Sur TikTok, des influenceurs soutirent des milliers d'euros à leurs abonnés pour des cadeaux virtuels

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Sur TikTok, des influenceurs soutirent des milliers d'euros à leurs abonnés pour des cadeaux virtuels

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Capture d"écran d'un "live" TikTok, au cours duquel sont proposés des cadeaux virtuels
Capture d"écran d'un "live" TikTok, au cours duquel sont proposés des cadeaux virtuels
© Radio France - Xavier Demagny

De plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer certaines pratiques de l'application TikTok, notamment celle permettant aux influenceurs de quémander des "cadeaux virtuels" payés en argent bien réel, auprès d'internautes parfois fragiles.

"Une rose, deux roses… merci Cam's ! – Allez, envoyez les roses !". Plus que quelques secondes avant la fin du "match" (ou "live"), rendez-vous prisé des ados accessible sur le réseau social TikTok. Il a fallu, pour rédiger cet article, se faire réexpliquer plusieurs fois le concept afin d'être certains d'avoir bien saisi l'enjeu, tant le principe est confondant – pour ne pas dire affligeant – de simplicité : deux personnalités, suivies par une communauté d'internautes plus ou moins importante, s'affrontent en incitant leurs fans à leur fournir le plus grand nombre de "cadeaux virtuels", en réalité des petites images que ces-derniers auront payées de quelques centimes à plusieurs centaines d'euros l'unité (en devises réelles, celles-là).

Une partie de la somme dépensée est ensuite reversée aux influenceurs destinataires, après retrait des 50% à 70% prélevés par TikTok. Les donateurs, eux, tirent leur satisfaction dans la reconnaissance manifestée par l'influenceur et le plaisir d'entendre leur nom cité plusieurs fois à l'écran.

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"C'est moi qui ai pris l'argent"

L'aspect financier est occulté par une mise en scène ludique, vite addictive, comme l'a amèrement constaté Sabine. Un jour, son fils de 14 ans lui demande de mieux protéger la boîte dans laquelle la famille place de la monnaie depuis deux ans pour s'offrir des vacances en Asie. Intriguée, elle vérifie le contenu des enveloppes qui s'y trouvent : "Au moment où j'ouvre la boîte, je découvre qu'il ne reste quasiment plus d'enveloppes. J'ai demandé à mon fils 'on a été volés, tu as laissé quelqu'un rentrer dans la maison ?' Il me dit 'non, c'est moi qui ai pris l'argent. Pour TikTok'."

Difficile de savoir quelle somme, sur les 4.000 euros économisés, a été dépensée sur le réseau social, l'adolescent en ayant également donné une petite partie à des sans-abris. Mais, la plupart du temps, "il prenait l'argent et allait dans un supermarché acheter des cartes prépayées, à 100, 200, 300 euros". Cartes qu'il dépensait ensuite en ligne. Depuis, Sabine se bat pour faire connaître le danger de telles pratiques.

Quel intérêt à dépenser ainsi des sommes parfois élevées pour un jeu à l'intérêt limité, avec des participants que l'on n'a jamais vus dans la vraie vie ? "Mon fils était à la recherche d'attention, tout simplement, c'est une évidence", constate la mère de famille. "À l'école, il n'arrive pas à se faire d'amis. Les influenceurs lui donnaient cette importance, il n'avait pas conscience que c'était uniquement parce qu'il donnait de l'argent. Il pensait que ces gens-là l'appréciaient vraiment. Il disait que c'étaient ses amis."

Sommes non déclarées

"Les gains peuvent aller jusqu'à 100.000 euros pour les plus gros utilisateurs des matchs TikTok" constate Arthur Delaporte, député du Calvados, co-auteur de la proposition de loi encadrant l'activité des influenceurs, adoptée en juin dernier. Le socialiste a récemment alerté le ministère des Comptes publics sur les questions fiscales que posent de telles pratiques, sans réponse à ce jour : "Cela fait parfois beaucoup d'argent gagné et non déclaré par les personnes qui jouent."

L'élu s'interroge également sur les conséquences pour les plus jeunes, et demande une interdiction pure et simple de l'accès des mineurs à ces jeux. "La présentation est très ludique et finalement, on oublie en mettant des pièces, en mettant des animaux, que tout ceci a une valeur réelle", souligne le député. "Certains [internautes] disent en effet avoir pu dépenser 2.000, 3 .000 € ou avoir misé toutes leurs économies - sachant que ça ne leur apporte rien - mais parce qu'ils voulaient faire plaisir à des influenceurs dans des logiques de quasi mendicité."

De son côté, l'application TikTok, qui revendique 21,4 millions d'utilisateurs en France, explique qu'il est normalement interdit aux mineurs de dépenser de l'argent en ligne pour ses cadeaux virtuels (un rappel est d'ailleurs inscrit sur l'écran lorsque l'on se connecte au match) et affirme suspendre toute activité non conforme.

Mais, outre le contrôle aléatoire de l'âge des internautes, tout ne se passe pas en public. Ainsi, a noté Arthur Delaporte, "certains [influenceurs] sont allés demander [aux internautes] en message privé s'ils pouvaient mettre plus".

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