Tonnes de drogue, armes de guerre, corruption... Un gigantesque réseau mafieux démantelé entre la Côte et Monaco

Après deux ans d’enquête mobilisant la Police judiciaire de Nice, 17 suspects ont été interpellés et 9 écroués. Dont une policière monégasque.

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Christophe CIRONE Publié le 11/10/2023 à 06:30, mis à jour le 11/10/2023 à 09:23
De la cocaïne en provenance d’Amérique latine irriguait notamment les Alpes-Maritimes et le Var. Photo d’illustration Cyril Dodergny

Des importations de drogue qui se comptent en tonnes. Des armes de guerre qui circulent par-delà les frontières. Du blanchiment à grande échelle. Et des maillons corrompus, jusqu’à une policière monégasque. Tel est le tableau sidérant mis au jour par la police judiciaire et révélé par Le Parisien, après deux années d’une enquête qui a eu pour décors la Côte d’Azur et Monaco. Bilan: 17 personnes interpellées, 11 présentées à un juge d’instruction, 9 placées en détention. Et à la clé, un réseau mafieux originaire des Balkans démantelé.

Les coulisses des narcos décryptées

A l’origine de l’affaire, il y a un nom: Sky ECC. Ce réseau crypté ultra sécurisé était cher aux narcotrafiquants... jusqu’en février 2021, quand la police a percé ses mystères. Une mine d’or pour les enquêteurs de tous pays. Parmi les dossiers confiés à la police judiciaire, il y a celui-ci. Du lourd. "Mais au départ, il n’y a que des pseudos, rappelle une source policière. On doit mettre des noms dessus pour identifier l’ensemble des malfaiteurs."

Un suspect serbe au cœur du trafic

La juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) pilote les investigations. Elle y associe l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) et la PJ de Nice, épaulés par l’office antistupéfiants (Ofast) et la police monégasque. Leur base de travail: un an d’échanges décryptés. "ça a attiré notre attention sur un individu serbe qui semblait au cœur d’un trafic de stupéfiants", indique le parquet de Paris.

Des ramifications de Nice à Menton

Treize suspects ont été entendus par la police judiciaire à la caserne Auvare. Photo archives Dylan Meiffret / Nice Matin.

L’individu en question réside à Roquebrune-Cap-Martin. Il n’est pas le seul à apprécier la Côte d’Azur. Nice, Drap, Beaulieu-sur-mer et Menton dessinent la carte des interpellations à venir. Les cibles: des ressortissants serbes surtout, mais aussi croates, des Albanais, des Ukrainiens et des Français. "Des mafieux balkaniques, de très beaux voyous", estime un enquêteur.

La drogue destinée aux Alpes-Maritimes et au Var

L’enquête exige coopération et discrétion. Elle s’immisce dans les échanges téléphoniques, plonge dans les flux bancaires, se prolonge dans les filatures. Un travail de titan pour la brigade des stups de Nice et la brigade de répression et d’intervention (BRI). Derrière des activités de façade dans l’immobilier ou la vente de voitures, la PJ lève le voile sur un trafic international de cannabis et cocaïne, venu d’Amérique latine, qui irrigue notamment Alpes-Maritimes et Var. "On comprend qu’ils ont réalisé des importations qui se chiffrent en tonnes. Sans le décryptage de Sky ECC, ils auraient pu continuer à passer sous des radars..."

Armes de poing et Audi blindée

Mardi 3 octobre, la police passe à l’action. La PJ interpelle treize suspects dans les Alpes-Maritimes, avec le renfort du RAID. La police monégasque en interpelle quatre autres. Parmi les interpellés, un couple de policiers monégasques. Le mari sera remis en liberté. Pas sa femme, suspectée d’avoir renseigné les malfaiteurs. Une ex-fonctionnaire de la mairie de Cannes figure également parmi les suspects. Elle aurait joué les facilitatrices. Lors des perquisitions, les policiers saisissent une Audi A8 blindée, des montres de luxe, des armes de poing et gilet pare-balles.

Une policière de Monaco écrouée

Durant les quatre jours de garde à vue à la caserne Auvare, les suspects ne brillent pas par leur envie de coopérer. Onze d’entre eux font l’objet d’un mandat d’amener à Paris. Ce lundi, ils ont défilé dans le cabinet de la juge d’instruction, qui les a mis en examen pour une flopée d’infractions: importation de stupéfiants en bande organisée, blanchiment, trafic d’armes de catégories A et B, corruption de fonctionnaire de police, association de malfaiteurs... Seuls deux d’entre eux sont ressortis libres sous contrôle judiciaire. Dont l’ex-fonctionnaire cannoise. La policière monégasque compte parmi les neuf écroués.

La menace d’une infiltration à grande échelle

"C’est une belle opération, avec des interpellations en nombre et une connaissance avancée de cette organisation." Le parquet de Paris salue le travail fructueux des enquêteurs. Pour autant, voir surgir de telles affaires ne réjouit ni les magistrats, ni les policiers.

Les limiers de la PJ remarquent que cette organisation mafieuse se serait appuyée sur une fonctionnaire de police, à Monaco. "C’est le principe de la corruption de basse intensité : se mettre des gens dans sa poche, décrypte un enquêteur niçois. Les réseaux mafieux sont très actifs sur ce volet-là. Les gros voyous ont un sens de prédateur: ils visent des gens qui ont une vulnérabilité et leur mettent le grappin dessus. Or ici, il y a des vulnérabilités plus importantes. C’est un phénomène que l’on suit de très près."

Une préoccupation qui s’intensifie

Et si cette "corruption de basse intensité" montait d’un cran, et de quelques étages? "C’est une crainte majeure, admet ce policier chevronné. ça ne se passe pas que chez les autres." Une référence à la Belgique et aux Pays-Bas. Là-bas, les narcotrafiquants ont tissé leur toile au point de menacer les États eux-mêmes. "C’est une préoccupation qui s’intensifie", confirme le parquet de Paris. Le décryptage de la messagerie Sky ECC a permis de "découvrir à quel point le trafic empiétait sur le trafic légal". Avec corruption et trafic d’influence à la clé. Si la drogue est l’objet de cette guerre, "son nerf, rappelle l’enquêteur niçois, c’est l’info."

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