Controverses : « Ce qui est interdit hors ligne doit être interdit en ligne »

« Il n’est pas possible de vivre dans un monde où, parce que tout le monde se sent anonyme, un sentiment d’impunité généralisée règne » , a écrit Paul Midy, rapporteur du projet de loi, lors de son plaidoyer pour la fin de l'anonymat en ligne. [Wirestock Creators / Shutterstock]

« Ce qui est interdit hors ligne doit être interdit en ligne » : tel est le credo que l’Union européenne s’est efforcée de mettre en place dans le but de réglementer internet. Pourtant, politiques et experts continuent de se demander si l’interdiction de l’anonymat en ligne n’est pas l’étape finale d’atteinte de cet idéal.

Ce débat, qui a d’abord fait surface lors des négociations sur le règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), a réapparu à l’Assemblée nationale le 19 septembre, alors qu’une commission spéciale examinait le projet de loi du gouvernement visant à « sécuriser et réguler l’espace numérique ».

« Il n’est pas possible de vivre dans un monde où, parce que tout le monde se sent anonyme, un sentiment d’impunité généralisée règne » , a écrit Paul Midy, rapporteur du projet de loi, lors de son plaidoyer pour la fin de l’anonymat en ligne.

La proposition de M. Midy souhaitait apporter une réponse aux émeutes destructrices qui ont eu lieu en France à la fin du mois de juin et ont mis à jour la difficulté de la police française face à la difficile traque des « chefs de meutes » en ligne, qui ont appelé à des actions violentes.

M. Midy appartient au parti Renaissance (Renew Europe), dont les eurodéputés du même groupe se sont opposés à une telle disposition lors des négociations du DSA en 2021.

M. Midy a finalement retiré son amendement après avoir rencontré une forte opposition de la part de ses collègues de l’Assemblée nationale.

Utilisation des VPN

Dans le cadre du même projet de loi, deux groupes de députés français ont proposé des amendements visant à restreindre l’utilisation des VPN (réseaux privés virtuels), qui permettent de naviguer de manière sécurisée et anonymisée sur internet.

Le 15 septembre, Mounir Belhamiti a déposé un amendement co-signé par 27 députés Renaissance suggérant d’interdire l’utilisation des VPN.

Le 30 septembre, 28 députés du groupe Horizons (droite) ont déposé un amendement visant à interdire le téléchargement de VPN sur les magasins d’applications (comme l’App Store d’Apple ou le Galaxy Store de Samsung).

Leurs arguments étaient similaires : l’utilisation de VPN empêche les services judiciaires d’identifier les utilisateurs sur les réseaux sociaux responsables de comportements illégaux, ce qui entraîne un décalage dans l’application de l’État de droit hors ligne et en ligne.

Cependant, Jérôme Notin, directeur de Cybermalveillance.gouv.fr, une autorité française impliquée dans l’information des menaces numériques et d’assistance aux victimes de cybermalveillance, a expliqué que l’interdiction de l’utilisation des VPN comportait de forts risques en termes de cybersécurité.

Le député Philippe Latombe (MoDem, affilié à Renew Europe) a déclaré à Euractiv que le dernier amendement déposé était « stupide, inutile, impraticable techniquement, dangereux et hors-sol ».

Selon lui, un VPN pourrait toujours être téléchargé en dehors des magasins d’applications et a souligné que « l’anonymat sur internet n’est pas synonyme d’impunité ».

Pour illustrer son propos, il a notamment cité le système français Pharos, qui permet aux utilisateurs de signaler à la police française des contenus illégaux sur internet.

Selon M. Latombe, les services d’enquête de la police devraient être les seuls à pouvoir identifier les utilisateurs responsables de comportements illicites en ligne.

Les députés de La France Insoumise (affiliés à The Left) ont publié une lettre ouverte le 4 octobre, qualifiant l’initiative visant à mettre fin à l’anonymat en ligne de contraire aux lois européennes et de la Charte européenne des Droits de l’Homme.

Finalement, Belhamiti a retiré son amendement, tandis que celui d’Horizons sera bientôt débattu en séance plénière.

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Pseudonymat

Le débat sur l’anonymat est souvent lié au pseudonymat. M. Midy a écrit dans la justification de son amendement que le principe proposé était « de permettre bien sûr le pseudonymat, mais de limiter l’anonymat dans l’espace numérique, exactement comme dans l’espace physique ».

Le rapporteur a donc suggéré de créer une procédure certifiée reliant les comptes des utilisateurs de réseaux sociaux aux plateformes d’identification gouvernementales (comme FranceIdentité).

Cependant, cet argument soulève les mêmes problèmes de protection de la vie privée que ceux cités précédemment.

Aurélien Taché, un député écologiste, a déclaré à Euractiv que la proposition de pseudonymisation de M. Midy constituait « une faille terrible » au niveau des libertés fondamentales des citoyens, expliquant que « l’État n’a pas à surveiller en direct tout ce qui est fait par ses citoyens ».

Travaillant sur le règlement du portefeuille numérique européen, Mikuláš Peksa, un député européen du Parti Pirate (affilié aux Verts), a déclaré à Euractiv que la pseudonymisation était également une préoccupation pour son parti.

Il a déclaré que « la pseudonymisation prévue dans le texte est susceptible d’être rétro-ingénierée et n’est donc pas une véritable pseudonymisation », exprimant ses inquiétudes quant à de possibles atteintes aux droits fondamentaux des citoyens en ligne.

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