Maxime Guesnon : "La baguette est un produit autant culturel que boulanger"

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Maxime Guesnon : "La baguette est un produit autant culturel que boulanger"

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D'après une enquête de Fiducial de 2019, plus de 16 millions de baguettes sont façonnées chaque jour en France, dans quelque 32 000 boulangeries.
D'après une enquête de Fiducial de 2019, plus de 16 millions de baguettes sont façonnées chaque jour en France, dans quelque 32 000 boulangeries.
© Getty - Chesnot

La baguette de pain française est entrée au patrimoine culturel de l'Unesco ce mercredi. Distinguée pour ses savoir-faire artisanaux et sa culture. Retour sur cet emblème tricolore avec Maxime Guesnon, auteur d'une thèse sur La fabrique du pain blanc.

Après déjà le "repas gastronomique des Français", les "savoir-faire artisanaux et la culture de la baguette de pain" ont été inscrits ce mercredi sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. La fidèle compagne des tablées tricolores a été saluée par un vote survenu à Rabat au sein de l'instance onusienne, parmi 56 demandes d'inscription, dont la musique raï algérienne, l'harissa tunisienne, et la culture du tchaï (thé) en Azerbaïdjan et en Turquie. Les fêtes de l'Ours qui ont lieu chaque hiver dans cinq villages des Pyrénées, en Andorre et en France, ayant elles-aussi rejoint cette prestigieuse liste ce mercredi.

Ce classement de la baguette "souligne qu'une pratique alimentaire peut constituer un patrimoine à part entière, qui nous aide à faire société", a déclaré la directrice générale de l'Unesco, Audrey Azoulay. L'ancienne ministre de la Culture française d'ajouter que "Cette inscription met à l'honneur les savoir-faire des artisans-boulangers. Elle célèbre aussi toute un art de vivre à la française : la baguette est un rituel du quotidien, un élément structurant du repas, synonyme de partage et de convivialité. Il est important que ces connaissances artisanales et ces pratiques sociales puissent continuer à exister à l'avenir". La Fédération des entreprises de boulangerie et pâtisserie a salué sur Twitter "une excellente nouvelle pour la filière" et un "atout considérable pour l'attractivité de nos métiers".

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Doctorant en histoire des sciences et techniques à l'EHESS et auteur d'une thèse sur La fabrique du pain blanc : histoire des sciences et des techniques du pain en France (fin XIXe-mi XXe), Maxime Guesnon était l'invité de notre journal de 22h ce mardi. Il revient sur l'importance de la baguette en France.

La baguette nous raconte-t-elle une certaine histoire de l'industrialisation alimentaire française ?

Oui. La baguette est partie prenante de la modernisation du pain et son produit. C'est une invention assez récente finalement en France et dans la consommation de pain à l'échelle mondiale. Elle vient de la fin du XIXe siècle avec le blanchiment de la farine et l'industrialisation de la meunerie en France, avec le remplacement des meules par les cylindres métalliques. Et surtout, son âge d'or a lieu dans l'entre-deux-guerres avec la production de levure de boulangerie pour accélérer la panification et une maîtrise finalement de la part des boulangers grâce à l'appui de laboratoires et d'industries chimiques en amont.

L'après-guerre en France, à partir des années 50-60, marquera ensuite un moment de très intense modernisation de la filière, modernisation un peu forcée aussi. Le pain blanc et la baguette en particulier vont alors incarner la modernisation de la boulangerie et vont correspondre à un début d'identité défendue par les artisans. Ils ont une revendication identitaire par ce biais de ce qu'est le bon pain : le bon pain blanc de la boulangerie. Alors que les industries agro-alimentaires et leurs chaînes vont commencer à se développer dans les années 70, fabriquant également des baguettes.

La baguette artisanale est-elle menacée par cette industrialisation ?

C'est une question très complexe puisque, finalement, qu'est-ce qu'une baguette artisanale ? C'est plus complexe qu'on ne le pense. Une baguette artisanale est aussi une baguette avec des additifs, des enzymes, de la levure et la baguette et l'artisanat se sont recomposés en même temps, au fur et à mesure des innovations techniques, chimiques. La baguette n'est donc pas en elle-même menacée aujourd'hui, si ce n'est que la matérialité de la baguette change au fil des décennies. On n'a plus la même baguette aujourd'hui qu'il y a dix ans ou trente ans. Elle se métamorphose au fur et à mesure du temps et des techniques utilisées pour la fabriquer.

L'évolution des boulangeries ces dernières années précisée par la journaliste Lila Lefebvre.

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Peut-on alors s'entendre sur une définition dite objective de la baguette ?

Eh bien non. Tout l'intérêt de l'histoire est de dire que finalement il n'y a pas d'essence à un produit et que le produit est aussi le produit d'une histoire, qu'il évolue dans le temps. On ne peut pas encadrer une recette typique de la baguette et il est compliqué d'essayer de trouver une origine à une recette qu'on pourrait penser 'pure' ou figée dans le temps. Car elle est le fruit de plusieurs conjonctures, qu'elle soit scientifique, technique, culturelle, sociale, et elle est donc sans cesse tiraillée dans des directions différentes.

Historiquement parlant, est-il compliqué de dire à quand remonte justement l'invention de la baguette de pain ?

Ces questions d'origine sont compliquées. Mais assurément, l'entre-deux-guerres est un moment où l'on trouve beaucoup de baguettes, très longues, qui ne ressemblent pas du tout aux baguettes actuelles.

Et par exemple, la baguette tradition, c'est très complexe. Des chaînes font des baguettes 1900 et donnent un chiffre qui ancre un peu dans le passé. On trouvait alors effectivement énormément de pains de luxe, de pains de fantaisie à Paris, beaucoup plus qu'aujourd'hui, avec du lait, avec du sucre, avec du miel. Il existait énormément de recettes dont des pains longs que l'on appellera des années plus tard les baguettes. Mais il est difficile d'établir une origine bien spécifique. C'est vraiment un produit du blanchiment des farines en meunerie et de l'invention de la levure. Ces deux ingrédients font la baguette, avec la modernisation de la fin du XIXᵉ siècle.

La baguette est-elle, selon vous, un produit culturel autant que boulanger ?

Oui, et il est frappant d'observer que la corporation qui porte ce projet d'inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité a finalement beaucoup contribué au folklore de la baguette. En la valorisant, en valorisant le pain de tradition française, le pain maison, l'inscription de la boulangerie. Ils ont créé un folklore, une certaine idée de la nostalgie, d'une idéalisation du passé qui est un peu un revirement du projet modernisateur depuis 1900, et surtout 1950-1960. C'est un peu un revirement du discours de la corporation face à une modernité qui n'est plus vendeuse non plus.

Et que changerait cette reconnaissance par l'Unesco ?

J'ignore, je ne suis pas devin. Je ne pense pas que cela soit un argument massue qui vienne fondamentalement changer la donne. Après plusieurs décrets des années 1990 sur le pain de tradition française, cela inscrit finalement le pain comme quelque chose de très spécifique, un rapport des Français au pain comme si c'était une identité très forte.

Cependant, cela fige aussi un petit peu les artisans, à mon avis. Cela laisse peu de place à d'autres inventions, à d'autres fabrications, à d'autres techniques. Et il y a quelque chose de trop ambivalent pour que cela soit facteur de création, pour inventer d'autres manières de faire, créer d'autres filières, d'autres produits.

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