TÉMOIGNAGE - Après mon premier diplôme dans le domaine de la culture, je n’ai pas réussi à trouver d’emploi. J’ai enchaîné les contrats courts et précaires, puis, à défaut, j’ai trouvé des jobs alimentaires qui me permettaient de subvenir à mes besoins, mais certainement pas de mettre de l’argent de côté. Alors, à 27 ans, j’ai décidé de reprendre des études dans un secteur plus porteur pour accéder à un métier que j’aime et qui me permette de vivre.
En licence, je ne pouvais pas être boursière : j’avais déjà épuisé mes droits lors de mes précédentes études. Aujourd’hui arrivée au master, je n’y suis plus éligible car « trop âgée » pour y prétendre. Alors, comme tant d’autres étudiants précaires, je galère et la situation est de plus en plus difficile.
Un master à Tours, des stages à Rennes
Pour continuer à subvenir à mes besoins, j’ai passé ma licence à distance. Je travaillais en parallèle 35 heures par semaine. Trouver du temps pour mes cours était compliqué, et je dormais très peu pour pouvoir réviser la nuit. Mes notes en ont pâti et j’avais rarement le temps de voir mes proches. Quand j’ai obtenu ce diplôme, j’étais épuisée et ma santé mentale était au plus bas.
Je savais qu’en master, je devrais passer aux cours en présentiel, et aborder cette suite n’a pas été simple. En premier lieu, parce que la sélection est drastique entre licence et master. Cette année, j’ai postulé dans 15 universités et je n’ai été prise qu’à Tours, alors que j’habite à Rennes. C’est là que la situation devient sans queue ni tête : pour pouvoir prétendre à une place en master, j’avais dû trouver 200 heures de promesse de stage. J’ai trouvé les miennes en Bretagne, où je réside.
Au début du mois de septembre, j’ai donc fait ma rentrée avec un emploi du temps qui divise ma semaine en deux. Le lundi et le mardi, je suis en cours à Tours puis le reste de la semaine, je rentre à Rennes pour mes stages. L’organisation est bien plus difficile que ce qu’on peut imaginer sur le papier : les cours commencent à 8h, et le premier train arrive à 8h30. Pour être à l’heure, je dois me lever à 4h, puis faire trois heures de route en voiture. Pour me loger, impossible évidemment de payer deux loyers. Quand les températures le permettent, je dors au camping qui est l’option la moins chère. L’hiver arrivant, je sais que je vais devoir commencer à loger dans des Airbnb bien plus coûteux. J’ai envisagé de dormir dans ma voiture, mais je risque d’y avoir beaucoup trop froid.
Mes journées de cours se terminent à 19h. J’arrive à Rennes le mardi soir entre 22h30 et 23h. Le mercredi, jeudi et vendredi, j’enchaîne avec mes stages qui durent toute la journée, et qui ne sont pas rémunérés.
Financer ses études, entre stages non rémunérés et intérim
Entre le logement, l’essence et la nourriture sur place, je paie facilement 150 € chaque semaine uniquement pour pouvoir aller en cours et en stage, en plus du loyer et des charges de mon logement fixe à Rennes. Pour financer ces frais, je fais des missions d’intérim le week-end et j’essaie d’en ajouter les soirs de semaine dès que j’en ai l’opportunité. J’ai un mémoire à écrire et je ne sais pas quand je vais pouvoir le faire, à part la nuit. Mais je n’ai pas le choix : mes finances sont en permanence sur la corde raide, et je suis tout le temps dans le négatif.
J’ai des aides au logement pour mon appartement à Rennes, un peu d’économies que j’essaie de faire durer au maximum, et j’emprunte un petit peu à mes parents et à mon copain. C’est très stressant de savoir qu’à mon entrée sur le monde du travail, j’aurai déjà des choses à rembourser.
Quand j’en parle sur les réseaux sociaux, on me fait culpabiliser en me disant que j’aurais dû « y penser avant ». Que j’aurais dû attendre, économiser… Mais je ne vois pas comment : mes jobs alimentaires ne m’auraient jamais permis de mettre suffisamment de côté pour payer mes études.
« Je ne mange pas trois repas par jour, et je mange mal »
Mon quotidien est fait de privations très fortes, notamment sur l’alimentation. Je ne mange pas toujours trois fois par jour, et je mange très mal, toujours l’option la moins coûteuse. Souvent, ce sont des boîtes de ramen à 30 centimes de chez Action.
Les loisirs, qui sont si importants pour la santé mentale, sont inenvisageables. Je ne sors jamais boire un verre ou manger avec des potes, je ne vais pas au cinéma, et je ne peux pas imposer à mes amis de transformer leurs soirées au bar en balades gratuites.
Je ne peux plus avancer mes frais de santé, et je dois me priver de mon suivi psychologique. J’ai basculé sur un CMP gratuit dont les horaires de rendez-vous ne fonctionnent pas avec mon emploi du temps, j’ai arrêté de voir mon psychiatre, et ça devient le serpent qui se mord la queue : plus la situation dégrade ma santé mentale, moins j’ai accès aux soins.
Je sais que la situation n’est pas tenable sur la durée, mais j’essaie de tenir en me disant que dans deux ans, je devrais avoir un boulot qui me plaira et qui me permettra de rembourser les dettes que j’ai accumulées. Mais en attendant, il n’y a rien d’agréable dans un quotidien où on enchaîne les privations.
Être étudiant aujourd’hui est d’une précarité sans nom
Je suis épuisée d’entendre les discours déconnectés de la réalité des étudiants en 2023. Les chiffres sur la précarité étudiante ne suffisent pas à appréhender que faire des études aujourd’hui est une galère sans nom. Trouver des stages de courte durée qui ne rémunèrent même pas un petit peu, les sélections à tout va qui obligent à déménager ou à se déplacer, l’accès à la nourriture et au logement… Tout cela a un coût. Essayer d’accéder à un métier qu’on aime et qui nous rémunère, quel que soit notre âge, ça ne devrait pas être un enfer.
Je le constate au sein de ma promotion. Il y a un fossé immense qui sépare les personnes qui arrivent apaisées le matin - celles qui ont un lit pour dormir le soir et pas une tente, qui ont pu prendre un petit-déjeuner, qui n’ont pas d’inquiétudes - et ceux qui, comme moi, arrivent en ayant faim avec une gourde d’eau pour essayer de tenir la journée.
À écouter certains discours sur les étudiants aujourd’hui, on pourrait croire que tout le monde a une santé mentale à toute épreuve, que tout le monde a des parents qui ont de l’argent, que ceux qui n’en ont pas « peuvent vivre avec leur bourse ». C’est évidemment faux. Non seulement les bourses ne sont pas suffisantes pour vivre décemment mais pour ceux qui n’en ont pas, la situation est catastrophique. Nombreux sont les étudiants qui n’ont pas les conditions matérielles suffisantes pour être sereins, et les discours qui les prennent en compte sont rares. Ceux qui prennent en compte l’épuisement généré par ces situations le sont encore plus.
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