Penser avec Simone Weil

La philosophe, Simone Weil (1909-1943), le 30 mars 1936, durant la guerre civile espagnole alors qu'elle combat dans la Colonne Durruti. ©Getty - Apic
La philosophe, Simone Weil (1909-1943), le 30 mars 1936, durant la guerre civile espagnole alors qu'elle combat dans la Colonne Durruti. ©Getty - Apic
La philosophe, Simone Weil (1909-1943), le 30 mars 1936, durant la guerre civile espagnole alors qu'elle combat dans la Colonne Durruti. ©Getty - Apic
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Simone Weil (1909-1943) : philosophe et professeur, ouvrière, militante de la France libre, qui s'engagea contre la barbarie, pour la vérité, et pensa la question de "l'enracinement" et des "devoirs absolus envers l'être humain" comme un besoin vital de l'âme.

Avec
  • Pascal David Philosophe, Université de Lyon
  • Alice Mennesson Professeur de philosophie en lycée

Alain Finkielkraut reçoit Alice Mennesson, professeure de philosophie au lycée Victor Duruy à Paris, et  Pascal David, philosophe, chargé d'enseignement à la faculté de philosophie de l'Université catholique de Lyon, essayiste, auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la pensée de Simone Weil — dont deux récentes publications :  Ecrire la philosophie à partir du terrain : le cas Simone Weil, dans Manifeste pour une philosophie de terrain (éd. Universitaires de Dijon/Vrin) ;  Simone Weil, philosophe antimoderne ? (dans les Cahiers philosophiques/Vrin),

Née en 1909, Simone Weil est morte le 24 août 1943, à l'hôpital d'Ashford, en Angleterre. Elle était atteinte de tuberculose et se nourrissait à peine, car elle ne voulait pas dépasser les rations des Français restés en France. Elle laissait un nombre considérable de manuscrits. Parmi ceux-ci,  L'Enracinement ou Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain, Le livre sera édité en 1949, dans la collection Espoir qu'Albert Camus dirigeait chez Gallimard.

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Que signifiait pour Simone Weil "l'Enracinement" ?

L'Enracinement est un besoin de l'âme. Il est possible de s'appuyer sur la définition de l'Enracinement qu'elle propose dans l'exposé des obligations où elle écrit : "L'âme humaine a besoin par-dessus tout d'être enracinée dans plusieurs milieux naturels et de communiquer avec l'univers à travers eux." Si on prend cette définition comme point de départ, on a une bonne base pour approcher ce qui est le cœur de cette notion d'Enracinement chez Simone Weil, c'est-à-dire que c'est une notion qui recouvre un paradoxe : "le paradoxe de l'Enracinement est qu'il faut paradoxalement être attaché, avoir des liens vivants avec une multiplicité de milieux pour pouvoir se détacher ; il n'y a aucune idée chez elle d'un enfermement, au contraire, il y a un besoin d'aération de multiplication des contacts." Alice Mennesson

"Nous sommes enracinés dans des milieux" (P. David)

"Nous sommes enracinés dans des milieux, et de ces milieux, nous recevons, comme dit Simone Weil, la presque totalité de notre vie morale, intellectuelle et spirituelle, nous sommes nourris par ces milieux. Qu'est-ce qu'un milieu ? Un milieu est une collectivité, un ensemble d'êtres humains qui entretiennent entre eux des rapports organisés. Mais c'est une collectivité qui conserve vivants des trésors du passé. C'est-à-dire que cette nourriture, nous la recevons parce qu'elle nous est transmise d'un passé, des trésors du passé et un pressentiment d'avenir. C'est cela que nous donne un milieu. Ce concept de milieu me semble très important aujourd'hui, parce que c'est un concept qui ne passe pas par l'opposition entre nature et culture. Le milieu est tout aussi bien culturel que naturel." Pascal David

Simone Weil ou l'idée du patriotisme

"Elle est toujours opposée au patriotisme quand il repose sur le sentiment de la grandeur, sur une exaltation de la grandeur. Et dans l'Enracinement, elle dit que nous devons nous corriger d'une fausse perception de la grandeur, qu'il faut, par l'éducation, que c'est une des fonctions qu'elle assigne à l'éducation, modifier dans chaque être humain la distribution du sentiment de la grandeur. Il faut que nous parvenions à nous rendre sensibles à une autre forme de grandeur que celle qui repose sur la force, la puissance, la domination, le pouvoir. Et s'ouvre, par conséquent, à partir de 1938, à cette pensée qu'il y a une manière d'être fort tout en restant faible." Alice Mennesson**

"Ce qui peut toucher les élèves, c'est l'itinéraire de Simone Veil. C'est-à-dire en amont de ses thèses, c'est son exigence de vérité, sa manière de vivre. L'exemple qu'elle donne, c'est un témoin d'une vie intégralement orientée vers la vérité, une vie sans concession. Ce qui caractérise notre époque aujourd'hui, c'est 'un tumulte glacé'. Et aussi bien, le silence que la solitude sont des besoins de l'âme, ces besoins de l'âme sont inscrits en nous. Et donc, lorsqu'ils sont formulés, auprès des élèves, auprès des étudiants, ils comprennent, ressentent, éprouvent que c'est un véritable besoin, ils comprennent que la pensée de Simone Veil les concerne, les aide à vivre." Pascal David

Simone Weil, anti-juive ?

"Alors, d'abord, il faut rappeler que Simone Weil, elle-même, est juive. Donc, son rapport au judaïsme n'est pas neutre.  Enfin, il est marqué parce qu'il est exacerbé, parce que c'est une tradition à laquelle, je ne dirais pas, elle appartient, mais à laquelle sa famille, en tout cas, appartient. Effectivement, il y a un point là d'achoppement, on pourrait dire, dans l'œuvre de Simone Weil, dans sa lecture, peut-être dans son impartialité vis-à-vis des différentes traditions religieuses, qui vient peut-être du fait qu'elle refuse toute appartenance. Elle pense que sa vocation est de circuler dans les différents milieux sociaux de telle manière qu'elle les accueille sans jamais y appartenir, sans jamais y adhérer." Pascal David

"Je pense que c'est vraiment le point aveugle, le point incompréhensible. Je suis d'accord avec vous qu'on se demande pourquoi, alors qu'elle est capable de cheminer sur tant de choses, elle ne le fait pas sur ce point-là. J'avoue que je regrette énormément. Il faut souligner, vous l'avez dit, que sa famille était juive. Sa mère était juive d'origine galicienne. Mais il faut savoir qu'elle ne connaît rien au judaïsme. Elle n'a pas été élevée du tout dans cette tradition, elle n'en connaît rien. Et c'est ça qui est le plus surprenant. Elle qui a tant de curiosités, qui se met à lire. Mais totalement. Elle apprend le sanscrit pour lire les Upanishads, la Bhagavad Gita, le Tao, elle découvre tout, et elle n'a aucune curiosité, elle ne fait aucun effort en direction du judaïsme. Ça, c'est le point aveugle ! C'est un grand manque dans sa pensée. Elle est morte à 34 ans. Je me dis toujours que si elle avait pu vivre peut-être un peu plus longtemps, elle aurait fini par découvrir ça. Et que la rencontre entre toute la richesse du judaïsme, du Talmud, toute cette richesse de cette tradition et sa pensée aurait pu donner quelque chose que nous ne connaîtrons malheureusement jamais." Alice Mennesson

Sources bibliographiques

Les Nuits de France Culture
2h 05

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