Au Soudan, les combats ont tué quatre journalistes

FAITS. Les rares reporters toujours sur le terrain font face à des conditions extrêmes, portant lourdement atteinte à la documentation de la guerre qui dure depuis mi-avril.

Par Augustine Passilly, à Addis-Abeba

Depuis le début du conflit, le 15 avril, des millions de personnes, dont plusieurs journalistes, ont été contraintes de fuir le pays, craignant pour leur vie et leur sécurité.
Depuis le début du conflit, le 15 avril, des millions de personnes, dont plusieurs journalistes, ont été contraintes de fuir le pays, craignant pour leur vie et leur sécurité. © AFP

Temps de lecture : 4 min

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Le 10 octobre, des miliciens des Forces de soutien rapide (FSR) ont écrasé la journaliste Halima Idris Salim, qui couvrait les affrontements à Khartoum pour le média indépendant Sudan Bukra. Il s'agit de la quatrième journaliste tuée depuis le début de la guerre, le 15 avril, entre la très puissante milice des FSR et les Forces armées soudanaises (FAS). Déjà compliqué auparavant, l'accès à l'information s'est drastiquement restreint en six mois.

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Abdelmoniem Abuedries, le président du principal syndicat de journalistes, ne recense plus que 27 reporters dans l'État de Khartoum, épicentre des affrontements. « 90 % des sièges des médias soudanais se trouvent dans des zones de combats, à Khartoum et dans les régions du Darfour et du Kordofan », constate le journaliste. Il ajoute que 45 de ses confrères sont passés par la case prison, arrêtés par un belligérant ou l'autre. Deux d'entre eux croupissent toujours dans les geôles des FSR. « Aucun des deux camps ne veut d'une troisième partie indépendante qui fasse la lumière sur les crimes qu'ils commettent… »

Les reporters suspectés par les deux camps

Elle aussi membre du syndicat, la journaliste Durra Gambo a couvert la guerre pendant deux mois, avant de s'exiler au Qatar. « Quand je passais dans une zone contrôlée par les FAS, les militaires me soupçonnaient de travailler pour Hemeti [surnom du général Mohamed Hamdan Dagalo, chef des FSR, NDLR], tandis que dans les quartiers gérés par les FSR, ces derniers m'accusaient d'être une agente du général Abdel Fattah al-Burhane, le patron de l'armée. En tant que journalistes, nous ne sommes en sécurité nulle part », insiste Durra Gambo.

Ses collègues réfugiés à Wad Madani, ville centrale du pays dont la population a quadruplé depuis le début du conflit, sont privés de terrain. « Les services de renseignements militaires ne souhaitent pas qu'ils montrent des preuves des violences perpétrées des deux côtés », déplore cette journaliste, frustrée de ne plus pouvoir mener correctement sa mission depuis l'étranger.

La propagande militaire morcelle l'opinion

« Chaque partie travaille dur pour convaincre les médias d'adopter son unique point de vue, confirme Shuhdy Nader, qui travaille pour la chaîne saoudienne Al-Arabiya depuis Omdurman, ville jouxtant Khartoum. Cela passe également par des campagnes en ligne pour décrédibiliser la couverture médiatique. La propagande de guerre a entraîné une polarisation extrême des citoyens, alors même que les informations diffusées ainsi sont souvent à l'opposé de ce que nous observons. » À plusieurs reprises, des missiles se sont abattus sur les bâtiments voisins des locaux d'Al-Arabiya. « J'espère échapper à la mort », implore le jeune journaliste. Il se réjouit, malgré tout, de l'expérience professionnelle qu'il gardera de ces conditions extrêmes.

Rares sont les reporters soudanais à collaborer avec les médias internationaux. Cela est particulièrement vrai dans la vaste région occidentale du Darfour. « Seuls les journalistes de Khartoum ont eu la chance de bénéficier de formations et d'obtenir du matériel performant en amont. Au Darfour, parmi les 300 professionnels des médias, seuls deux parlent anglais. Avant la guerre, les autres travaillaient pour des médias locaux mais avec l'explosion des prix et le manque de liquidités, leur maigre salaire ne suffit plus », détaille Gouja Ahmed. Mi-juillet, ce journaliste indépendant s'est résolu à quitter Nyala, la capitale du Darfour du Sud.

Exil forcé et sentiment de culpabilité

Par deux fois, les combattants ont menacé de l'exécuter. « Des FAS m'ont interpellé, m'ont humilié, m'ont jeté au sol et m'ont battu. Ils ont tiré trois balles à un mètre de ma tête. Ils m'ont accusé de travailler avec les FSR à cause de ma couleur de peau », raconte le rescapé. Un autre jour, ce sont les FSR qui s'en sont pris à lui pendant qu'il filmait le dépècement d'un entrepôt de l'Unicef. Gouja Ahmed ne digère pas le dilemme qui lui a été imposé. « Sur place, je risquais de recevoir une balle. Mais à l'étranger, le stress et le manque d'espoir me rongent… Je me sens coupable car je ne peux plus couvrir ce qu'il se passe. Cette peine est plus mortelle qu'une balle », témoigne celui qui travaillait par ailleurs comme rapporteur des violations des droits humains.

Ce 18 octobre, le reporter darfouri a appris le décès d'une amie survenu un mois plus tôt. Les télécommunications demeurent en effet coupées dans de nombreuses zones du Darfour, empêchant des millions de riverains d'accéder aux derniers développements de la guerre. Tous les journaux soudanais ont en outre cessé d'être imprimés il y a six mois.

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