Lancée samedi 7 octobre par le Hamas (Mouvement de la Résistance islamique, au pouvoir dans la bande de Gaza depuis juin 2007) et ses alliés du Jihad islamique et du FPLP (Front populaire de Libération de la Palestine), l’opération “Déluge d’Al-Aqsa” a mis KO debout la société israélienne, son armée et sa presse, cette dernière attribuant au Premier ministre Benyamin Nétanyahou (Likoud, droite nationaliste) la responsabilité d’un meḥdal (“déroute” en hébreu) semblable à celui de la guerre du Kippour d’octobre 1973, il y a exactement cinquante ans.

Dans Ha’Aretz, Yossi Verter n’y va pas par quatre chemins. “L’humiliation emplit nos cœurs de fureur et nos yeux de larmes. C’est d’abord une tragédie personnelle pour ces centaines de familles vivant dans ‘l’Enveloppe de Gaza’ [‘Otef ‘Azza, surnom hébreu donné au territoire israélien entourant la bande de Gaza].

Des taches de sang sur le mur d’un commissariat de police israélien de la ville juive de Sderot.  PHOTO
Des taches de sang sur le mur d’un commissariat de police israélien de la ville juive de Sderot. PHOTO RONALDO SCHEMIDT / AFP

Des civils abandonnés à leur sort

Ensuite, poursuit-il, “ce sont ces centaines de morts et ces images traumatisantes qui montrent des terroristes armés du Hamas se déplacer le plus calmement du monde, motorisés ou carrément à pied, et tirer sur tout ce qui bouge en plein territoire israélien. Pendant plusieurs heures, les civils du Néguev occidental ont été abandonnés à leur sort et une centaine d’entre eux ont été kidnappés et ‘exfiltrés’ dans la bande de Gaza, en l’absence de toute force militaire ou de police.”

Toujours pour Yossi Verter, Israël, superpuissance régionale dotée des instruments létaux et de renseignements les plus sophistiqués du Moyen-Orient, a été tout simplement humilié par une organisation terroriste “de troisième ordre”, comparée au Hezbollah libanais pro syrien.

Et l’éditorialiste de conclure :

“Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou et son ministre de la Justice Yariv Levin, obsédés par la ‘réforme judiciaire’ et dépendants de l’extrême droite qui a désorganisé nos institutions militaires, sont les seuls responsables de ce qui restera dans l’Histoire comme ‘la déroute de 2023’.”

La barrière de séparation ? Un “tigre de papier”

Dans Yediot Aharonot, Nahum Barnea n’est pas plus tendre. “La barrière de séparation érigée autour de la bande de Gaza a coûté 3,5 milliards de shekels [8,6 millions d’euros] en surface et sous terre, via des capteurs et des caméras dernier cri. Hier [samedi 7 octobre], elle s’est révélée un tigre de papier.”

Jusqu’à ce samedi, rappelle-t-il, “Nétanyahou et, soyons de bon compte, l’establishment de l’armée et des renseignements nous avaient vendu une ‘kontseptsiya’ (conception) selon laquelle le Hamas se satisferait d’un armistice officieux en échange d’une reprise de l’aide économique israélienne. Comme à la veille d’octobre 1973 face aux armées égyptienne et syrienne, il y a cinquante ans ans, cette ‘kontseptsiya’ s’est avérée un trompe-l’œil.”

Une armée israélienne monopolisée par les colonies de Cisjordanie

De son côté, dans Maariv, Ben Caspit se déchaîne. “Le problème est que, depuis l’arrivée au pouvoir il y a dix mois des deux partis d’extrême droite d’Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, la majeure partie des effectifs d’active israéliens a été transférée en Judée-Samarie [Cisjordanie occupée] et a été monopolisée pour séparer les terroristes palestiniens de nos extrémistes israéliens et que notre armée a été distraite de sa mission première de protection du territoire d’Israël. Voilà le résultat.”

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Mais, toujours selon Ben Caspit, à toute chose, malheur est bon. “Au moins, malgré la crise de régime qui paralyse Israël depuis dix mois, les pilotes de chasse et les réservistes des différents corps d’armée bruyamment hostiles à la ‘réforme judiciaire’ de Nétanyahou et de ses alliés ont repris leurs uniformes et rejoint leurs unités. Accusés de haine de soi, d’antipatriotisme et d’antisionisme, eux, au moins, ont pris leurs responsabilités. En attendant de demander des comptes à Nétanyahou.”

Un gouvernement d’urgence nationale ?

À ce propos, dans ce contexte, sera-t-il possible de renvoyer le Premier ministre israélien face à ses responsabilités supposées dans le meḥdal de 2023 ? Sur ce point, les éditorialistes israéliens se montrent plutôt divisés.

Nahum Barnea, dans Yediot Aharonot, veut y croire : “Samedi soir, Yair Lapid [chef du parti centriste d’opposition Yesh Atid, “Il y a un Avenir”] a proposé à Nétanyahou de mettre sur pied un gouvernement d’urgence constitué du Likoud, de Yesh Atid et du Mahaneh Mamlakhtit [“Camp Étatique”] de l’ancien général Benny Gantz, à la condition que le gouvernement actuel mette au frigo la ‘réforme judiciaire’, voire se débarrasse de son aile d’extrême droite. Cette proposition est a priori raisonnable.”

Mais il est peu probable que Nétanyahou accepte un tel scénario. Se séparer des ministres suprémacistes Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir risque de voir la tendance majoritaire du Likoud, emmenée par le toxique ministre de la Justice Yariv Levin, faire défection et abandonner Nétanyahou face à ses affres judiciaires.

Des boucliers humains, et un sursis pour Nétanyahou

Et le pire est à venir, pour Yossi Verter, dans Ha’Aretz. “Avant de présenter Nétanyahou devant le ‘tribunal de l’opinion’, nous allons d’abord devoir gérer la question de la centaine d’Israéliens capturés par le Hamas, ‘exfiltrés’ vers la bande de Gaza et promis au rôle de boucliers humains. Du jamais vu dans la brève Histoire de notre État. Une question qui, paradoxalement, donnera un peu de répit au Premier ministre. Mais pour combien de temps ? Tôt ou tard, Nétanyahou devra rendre des comptes.”