Pollution de l'air : une pandémie à bas bruit

La métropole de Lyon connait régulièrement des pics de pollution de l'air. ©AFP - Philippe Desmazes
La métropole de Lyon connait régulièrement des pics de pollution de l'air. ©AFP - Philippe Desmazes
La métropole de Lyon connait régulièrement des pics de pollution de l'air. ©AFP - Philippe Desmazes
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La pollution de l'air serait responsable de 48 000 à 100 000 décès chaque année en France. La prise de conscience au sein de la population progresse mais la prévention des risques fait encore défaut et les pouvoirs publics tardent à mettre en place des mesures efficaces.

Avec
  • Sophie Perroud coordinatrice du plaidoyer européen chez HEAL (Health & Environment Alliance)
  • Alexandra Froment chargée du réseau santé et environnement à France Nature Environnement

Eviter les activités physiques et sportives, abréger vos sorties, réduire votre vitesse automobile : ces recommandations du ministère de la santé en cas de pic de pollution restent encore peu respectées. Et si l'inquiétude sur la qualité de l'air grandit dans la population, les comportements évoluent lentement. Du fait de sa géographie et de la présence de vallées alpines, la région Auvergne-Rhône Alpes est particulièrement confrontée aux épisodes de pollution de l'air. Chaque année, Santé Publique France y recense 4 300 décès dus à l'exposition aux particules fines et 2000 liés à l'exposition au dioxyde d'azote. Pour sensibiliser d'avantage la population aux facteurs de la pollution de l'air et aux risques sanitaires, l'observatoire de la qualité de l'air Atmo, en Auvergne-Rhône-Alpes, propose depuis 2020 des prêts de micro capteur de la pollution de l'air. Durant deux semaines à un mois, les particuliers peuvent tester ces micro capteurs en extérieur comme en intérieur et recensent leur mesures sur une application développée par Atmo en y notant les activités réalisées, les trajets empruntés ainsi que leurs observations. Toutes ces données sont rendues publiques et recensées sur le site de la  Captothèque. Guillaume Salque-Moreton, ingénieur chez Atmo a participé à l'élaboration de cet outil. "Pour l'heure, ces micro capteurs ne mesurent que la concentration en particules fines. C'est une forte problématique dans la région, surtout en hiver. On a un territoire en partie rurale avec beaucoup de chauffage au bois. En hiver, on mesure que les particules fines proviennent à 60% voire 70% du chauffage au bois et 20% du trafic routier. Or plus le diamètre des particules est petit, plus elles vont pouvoir pénétrer dans l'organisme, dans les poumons, dans le sang voire passer parfois la barrière cérébrale."

Développé par Atmo, la Captothèque permet aux citoyens de mesurer librement la présence de particules fines dans l'air grâce à un micro capteur.
Développé par Atmo, la Captothèque permet aux citoyens de mesurer librement la présence de particules fines dans l'air grâce à un micro capteur.
© Radio France - Julie Pacaud

Faire des citoyens des acteurs de la surveillance de la qualité de l'air

En 2022, 1200 citoyens ont expérimenté ce micro capteur tout en bénéficiant d'un accompagnement pour comprendre leurs mesures. Déployé dans trois grandes métropoles (Lyon, Grenoble et Clermont-Ferrand) ainsi que dans la Vallée de l'Arve en Haute-Savoie, ce dispositif devrait être étendu à l'ensemble de la région en janvier 2024 pour sensibiliser d'avantage la population. "Aujourd'hui on se rend compte que les citoyens sont très au fait sur un ensemble de problématiques, du tri des déchets, du changement climatique par exemple, poursuit Guillaume Salque-Moreton. Or la pollution de l'air est souvent oubliée ou méconnue. Un des premiers axes de la Captothèque est donc de sensibiliser à la qualité de l'air en venant placer le citoyen au centre du dispositif. On souhaite que le citoyen devienne acteur de la surveillance de la qualité de l'air et non plus seulement spectateur." Pourtant, depuis vingt ans, la qualité de l'air s'améliore en Auvergne-Rhône-Alpes explique Guillaume Brulfert, correspondant territorial d'Atmo. "Le dioxyde d'azote, le dioxyde de souffre et les particules fines sont des polluants nettement en régression, de l'ordre de 50% en moins dans l'atmosphère ces vingt dernières années. Mais on a encore un souci avec l'ozone qui reste stable voire en augmentation. Les actions menées par l'Etat et les collectivités sont donc assez efficaces mais elles ne sont pas à la hauteur de l'enjeu sanitaire car on reste loin des réglementations de l'Organisation mondiale de la santé. On voit donc que la trajectoire est favorable mais qu'il faut accélérer."

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Guillaume Salque-Moreton a développé le projet de la Capthotèque dans les locaux d'Atmo en Auvergne-Rhône-Alpes.
Guillaume Salque-Moreton a développé le projet de la Capthotèque dans les locaux d'Atmo en Auvergne-Rhône-Alpes.
© Radio France - Julie Pacaud

Face à cet enjeu de santé publique, la métropole de Lyon, conquise par les écologistes lors des dernières élections municipales en 2020, veut se montrer bonne élève. Elle s'est ainsi attaquée aux émissions liées au chauffage au bois en mettant en place une aide financière pour le remplacement des cheminées anciennes avant d'interdire le 1er avril 2023, l'utilisation des cheminées à foyers ouverts. Pour lutter contre la pollution liée au trafic routier, la métropole s'est voulue ambitieuse concernant la ZFE, la zone à faibles émissions, en interdisant plus rapidement que dans d'autres métropoles les véhicules les plus polluants. Mais en juin dernier, l'exécutif métropolitain a finalement repoussé l'interdiction de circulation des véhicules Crit’Air 2 de deux ans et renoncé à étendre cette ZFE à l'est de la métropole. Le président écologiste du Grand Lyon, Bruno Bernard justifie ce rétropédalage comme un "équilibre trouvé sur le territoire."

"Pour arriver à réduire les émission de dioxydes d'azote, il faut qu'on interdise à terme les véhicules diesel, explique Bruno Bernard. Or pour l'instant, la loi sur les ZFE ne le prévoit pas. Elle s'arrête aux véhicules de Crit'Air 3 et ne traite pas des véhicules diesel. C'est une erreur car pour protéger la population, il faut interdire les véhicules diesel. Nous prévoyons de la faire à l'horizon 2028 dans la métropole. Un délai qui s'explique par la difficulté de la tâche et le besoin d'accompagnement des citoyens," détaille le président de la métropole qui déplore le manque d'accompagnement au niveau de l'Etat. "Sur le volet répressif, nous devions avoir des radars de contrôle de ces zones à faibles émissions dès 2020 or nous n'en avons toujours pas et nous ne savons toujours pas quand ils arriveront, peut-être en 2024 mais tout cela reste flou, déplore-t-il. Ici, nous avons déjà interdit les Crit'Air 4 et 5 pour les particuliers, les Crit'Air 3 pour les professionnels, or nous n'arrivons pas à faire appliquer les décisions car nous n'avons pas de moyens de contrôle automatisés et les forces de police ne font pas de cette tâche une priorité."

Le président écologiste de la métropole de Lyon, Bruno Bernard.
Le président écologiste de la métropole de Lyon, Bruno Bernard.
© Radio France - Julie Pacaud

Face à la pollution de l'air, le gouvernement à reculons

Pourtant, au sein de la population, la conscience des enjeux sanitaires liés à la pollution de l'air progresse comme en témoigne l'enquête réalisée en septembre 2023 par l'association Respire et l'institut Kantar. "Les Français sont beaucoup plus concernés par le sujet qu'il y a dix ans, analyse le directeur de Respire, Tony Renucci. Trois Français sur quatre sont inquiets de la qualité de l'air pour leurs enfants, et plus de 80% des Français sont au courant qu'il y a des conséquences sanitaires de la pollution de l'air. Beaucoup de Français ont également intégré les effets des émissions du trafic routier sur la qualité de l'air mais beaucoup moins les autres sources d'émissions notamment le chauffage au bois". Mais les comportements individuels ont pourtant du mal à évoluer. Lors des pics de pollution dans les grandes métropoles, peu de citadins respectent ainsi les recommandations du ministère de la santé, que cela soit la diminution de la vitesse pour les conducteurs, la réduction de l'activité physique ou des sorties aux heures de pointe. Mais Tony Renucci renvoie cette responsabilisation des individus à celle des pouvoirs publics. "Si on veut que les gens modifient individuellement leur comportement, il faut aussi leur montrer l'exemple. A Paris, du 6 au 10 septembre dernier, nous avons eu un pic de pollution à l'ozone avec cinq jours consécutifs au-dessus des seuils règlementaires. Et la loi dit bien qu'après deux premiers jours d'information, le seuil d'alerte est automatiquement déclenché au troisième jour du pic de pollution par la préfecture. Or la préfecture de Paris a refusé de le déclencher en se mettant dans l'illégalité car il y avait l'ouverture de la Coupe du monde de rugby. Cela ne donne pas le bon message. D'une part le pic de pollution doit être anticipé avec des mesures de restrictions en amont, et en laissant des sportifs faire du sport en plein air en plein pic de pollution, le message envoyé a été particulièrement mauvais. Cela laisse penser que la pollution de l'air n'est pas si grave," regrette Tony Renucci.

Depuis 2011, l'association Respire mène des actions en justice et des actions de sensibilisation sur les enjeux de pollution de l’air.
Depuis 2011, l'association Respire mène des actions en justice et des actions de sensibilisation sur les enjeux de pollution de l’air.
© Radio France - Julie Pacaud

Cette association nationale qui lutte pour l'amélioration de la qualité de l’air et la défense des victimes de la pollution dresse d'ailleurs un constat sévère de l'action des pouvoirs publics. Aujourd'hui, la quasi-totalité des responsables politiques reconnaissent qu'il y a un sujet de pollution de l'air mais les réponses restent trop timides. "Il y a une vraie difficulté à mettre en œuvre des mesures de façon à améliorer la situation et je trouve qu'il y a même un recul ces derniers mois," souligne Tony Renucci. Au cœur de la stratégie du gouvernement pour lutter contre la pollution de l'air, les ZFE, les zones à faibles émissions, instaurées par les lois Climat et Résilience et LOM. D'ici 2025, les villes françaises de plus de 150 000 habitants devront mettre en place ces ZFE. Des restrictions de circulations doivent donc être progressivement instaurées selon des modalités et des calendriers définis par les collectivités en fonction du niveau de pollution de l'air. Mais début juillet, Ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, a finalement annoncé un assouplissement des règles pour une trentaine de villes, catégorisées désormais "en zone de vigilance", elle n'auront qu'à interdire la circulation des véhicules immatriculés avant 1997. L'argument avancé par le ministre étant que les niveaux de pollution sont revenus en dessous des seuils réglementaires. Une décision dénoncée par l'association Respire et Tony Renucci. "Le Ministre dit que la qualité de l'air s'améliore mais elle reste mauvaise. Elle s'améliore par rapport à des normes européennes en vigueur en oubliant de dire que ces valeurs européennes datent de la directive de 2008 et sont en cours de révision car elles sont trop élevées par rapport aux recommandations de l'OMS. C'est malhonnête." La France a déjà été condamnée à quatre reprises, deux fois par la Cour de justice de l'Union européenne pour manquement aux obligations issues de la directive qualité de l’air et deux fois par le Conseil d'Etat pour son incapacité à faire respecter les normes de niveaux de pollution dans les principales agglomérations.

Des dizaines de milliers de morts et une pluralité de pathologies

D'après les chiffres publiés en 2016 par Santé Publique France, la pollution de l'air, en particulier les particules fines, provoquerait 48 000 décès prématurées chaque année. Une étude pilotée par l'université Harvard en 2021 porte cette estimation à 100 000. La pollution atmosphérique engendre aussi une pluralité de pathologies, au delà des maladies respiratoires et cardio-vasculaires, des AVC et des cancers. Directeur de recherches à l'Inserm et à Sorbonne Université, Basile Chaix coordonne l'étude MobiliSense, une vaste enquête sur les effets de la pollution de l'air et du bruit, sur la santé des Franciliens. "Quand on se déplace dans les rues de Paris, on est exposé à des cocktails de polluants qui sont comme des stresseurs qui vont agresser le système cardio-vasculaire. Des à-coups de pression s'exercent alors sur les parois artérielles, du sang est alors envoyé aux petites artères et aux artérioles, ce qui dégrade l'appareil respiratoire et contribue à terme à l'incidence d'une hyper-tension artérielle chronique." Aujourd'hui Santé publique France reconnait un effet de la pollution de l'air à long terme sur les troubles développementaux chez l'enfant, la capacité pulmonaire est affectée tout comme les performances cognitives*. "Des particules fines comme le carbone suie passent la paroi alvéolaire des poumons, vont dans le sang et peuvent migrer jusqu'au cerveau,* poursuit chercheur. L'exposition à long terme à la pollution de l'air est donc associée à des troubles dans le développement de l'enfant et à l'incidence de maladies neurodégénératives, comme la maladie d'Alzheimer ou la maladie de Parkinson. A long terme, la pollution de l'air a des effets sur l'incidence des maladies cardiovasculaires et de maladies respiratoires, sur l'incidence du cancer du poumon et impacte aussi l'espérance de vie. Plus récemment, les études ont identifié d'autres troubles : des troubles de la reproduction et le diabète de type 2. En France, on estime que la pollution de l'air provoque une perte d'espérance de vie de 7,6 ans à 30 ans. C'est considérable."

Un manque de sensibilisation y compris dans le monde médical

La pollution de l'air serait donc à l'origine d'une pandémie, mais "d'une pandémie trop lente pour qu'elle alerte et crée une riposte politique rapide", s'alarme Thomas Bourdrel. Ce médecin radiologue, membre du collectif Air-Santé-Climat, tente d'alerter ses confrères depuis plusieurs années sur le scandale sanitaire que constitue la pollution de l'air. "Face à la pollution de l'air, les morts sont chroniques et multifactorielles donc ça ne saute pas aux yeux des politiques, ce qui retarde la mise en route de mesures efficaces," explique-t-il. Le médecin déplore la méconnaissance du monde médical, "les effets de la pollution de l'air ne sont pas enseignés dans les facultés et ne sont pas au programme des formations continues des médecins généralistes. Par exemple, les principaux effets documentés de la pollution de l'air sont les maladies cardiovasculaires et c'est très rare que l'on ait la pollution de l'air au menu des congrès de cardiologie ou de radiologie. 30% de la mortalité en lien avec la pollution de l'air sont des AVC et cette thématique n'est jamais abordée dans les cours de neurologie. Il y a donc un grand déficit de la formation médicale," regrette-il. Une méconnaissance qui se répercute au sein des sphères dirigeantes "où il y a une difficulté à classifier la dangerosité des polluants, ce qui pose problème pour appliquer des mesures publiques", d'après le chercheur. Certains polluants très toxiques ne sont ainsi pas réglementés et passent ainsi sous les radars à l'instar des particules ultrafines qui sont classées dans les polluants émergeants or ce sont ceux qui pénètrent le plus profondément dans l'organisme.

La Méthode scientifique
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