"La Fée aux choux" d'Alice Guy : épisode du podcast Les films qui ont changé le monde

"La fée aux choux" d'Alice Guy (1896)
"La fée aux choux" d'Alice Guy (1896)
"La fée aux choux" d'Alice Guy (1896)
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"La Fée aux choux" est le premier film de fiction français, réalisé en 1896 par la première femme cinéaste au monde : Alice Guy.

Avec
  • Céline Sciamma Scénariste et réalisatrice
  • Daniel Chocron Historien du cinéma, conférencier
  • Céline Zufferey romancière

Première femme cinéaste du monde, la Française Alice Guy a longtemps été une figure oubliée du secteur et des spectateurs. Voilà pourquoi en choisissant de revenir aux sources du septième Art, pour cette collection de dix films qui ont changé le monde, nous l’avons choisi elle plutôt que l’un des quatre grands noms des débuts de l’industrie cinématographique, ses illustres pairs : les Frères Lumières, Georges Méliès, Louis Feuillade ou encore Charlie Chaplin… tous pionniers de l’image en mouvement, inventeur d’un monde parallèle : le cinéma.

En 1896, Alice Guy a tout juste 23 ans et elle tourne son premier film, évidemment en noir et blanc, de moins d'une minute, la Fée aux choux, une courte fiction de 51 secondes durant lesquelles une femme, la fée aux choux, sort des bébés des crucifères...

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Une femme de cinéma effacée par le temps

Alice Guy sera cependant oubliée par la grande histoire, par l'histoire écrite, malgré ses propres efforts, avec son autobiographie, pour rétablir justice. Le temps lui a rendu sa juste place et aujourd’hui on ne se demande plus : connaissez-vous Alice Guy ? Mais plutôt : pourquoi a-t-elle été si longtemps éclipsée dans la grande histoire du cinéma ?

Scénariste, réalisatrice, productrice, directrice de studios…. Celle qui commença comme secrétaire de Léon Gaumont a saisi d’emblée qu’une révolution, technologique et artistique, était en cours ; et qu’elle en serait actrice, et non pas spectatrice. Fille de libraires, Alice Guy veut raconter des histoires, mais à sa manière, avec les futurs outils de son temps.

L'Invité(e) des Matins d'été
15 min

"Ce premier film de fiction, non seulement il déploie une petite histoire, mais surtout il la déploie exclusivement pour le langage du cinéma. Elle fabrique une histoire qui ne pouvait pas être racontée autrement qu’avec le langage du cinéma : une apparition et une disparition. Ce qui est extrêmement beau et émouvant quand on entend parler Alice Guy, c'est qu'elle parle en mètres : d'abord parce que, évidemment, la pellicule défile dans le magasin et ce sont physiquement des mètres, mais c’est aussi parce qu’elle invente des histoires pour l’art du mouvement, et que cet art se mesure en mètres. Elle utilise "l’effet spécial" du montage, pratiqué dans sa plus grande candeur - qui nous semble aujourd'hui candide. C'est une idée poétique qui est le fruit d’une invention scientifique vieux d'à peine quelques années. Le mouvement fait son entrée dans l’histoire de l’art, et c’est une jeune femme d’une vingtaine d’années qui réfléchit et qui donne tout son cerveau pour participer à inventer cette langue." Céline Sciamma

Une artiste touche-à-tout

Alice Guy s'empare du cinéma pour raconter son époque, par de petits films qu'on pourrait qualifier de documentaires, et expérimente une large gamme de genres durant sa carrière tant française qu'américaine :

"D’une part quand on voit ses films on voit aussi l’état d’une société. En 1899 elle tourne "Vue de l’opéra", qui montre la place de l’Opéra à Paris. Ca dure une minute, on voit toute la place envahie par des carrioles, des charrettes, et c'est seulement à la toute fin qu'on voit une unique voiture. Elle documente aussi des métiers qui aujourd'hui n’existent plus, il y a une valeur de témoignage. Quand on se penche sur sa filmographie il y a absolument tous les genres : quand elle était encore en France elle a tourné des films grivois, des films fantastiques, de science-fiction, puis aux Etats-Unis elle a filmé des westerns, qui s'appelaient alors des films de cow-boys, ou encore des films d'horreur. Elle a touché tous les genres." Daniel Chocron

Alice Guy Blaché, au centre, lors du tournage de l'émission "Cinépanorama" à son domicile en avril 1957
Alice Guy Blaché, au centre, lors du tournage de l'émission "Cinépanorama" à son domicile en avril 1957
© AFP - Gérard Landau / Ina / Ina via AFP

Vers une légende Alice Guy

Si les milieux des historiens du cinéma connaissaient très bien Alice Guy depuis plusieurs années, le grand public n'a accès à elle, à son histoire que depuis peu. Selon Céline Zufferey, c'est parce qu'il y a une différence entre l'histoire en tant que discipline scientifique, et la légende. Nous connaissons Méliès, Lumière, car leurs vies ont été érigées en légendes. Aujourd'hui, il s'agirait de rendre la pareille à Alice Guy : répéter sans cesse son histoire, sa vie, raconter ses réussites, ses échecs, montrer ses films pour, quelque part, l'augmenter, et complexifier l'Histoire ; en somme, se souvenir d'Alice Guy, la rendre vivante.

"Dans ces films il y a des hachures, une désintégration de la pellicule, qui rend l'image comme vivante, le film semble presque respirer, il y a davantage de matérialité que ce qu'on peut voir avec les images numériques. Il y a un film d'Alice Guy qui m'a obsédé, c’est "Alice Guy tourne une phonoscène". Dans ce petit film on la voit, alors qu'elle n’apparaît jamais dans ses films. On la voit tourner, on la voit au travail ; à un moment donné elle se retire pour vérifier la caméra et la prise de vue et on a cette impression de quelqu’un d'il y a cent ans qui se retourne et nous regarde. Elle a une grande robe et la taille prise dans un corset, mais elle a les manches relevées. Ces manches pour moi c’est devenu tout un symbole de femme qui réalise des films mais qui n’a pas encore le droit de vote, qui est dans un corset, dans une tenue pas confortable pour travailler, mais qui l'accepte et relève ses manches pour travailler." Céline Zufferey

Pour en parler

  • Céline Sciamma , cinéaste, notamment du Portrait de la jeune fille en feu , et auteure de la préface à l'autobiographie d'Alice Guy La Fée-cinéma, autobiographie d'une pionnière réédité en 2022 par Gallimard (collection Imaginaire)
  • Céline Zufferey , romancière, auteure de Nitrate (Gallimard, 2023), dont l’héroïne Constance – monteuse de films - a lu les mémoires d’Alice Guy qui y raconte comment elle a dû renoncer à son ascension du Mont Blanc. Constance veut réparer l’histoire, réparer la mémoire, recomposé le film à partir d’images d’archives et part à la recherche d’une bobine perdue.
  • Daniel Chocron , historien du cinéma, auteur d' Alice Guy, pionnière du cinéma , éditions Le Jardin d'essai, 2013

Pour aller plus loin

Références sonores

Qui est Alice Guy ?, reportage dans les bureaux de la société Gaumont, enregistré le 02/07/1975 par France Culture

  • "Les arts du spectacle", émission du 26 janvier 1972 sur France Culture
  • l'émission Archives du cinéma, diffusée sur RDF/RTF en 1949
  • Plein feu sur les spectacles du monde, enregistrée sur RDF/RTF en 1957
  • "Par les temps qui courent", diffusée sur France Culture le 04/01/2022
  • Extrait d'Alice Guy (2022), documentaire de Nathalie Masduraud et Valérie Urréa
  • Lecture d'un extrait de l'autobiographie d'Alice Guy par Delphine Seyrig dans l'émission Qui est Alice Guy ?, reportage dans les bureaux de la société Gaumont , enregistré le 02/07/1975 par France Culture
  • Les archives sonores du cinéma français, Gaumont, 19/06/1975

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