Égypte : Mohamed “Oxygen” entame sa cinquième année en prison pour récidive du crime... d'informer

Arrêté le 21 septembre 2019, le célèbre blogueur Mohamed Ibrahim Radwan a passé les quatres dernières années en prison en Égypte pour le seul crime d'avoir voulu informer. Reporters sans frontières (RSF) demande sa libération immédiate et inconditionnelle.

Cela fait trois mois que Mohamed Ibrahim Radwan est en isolement à la prison Badr du Caire. Cette lourde punition a été prise contre le fondateur du blog Oxygen Misr (“L’oxygène de l’Égypte”), connu par son pseudonyme Mohamed “Oxygen”, après qu’il est intervenu pour protéger l'un de ses compagnons de cellule. Celui-ci se faisait agresser par un gardien de la prison, selon un des proches du blogueur détenu. "Mohamed Oxygen ne saurait tolérer l'injustice, a-t-il affirmé à RSF sous couvert d'anonymat par crainte de représailles. Peu importe qu'il soit en prison ou dans la rue, il la mettra en lumière.”

Arrêté pour la première fois le 6 avril 2018, après avoir rapporté des anomalies dans les élections présidentielles, Mohamed Oxygen a obtenu une liberté conditionnelle le 31 juillet 2019. Le blogueur égyptien devait se présenter au poste de police deux fois par semaine pendant deux heures, pour répondre à des questions et rendre compte de ses activités : des activités qui excluent le journalisme, conformément aux termes de la libération. Non seulement cette libération a été conditionnelle, mais aussi de courte durée. Le 21 septembre 2019, Mohamed Oxygen s'est présenté au poste de police et n'en est pas ressorti. Il était détenu pour avoir diffusé des vidéos sur une série de manifestations. C’est lors de cette même vague de protestation que son confrère Alaa Abdel Fattah a lui aussi été incarcéré pour la troisième fois, quelques jours plus tard, le 29 septembre.

Poursuivi pour "atteinte à la sécurité de l’État" et “diffusion de fausses nouvelles”, Mohamed Oxygen est condamné le 21 décembre 2021 à quatre ans de prison. La peine est entrée en vigueur en janvier 2022, ce qui remet sa date de libération à janvier 2026.

C'est aussi poétique que vrai : l'Oxygène de l’Égypte s’épuise dans les prisons d’Abdel Fattah al-Sissi. Avec des professionnels de média tels que Mohamed Ibrahim Radwan sous les verrous, le paysage médiatique égyptien suffoque et le pays se noie de plus en plus dans une répression sans fin. Le travail courageux de Mohamed Oxygen lui a coûté sa liberté, et il est grand temps qu’il revienne parmi nous. Il ne doit pas passer un seul jour de plus en prison.”

Jonathan Dagher
Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF

“La torture et les mesures arbitraires l'avaient poussé à un désespoir extrême”

Peu après sa deuxième détention en 2019, la santé mentale de Mohamed Oxygen se détériore. Le blogueur est transféré à la prison de sécurité maximale de Tora dans la banlieue du Caire, où il reste en détention provisoire pendant plus d’un an. Le 3 novembre 2020, son nom figure parmi ceux dont la libération est prévue. Malgré l'espoir, une décision de dernière minute du procureur général entraîne le renouvellement de sa détention sous de nouveaux chefs d'accusation un phénomène courant en Égypte, connu sous le terme de "rotation". La déception choque Mohamed Oxygen. Comparaissant devant le procureur, il refuse de se défendre. Tout au long de cette épreuve de deux ans, il est coupé du monde, il lui est interdit de recevoir des visiteurs.

En juillet 2021, il fait une tentative de suicide. Dans un communiqué, le Réseau arabe pour l'information sur les droits de l'homme (ANHRI), dont les avocats ont représenté Mohamed Oxygen, a affirmé que la torture et les mesures arbitraires l'avaient poussé à un désespoir extrême.” En février 2022, sa mère décède et le blogueur refuse une brève libération pour assister à ses funérailles

Condamné en fin d’année, il est transféré à la prison de Badr au Caire neuf mois plus tard. Les conditions de son incarcération s'améliorent dans la nouvelle prison et contribuent à une amélioration de son état de santé. Ce n'est qu'en décembre 2022, plus de trois ans après son arrestation, que les autorités égyptiennes lui autorisent finalement de recevoir des visiteurs. "Malgré sa situation, Mohamed a toujours refusé d'être traité comme un criminel en prison. Il est blogueur, affirme la même source à RSF. Il refuse régulièrement les fouilles à nu, il n'accepte pas l’humiliation, les insultes. Il riposte même si c'est de la part d'un gardien.”

Un crime : "prouver les faits concrets"

Sur Youtube, Facebook et son site web, le blog Oxygen Misr a porté la voix du peuple égyptien depuis 2008, bien avant la révolution. Sa mission, "prouver les faits concrets", précède chaque titre et chaque vidéo, et malgré sa critique du pouvoir, le blog est resté fidèle au pluralisme des opinions. Mohamed Oxygen rapportait régulièrement les opinions des gens de la rue, des manifestants et des citoyens. Il a documenté les disparitions forcées, la corruption et les abus dans les prisons.

En dépit des mesures prises depuis 2022 qui, selon le président Abdel Fattah al-Sissi, visent à améliorer la situation des droits humains dans le pays, notamment le lancement d’un dialogue national avec les figures de l'opposition et des amnisties accordées à des prisonniers politiques détenus, la liberté de la presse reste fortement restreinte dans le pays. Le 19 août, le journaliste de la plateforme de vérification des faits Matsa Daash, Karim Asaad, est resté détenu pendant deux jours après la publication d'un article sur un avion égyptien détenu en Zambie. Trois jours plus tard, le père du journaliste en exil Ahmad Gamal Ziada a été emprisonné et interrogé sur les activités de son fils en Belgique. Par ailleurs, trois journalistes de la publication indépendante Mada Masr sont jugées depuis mars 2023 pour avoir publié un article critiquant les membres d'un parti proche du pouvoir.

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