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Gardes à vue : en cas de «conditions indignes», la personne peut être remise en liberté, juge le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel se prononçait vendredi 6 octobre sur une question prioritaire de constitutionnalité concernant les conditions de garde à vue dans les locaux de police, qualifiées d’«indignes» par l’association des avocats pénalistes.
par Ludovic Séré et AFP
publié le 6 octobre 2023 à 10h28

Un rappel à l’ordre constitutionnel et une avancée a minima pour la dignité des personnes gardées à vue. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé ce vendredi 6 octobre après une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant les conditions de garde à vue dans les locaux de police que l’association des avocats pénalistes (Adap) qualifiait d’«indignes». Les Sages jugent qu’«en cas d’atteinte à la dignité d’une personne résultant des conditions de sa garde à vue, le magistrat compétent doit immédiatement prendre toute mesure afin de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, ordonner sa remise en liberté».

En outre, «la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle», est-il noté dans un communiqué. «A ce titre, [les autorités de police judiciaire compétentes] doivent s’assurer que les locaux dans lesquels les personnes sont gardées à vue sont effectivement aménagés et entretenus dans des conditions qui garantissent le respect de [la dignité de la personne].»

«C’est une victoire a minima», a réagi Me Patrice Spinosi, avocat de l’Adap. «Nous avons le sentiment qu’en dépit du constat de l’indignité structurelle des conditions de garde à vue, le Conseil constitutionnel n’a pas souhaité aiguillonner le législateur vers une réforme», a-t-il déclaré, voyant dans cette décision une «sorte de sparadrap». Sentiment partagé par Romain Boulet, coprésident de l’Adap, qui se dit «amer» et évoque une «décision décevante» et une «occasion manquée». «L’Adap constate que la réserve d’interprétation renvoie aux procureurs et au juge d’instruction la responsabilité de mettre fin aux gardes à vue indignes. Les avocats pénalistes sauront inlassablement rappeler aux magistrats la nouvelle responsabilité qui est désormais la leur.»

Me Patrice Spinosi s’est tout de même réjoui que, «pour la première fois», «est reconnu le fait que le procureur de la République a le devoir de libérer une personne en garde à vue» si les conditions de celle-ci sont indignes. L’Adap réclamait que l’on impose à l’autorité judiciaire «de s’assurer que sa décision de placement ou maintien en garde à vue ne puisse conduire à exposer la personne concernée à des conditions matérielles de détention indignes». Ainsi que l’obligation pour l’administration de «s’opposer à une décision de l’autorité judiciaire de placement ou maintien en garde à vue» si les conditions du respect de la dignité n’étaient pas remplies.

De mauvaises conditions «connues de toute la chaîne policière et judiciaire»

«Jusqu’à six personnes dans 5 m², des matelas partagés et jamais nettoyés, des toilettes régulièrement bouchées et souvent une odeur pestilentielle», avait notamment énuméré le 26 septembre Me Patrice Spinosi, représentant l’Adap, au moment de saisir le Conseil constitutionnel. L’avocat avait alors appelé les membres de l’institution à imposer des garanties légales pour contraindre les autorités à assurer des conditions dignes pour les gardés à vue, en les invitant à ne pas «détourner lâchement le regard».

Le conseil avait rappelé que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) avait publié en septembre 2021 une série de recommandations, en constatant «la totale indignité des conditions d’accueil des locaux de garde à vue et de dégrisement de la police nationale». «Un cri dans le désert», insistait également Me Patrice Spinosi, pour qui les mauvaises conditions en garde à vue sont «connues de toute la chaîne policière et judiciaire».

Des «solutions» avaient ainsi été proposées au Conseil constitutionnel, notamment un dispositif permettant de «contraindre l’autorité judiciaire à mettre fin à une garde à vue en cas d’indignité constatée». «Ayez à l’esprit que des solutions sont possibles», avait renchéri Me Paul Mathonnet, représentant du syndicat des avocats de France, en dénonçant une «chaîne de déresponsabilité» chez les autorités.

Pour Me Philippe Pericaud, représentant du Conseil national des barreaux, «l’autorité qui décide de placer en garde à vue doit s’assurer que la dignité de cette personne n’est pas atteinte par cette mesure». «Ces garanties légales ne changeraient rien», avait répondu le représentant de la Première ministre, assurant que «le régime légal présente des éléments de contrôle de la dignité en garde à vue».

Mis à jour à 13 h 10 : avec les réactions de représentants de l’Adap.

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