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Masculinistes : depuis #MeToo, les discours de haine misogyne et anti-LGBT + se multiplient en ligne

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Les attaques de la «manosphère» envers les femmes et les personnes LGBT + explosent, alertent deux ONG dans un rapport sur les origines et l’expansion de la nébuleuse masculiniste. Une violence qui sape la santé mentale des victimes, les pousse à «l’autocensure» ou à quitter un espace virtuel «saturé de sexisme».
par Virginie Ballet
publié le 16 octobre 2023 à 8h00

C’est une plongée sinistre et documentée au cœur d’une planète en pleine expansion. Dans un long rapport publié lundi 16 octobre, l’ONG Equipop et l’Institut du genre en géopolitique se livrent à une exploration de ce qu’ils nomment la «manosphère», soit la vaste et nébuleuse galaxie masculiniste en ligne. «Le masculinisme peut être défini comme une idéologie qui s’oppose à l’émancipation des femmes et des personnes LGBTI + et promeut la domination masculine», posent les auteurs.

Bien sûr, ces discours ne sont pas nés avec internet ou les réseaux sociaux, mais l’essor du numérique leur a permis de se «mobiliser de manière plus concertée» et de trouver un important écho. D’où l’urgence d’agir : «En tant qu’associations féministes, il est de notre devoir d’alerter l’opinion et les pouvoirs publics sur les attaques à l’égalité de genre. Ces discours en font partie. Des études européennes ont établi que sept femmes sur dix en ont été victimes. C’est donc un enjeu majeur pour les droits et la sécurité des femmes», expose Lucie Daniel, experte plaidoyer chez Equipop et co-autrice du rapport.

Maintenir un «ordre social sexiste et misogyne»

Outre le constat de leur expansion, le rapport remonte aux origines des discours masculinistes, apparus dans les années 1970 et 1980 dans les pays occidentaux, en réaction aux mouvements féministes. Depuis lors, à chaque fois que le mouvement féministe a connu un regain, ils ont en réponse tout fait pour maintenir un «ordre social sexiste et misogyne». C’est le fameux backlash théorisé dans les années 1990 par l’Américaine Susan Faludi, soit un retour de bâton désignant «l’action de mouvements conservateurs et masculinistes qui réagissent violemment dès que les droits des femmes connaissent de nouvelles avancées. [Ces derniers] déploient des stratégies pour non seulement saper ces progrès, mais aussi faire reculer les droits des femmes de façon générale», rappelle le rapport.

Sans surprise, l’émergence du mouvement #MeToo à l’automne 2017, le contexte global de montée des mouvements conservateurs en Europe et la «chambre d’écho» que constituent internet et les réseaux sociaux ont donné lieu à une prolifération des discours haineux à l’égard des femmes et des personnes LGBT +. Cette nébuleuse est protéiforme, allant des incels («involontairement célibataires»), aux pick-up artists (des soi-disant experts en séduction qui s’attèlent à détruire l’estime de soi des femmes), en passant par des influenceurs ayant fait leur beurre sur une misogynie décomplexée, à l’image d’Andrew Tate.

«Recevoir des menaces de viol ou de mort laisse des traces»

La «manosphère» ne se cantonne évidemment pas à l’espace virtuel : le rapport rappelle qu’à plusieurs reprises, des masculinistes revendiqués ont fini par passer à l’acte, par exemple en mai 2014 à Isla Vita, en Californie, lorsque Elliot Rodger, 22 ans a tué six personnes. Dans un manifeste, le jeune homme avait annoncé vouloir «tuer des femmes», car elles ne s’intéressaient pas à lui. «Ce type de discours haineux en ligne a des conséquences néfastes à l’échelle collective et individuelle : recevoir des menaces de viol ou de mort laisse des traces sur la santé mentale des victimes, ainsi que sur leur vie personnelle et familiale. Et à l’échelle collective, à chaque fois qu’une femme se retire de l’espace démocratique, alors on perd une voix dans un espace saturé de haine sexiste», pointe Lucie Daniel.

Le rapport cite l’exemple des attaques sexistes adressées à l’ex-Première ministre finlandaise Sanna Marin, après la diffusion de vidéos d’elle en train de danser lors d’un évènement privé à l’été 2022, pour alerter sur les «phénomènes alarmants» qui peuvent en découler, à commencer par «l’autocensure, voire le retrait des femmes et des personnes LGBT des plateformes et des réseaux sociaux, pour garantir leur santé mentale et leur sécurité».

Lutte contre les violences

Même si «la tâche peut paraître immense», Lucie Daniel en est sûre : il existe bel et bien des «leviers» pour endiguer la progression fulgurante de cette haine en ligne. Premier d’entre eux, identifié dans le rapport : renforcer la lutte contre l’une des causes sous-jacentes des violences sexistes et sexuelles, à savoir les rapports de domination. «A l’échelle de la France, par exemple, il est urgent d’appliquer la loi en matière d’éducation à la sexualité», prône Lucie Daniel, rejoignant un constat unanimement formulé par plusieurs associations et organes féministes ces dernières années.

Et plus largement, soulignent les ONG, il faut «renforcer et compléter l’arsenal juridique, politique et financier» en matière de lutte contre les violences, et s’assurer que la loi s’applique aussi à celles commises en ligne. Autre point relevé par ces travaux, et non des moindres : le monde de la tech est encore très largement masculin et destiné aux hommes. Les géants du web ne comptent ainsi que 24 % de femmes. «Cet entre­-soi social induit de fait des biais sexistes, racistes et LGBTIphobes dans la gestion et le fonctionnement des entreprises du numérique», pointe le rapport. Parmi les autres pistes suggérées : tendre à plus de transparence sur le fonctionnement des mécanismes de modération, ou encore soutenir davantage les activistes féministes en ligne.

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