 victimes).

«Le conflit en cours et la fragilité de l’Etat libyen» ont aggravé les conséquences pour la population, souligne Maja Vahlberg, du Red Cross Red Crescent Climate Centre (Pays-Bas), qui a participé à l’étude. Ce dernier a en effet contribué au manque d’entretien et à la détérioration au fil du temps des deux barrages qui ont cédé en aval de la ville côtière de Derna, tout en limitant «la planification et la coordination de l’adaptation à l’échelle nationale» pour toute une série de problèmes climatiques auxquels le pays est confronté, tels que la pénurie d’eau, la chaleur et les inondations.

Plus de trois quarts des zones urbaines grecques à risque

Pour la Grèce, la Bulgarie et la Turquie, l’analyse de l’équipe du WWA a montré jusqu’à 40 % de précipitations supplémentaires, en raison des activités humaines qui ont réchauffé la planète. Dans cette vaste région, les chercheurs estiment que ce type d’événements a désormais 10 % de probabilité de se produire chaque année. En revanche, en Grèce centrale, où les précipitations ont été plus extrêmes, l’événement est «moins probable» et ne devrait se produire «qu’une fois tous les 80 à 100 ans». «La déforestation et les taux d’urbanisation relativement élevés ont modifié le paysage au fil du temps, augmentant le nombre de personnes et de biens exposés aux inondations et réduisant l’évacuation des eaux pluviales», pointe Maja Vahlberg, précisant que «80 % des zones urbaines grecques et la moitié de son réseau routier sont situés dans des zones inondables».

Pour Vassiliki Kotroni, directrice de recherche à l’Observatoire national d’Athènes, cette catastrophe constitue «un point de rupture dans la manière dont nous devrions réorganiser les systèmes d’alerte précoce, la capacité de réponse de la protection civile et la conception d’infrastructures résilientes à l’ère du changement climatique». L’adaptation à la sécheresse et aux inondations va de pair. «La déforestation et l’urbanisation impliquent qu’en cas de fortes pluies, au lieu de s’infiltrer dans le sol, l’eau s’écoule directement dans les rivières puis dans les océans après avoir fait des ravages. Résultat, la ressource n’est plus disponible dans le milieu lors des sécheresses difficiles, conclut Friederike Otto. La reforestation, la désimperméabilisation des sols et la restauration des cours d’eau sont donc une solution aux deux problèmes.»

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