Le président Kaïs Saïed et la président de la Commission européenne Ursula von der Leyen avaient conclu un "partenariat stratégique", le 16 juillet 2023. Crédit : picture alliance
Le président Kaïs Saïed et la président de la Commission européenne Ursula von der Leyen avaient conclu un "partenariat stratégique", le 16 juillet 2023. Crédit : picture alliance

Le président tunisien Kaïs Saïed a remboursé 60 millions d'euros versés par l'UE, destinés à soutenir économiquement le pays. Cet argent constitue la première tranche d'un fonds total de 127 millions d'euros, dont l'autre moitié est dévolue à la lutte contre l'immigration irrégulière.

C’est un revirement jamais vu en matière de diplomatie. Le gouvernement tunisien a renvoyé les 60 millions d'euros de fonds européens débloqués le 3 octobre pour son pays par l’Union européenne. "Le montant versé par l'Union européenne à l'insu des autorités tunisiennes dans le cadre du plan de relance post-Covid-19 a été restitué", a déclaré le président Kaïs Saïed lors d'une réunion avec le Premier ministre Ahmed Hachani et le ministre des Finances, portant sur le projet de loi finances 2024.

"Cette méthode porte atteinte à notre dignité et nous met devant le fait accompli sur lequel nous n'avons même pas été consultés", a-t-il affirmé dans un communiqué relayé par l'agence de presse tunisienne TAP News. Le dirigeant a assuré que la Tunisie était "capable de surmonter toutes les difficultés par ses propres moyens, à travers la détermination de son peuple à être indépendant dans ses choix nationaux", "avec une souveraineté et une dignité nationale intactes".


Cette somme, destinée à l'aide budgétaire de la Tunisie, est la première tranche d'un fonds total européen de 127 millions : 60 millions étaient réservés au soutien économique - refusés donc - et 67 millions d'euros dévolus à la lutte contre l'immigration irrégulière.

Une enveloppe constituée le 14 juillet, via la signature du "partenariat stratégique" signé entre le chef de l'État tunisien et Bruxelles. Centré sur la lutte contre l'immigration irrégulière, l’accord sert aussi à soutenir le pays qui connaît de graves difficultés économiques. En contrepartie, Tunis doit empêcher les départs de bateaux de migrants, lutter contre les passeurs et assurer le retour des Tunisiens en situation irrégulière dans l’UE, ainsi que celui des migrants d’Afrique subsaharienne depuis la Tunisie vers leurs États d’origine.

Un accord de "charité"

Le 3 octobre, Kaïs Saïed avait déjà fait volte-face, en indiquant qu’il refuserait les fonds alloués par l'Union européenne à la Tunisie, qui s'apparentent, selon lui, à de la "charité". "La Tunisie qui accepte la coopération, n'accepte pas tout ce qui s'apparente à de la charité ou à la faveur, car notre pays et notre peuple ne veulent pas de la sympathie et ne l'acceptent pas quand elle est sans respect", a-t-il déclaré, selon un communiqué de la présidence.

Dans un tweet, le commissaire européen chargé de l'Élargissement et de la politique de voisinage Olivér Várhelyi rappelle pourtant, document à l’appui, que la présidence tunisienne a bien demandé le décaissement de ces 60 millions d’euros le 31 août dernier. "La mise en œuvre du mémorandum devrait se poursuivre une fois que la Tunisie aura renoué avec l'esprit de notre partenariat stratégique et global fondé sur le respect mutuel", a-t-il lancé.


Le porte-parole de la Commission a toutefois indiqué que la restitution de l'argent de l'UE "ne change rien au fait que nous continuons à travailler sur les cinq piliers" de l’accord.

Au moins 27 morts dans le désert

Le revirement tunisien ajoute au caractère polémique de ce partenariat, qui a fait grincer des dents dès sa signature. Le 14 août, plus de 350 chercheurs et membres de la société civile de près de 10 pays ont signé une tribune pour dénoncer l'accord. Ils mettent en garde à travers ce texte sur "un tournant dangereux dans l’acceptation de ces politiques et des présupposés racistes qui les sous-tendent".

En février dernier, dans un discours, le président tunisien s'en était pris aux exilés subsahariens, les accusant d'être source de "violence, de crimes et d'actes inacceptables" et de chercher à "changer la composition démographique de la Tunisie", afin de la transformer en un pays "africain seulement" et estomper son caractère "arabo-musulman".

Depuis, la situation des migrants subsahariens n’a cessé de se dégrader. En juillet, des rafles menées dans différentes villes du pays ont conduit à l’abandon dans le désert près de la Libye de plus de 1 200 personnes, dont des femmes et des enfants. Au moins 27 en sont morts.

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Mi-septembre, de nouvelles expulsions ont été menées par les autorités tunisiennes. InfoMigrants a recueilli les témoignages de plusieurs exilés subsahariens qui racontent avoir été interceptés en mer au large de Sfax puis déposés à la frontière algérienne. Après plusieurs heures de route, François, un migrant camerounais affirme avoir été forcé de descendre en pleine nuit au niveau du poste-frontière de Saqiyat. "[Les Tunisiens] nous ont déchargés [du pick-up]. Ils ont dit de traverser et que sinon, ils nous tireraient dessus et dans la tête".

 

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