Soigner l’obésité : un combat collectif

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Dans les Hauts-de-France, 22,1% de la population souffre d’obésité. C’est 5 points de plus que la moyenne nationale. La maladie est complexe, multifactorielle, et nécessite une prise en charge longue et globale. Quel est l’accompagnement dans la région ? Reportage à Amiens et à Lille.

Avec
  • Martine Laville professeure émérite de nutrition à l'université Claude Bernard de Lyon

« Il suffit de mieux manger », « bouge toi et tu vas maigrir », « si tu es gros, c’est de ta faute ». Des injonctions, des remarques comme des coups de poignards, que les personnes qui souffrent d’obésité ont entendu des dizaines et des dizaines de fois. 67% des Français interrogés pensent que perdre du poids est une question de volonté. Mais l’obésité est reconnue comme une maladie par l’Organisation mondiale de la santé depuis 1997. Elle est complexe et multifactorielle. « Les causes sont à mettre au pluriel », explique Jean-Daniel Lalau, médecin nutritionniste au CHU d’Amiens, « ce n’est pas forcément l’alimentation à mettre en premier, même si elle joue un rôle, mais on parlera d’une activité physique insuffisante, d’un stress ambiant, de problèmes d’hormones, de pathologies qui entravent la mobilité, une prise de médicaments, des gènes héréditaires, et aussi un héritage culturel, les façons de vivre, de manger ». D’où la prise en charge complexe et longue pour lutter contre l’obésité.

"La maladie de l'obésité est complexe et multifactorielle", Jean-Daniel Lalau, médecin nutritionniste au CHU d'Amiens.
"La maladie de l'obésité est complexe et multifactorielle", Jean-Daniel Lalau, médecin nutritionniste au CHU d'Amiens.
© Radio France - Lise Verbeke

En France, 17% de la population en souffre. Dans la région des Hauts-de-France, ce pourcentage grimpe à 22,1%. Derrière ce chiffre, se cache une souffrance « que les gens ne veulent pas voir », lance Lydie, la présidente de l ’association Les Petits Poids. Installée à Camon, près d’Amiens, cette association est la seule du département de la Somme à aider les personnes en situation d’obésité. Elle propose tout un tas d’activités, atelier cuisine, sophrologie, broderie, mais aussi beaucoup de sport adapté, gym, renforcement musculaire, cardio, marche nordique, natation etc. Régulièrement, Lydie organise des groupes de paroles, ouverts aux 200 adhérents. Ce soir là, une petite dizaine est venue, toutes des femmes, pour parler de leur vécu avec l’obésité. Les témoignages s’enchainent avec un point commun : la violence du corps médical à leur égard. « Un gynéco m’a dit que si je voulais avoir un enfant, il fallait que je perde 20 kilos. Je perds 20 kilos, il me dit que je suis encore trop grosse, à l’examen, il me dit que la graisse le gène ». « Des médecins qui me disent, je ne peux rien faire pour vous, tant que vous ne maigrissez pas ». « Dans la société, un gros, c’est moche, c’est quelque chose, même pas quelqu’un, qui va coûter à la société ». Lors de la crise Covid, Lydie a vu la situation des adhérents se dégrader, « ils avaient peur de sortir, et le stress a engendré des prises de poids ». L’inflation joue un rôle aussi. L’association propose des ateliers cuisines pour apprendre à faire à manger à petit budget, « mais cela reste à 2-3 euros par personne, pour une famille de 4, à la fin du mois, le budget alimentation reste énorme ». « Le début du mois est équilibré, ajoute Fanny, une adhérente, mais la fin un peu moins. Tout à l’heure en faisant mes courses, j’ai vu les fraises à 6 euros la barquette, le melon à 5 euros, c’est trop cher ». A cela s’ajoute la précarité cognitive, selon Lydie, « les gens ne savent plus cuisiner, il faut leur réapprendre, leur redonner ce plaisir. Souvent, les gens seuls me disent qu’ils ne veulent pas cuisiner uniquement pour eux, alors ils grignotent ou sautent des repas ».

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L'alliance thérapeutique

Les Petits poids travaillent en réseau avec d’autres acteurs sur le territoire picard. Notamment avec  les Pôles de prévention et d’éducation du patient. Ils existent depuis plus de 20 ans, implantés dans 8 villes de l’ex région Picardie. C’est un réseau régional unique et précurseur en France. Dans chaque pôle, une équipe pluridisciplinaire : infirmiers, psychologues, médecins et diététiciens. Ils aident les patients, en grande majorité souffrant d’obésité, qui ont été adressés par leur généraliste ou par un spécialiste. Un accompagnement long, pendant 6 mois, un an, voire plus. Et tout est financé par la sécurité sociale. Ici pas de blouses blanches, nous sommes dans la ville, hors de l’hôpital. « Les patients sont suivis individuellement et en groupe, avec différents ateliers, sur les croyances alimentaires, les faims, les émotions », détaille Rose-Noëlle Villuendas, infirmière au pôle d’Amiens. Le travail en groupe est important, « car il permet aux patients de s’appuyer sur leurs expériences, d’échanger sur leurs situations, une parole d’un patient peut faire écho, peut-être même plus que la parole du soignant ». Les profils des participants sont identiques sur un point : ils ont tous suivis des régimes, fait le yoyo avec leur poids, et « ont cru que c’était de leur faute, avec une perte de confiance qui fait qu’ils se déconnectent de leur corps, il faut donc tisser une alliance thérapeutique avec eux », explique le psychologue du pôle, Alexandre Lemonnier. Il remarque que dans l’obésité, « beaucoup de personnes ont des antécédents, des carences, des sévices, voire des violences sexuelles dans leur passé, d’où l’importance ici d’un suivi sur le moyen et le long terme ».

Les patients du pôle de prévention apprennent à reconnaitre les signaux de la faim.
Les patients du pôle de prévention apprennent à reconnaitre les signaux de la faim.
© Radio France - Lise Verbeke

Ces pôles de prévention et d’éducation du patient ont été créés par le médecin nutritionniste Jean-Daniel Lalau. A une époque où l’obésité était considérée comme un facteur de risque plutôt qu’une maladie. Il estime que la prise en charge de l’obésité sur le territoire picard est insuffisant. « Il y a un décalage entre la médiatisation et la médicalisation. Il y a peu de médecins nutritionnistes. Il y a des diététiciens, mais leurs actes ne sont pas remboursés, pareil pour les psychologues et l’activité physique adaptée. L’éducation thérapeutique du patient existe mais elle est très peu valorisée. C’est très choquant face à un problème de santé considérable ». Il prône un projet médical avec différents acteurs, pour ne pas reproduire « le plus grand travers de la médecine, qui est la fragmentation ».

L'expérimentation GPS Obésité

Regrouper la prise en charge. Dans le Nord, une expérimentation en ce sens a été lancée il y a 2 ans. Elle s’appelle  GPS Obésité. Pour repérer, guider et orienter les patients. Pendant 2 ans, ils sont donc suivis par une équipe pluri-disciplinaires. Diététiciens, psychologues, kinés, professeurs de sports adaptés. Le tout pris en charge par l’assurance maladie. « Une petite centaine de patients fait partie de l’expérimentation. La difficulté est de les identifier, car beaucoup passent sous les radars, le programme GPS Obésité permet de les accompagner dans la durée », détaille Carole Debailleul, diététicienne et coordinatrice. « L’expérimentation dure 5 ans, en espérant la pérenniser pour avancer sur la prise en charge du patient obèse », ajoute-t-elle.

L’intérêt du programme est aussi de mobiliser les médecins traitants, comme point de départ de l’accompagnement. Jan Baran est médecin généraliste à Wattrelos, dans la métropole lilloise. Il a rapidement accepté de participer au projet. « Pour les patients, c’est compliqué de devoir prendre des rendez-vous différents, l’endocrinologue et les spécialistes, ça prend du temps. Le psychologue, c’est couteux, l’activité physique, il faut trouver les bons correspondants. Avec GPS Obésité, on leur donne tout clé en main ».

A l’origine de l’expérimentation, il y a Monique Romon, professeure émérite de nutrition à la fac de Lille. Il y a 25 ans, elle a créée  l’association Rest'O dans la métropole lilloise, pour aider les personnes atteintes d’obésité au plus près de chez elle, dans les quartiers. Avec GPS Obésité, elle veut toucher d’avantage de patients, sur un territoire plus large, dans le Nord et le Pas-de- Calais, puis en Picardie.

Monique Romon, professeure émérite de nutrition à Lille, est à l'origine de l'expérimentation GPS Obésité.
Monique Romon, professeure émérite de nutrition à Lille, est à l'origine de l'expérimentation GPS Obésité.
© Radio France - Lise Verbeke

Selon elle, les Hauts-de-France sont plus touchées par l’obésité car c’est aussi l’une des régions les plus pauvres de France. « L'obésité touche plus les personnes socialement défavorisées, pas tellement, comme on le dit toujours, parce que les aliments sains sont plus chers. Ce sont plutôt les représentations. Le seul luxe qu'elles peuvent se permettre, ce sont les aliments qu'elles voient à la télévision et qui sont en général des aliments ultra transformés, gras, salés, sucrés et qui sera leur plaisir. Et puis, il y a aussi le fait que leurs comportements ne sont pas dictés par la santé. Parce que la santé, c'est loin. Quand on a des problèmes du quotidien, quand on ne sait pas comment on va pouvoir payer le loyer, on ne se préoccupe pas de savoir comment va être la santé dans cinq ou dix ans. Donc quand vous dites par exemple manger des fruits et des légumes pour votre santé, ils s'en foutent complètement ».

Chirurgie de l’obésité

Quand l’obésité est sévère, la chirurgie bariatrique peut intervenir en dernier recours. A Lille, dans  l’unité médico-chirurgicale de l’hôpital Huriez, 500 personnes sont opérées chaque année.

Les chirurgiens qui expliquent bien aux patients que la chirurgie n’est pas une solution miracle. « Après l’opération, ils perdent environ la moitié de leur excès de poids », ajoute le docteur Hélène Verkindt, « d’où l’importance du suivi post-opératoire ».

Avant l’opération, les patients suivent un parcours d’éducation thérapeutique dans l’unité de Lille. C’est obligatoire, pendant environ 6 mois. Il y a des entretiens individuels ou en groupe avec des psychologues, des séances de sports adaptés, et des ateliers avec Fiona Dumur l’une des diététiciennes de l’unité, qui se bat contre les injonctions alimentaires. « Finis ton assiette, tu ne sors pas de table avant d’avoir fini, il faut toujours terminer par un dessert… On remet à plat tout cela, en leur disant que l’équilibre alimentaire, c’est un peu de bon sens . Et il y a souvent un déclic chez le patient à la fin de notre parcours, où il nous dit 'j'arrête de manger quand je n’ai plus faim, j’ai appris à poser mes couverts et à mettre les restes au frigo, je me suis rendu compte que je me sens mieux quand j'écoute ma satiété' ».

Dans l'unité médico-chirurgicale de l'hôpital Huriez, le mobilité est adapté.
Dans l'unité médico-chirurgicale de l'hôpital Huriez, le mobilité est adapté.
© Radio France - Lise Verbeke

Pour Francois Pattou, chirurgien en chef et coordinateur du centre spécialisé de l’obésité de Lille, les causes de la maladie sont dû pour moitié à la génétique, il parle d’injustice biologique, et l’autre moitié à l’environnement, au comportement. D’où l’importance de la chirurgie, selon lui. « Vous ne pouvez pas, avec l'exercice physique seul ou la prise en charge psychologique seul, permettre à quelqu'un qui a un surpoids très important de maigrir de façon durable. Il faut cette tricherie biologique. C'est un point important parce que cet acte, c'est de cette confusion que naît tout ce dilemme de la prise en charge de l'obésité, la stigmatisation des personnes obèses qu'on assimile à tort à des personnes qui ont un trouble du comportement, un manque de la volonté alors qu'elles ont un problème de biologie. ».

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