Des cartoons contre les nazis, quand le dessin animé fait de la propagande : épisode • 3/4 du podcast Dessin animé, une histoire

Affiches des films d'animation "Der Fuehrer's Face" des studios Disney et "Des Gross méchant loup" de Tex Avery, 1942 ©Getty - Galerie Bilderwelt / LMPC
Affiches des films d'animation "Der Fuehrer's Face" des studios Disney et "Des Gross méchant loup" de Tex Avery, 1942 ©Getty - Galerie Bilderwelt / LMPC
Affiches des films d'animation "Der Fuehrer's Face" des studios Disney et "Des Gross méchant loup" de Tex Avery, 1942 ©Getty - Galerie Bilderwelt / LMPC
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Dès la Révolution de 1917, les Soviétiques produisent des dessins animés de propagande. Lorsque les États-Unis entrent en guerre en 1941, Donald Duck et Bugs Bunny s’engagent dans l’effort de guerre aux côtés des soldats, avec des contenus de propagande largement diffusés auprès du grand public.

Avec
  • Marion Poirson-Dechonne Maîtresse de conférences émérite en études cinématographiques à l’université Paul Valéry Montpellier III
  • Pierre Cras Historien, maître de conférences en études anglophones à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans la France occupée, malgré les restrictions qui frappent l’industrie cinématographique et l’animation, les personnages de dessin animés poursuivent leur petit bonhomme de chemin. Les journaux présentent les différents festivals, grands prix, concours, où sont présentés des dessins animés français, et rappellent à l’occasion que cet art est une création française. C’est un peu de féérie au milieu des combats et des duretés de la vie. Toutefois, les dessins animés ne sont pas neutres : eux aussi participent à l’effort de guerre !

Des États-Unis à l’URSS, la propagande animée dans l’entre-deux-guerres

Tout au long du XXe siècle, la guerre, la propagande et le cinéma d’animation s’entrecroisent, afin de servir les intérêts de discours idéologiques concurrents. Le cinéma d’animation de propagande fait ses débuts aux États-Unis dans l’entre-deux-guerres, dans le contexte de crise économique qui touche le pays suite à la grande dépression et le krach boursier de 1929. "Dans les années 1930, on assiste aux États-Unis à une utilisation de certains cartoons pour rentrer dans la ligne des programmes du New Deal, la nouvelle donne de Franklin Roosevelt, qui consiste à redresser l’économie américaine. L’animation participe à la promotion de cette idée. Il faut réinstaurer la confiance auprès du peuple américain.", explique Pierre Cras.

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Côté soviétique, l’utilisation du dessin animé à des fins propagandistes remonte aux années 1920. Lénine lui-même définit le cinéma comme un médium essentiel pour promouvoir l’idéologie communiste. Il s’agit à la fois de louer les bienfaits de la Révolution russe, d’exalter les vertus des dirigeants soviétiques, d’éduquer le peuple, et même d’exporter la révolution dans le monde entier. Certaines oppositions au régime existent aussi dans le cinéma d’animation. "Il y a des films comme Jouets soviétiques de Dziga Vertov, qui s'attaquent à la nouvelle politique économique de Lénine et qui montrent ces hommes comme des nouveaux capitalistes.", souligne Marion Poirson-Dechonne.

Bugs Bunny et Donald Duck au service de la propagande internationale ?

Pour les Américains comme pour les Soviétiques, c’est surtout pendant la Seconde Guerre mondiale que le dessin animé devient une arme de propagande internationale. L’instrumentalisation du dessin animé répond à plusieurs objectifs. Il s’agit notamment de former les soldats, à travers de courts formats à la fois didactiques et divertissants. Une autre motivation des dessins animés de propagande est d’encourager la population à investir dans les obligations de guerre. Bugs Bunny est l’une des figures qui incarne ce patriotisme économique. Les dessins animés de propagande tendent enfin à diaboliser et à ridiculiser l’ennemi, afin de convaincre l’opinion du bien fondé de la guerre. C’est le cas dans le dessin animé Der Fuehrer’s Face (1943), produit par les studios Disney. "Dans ce cartoon, le personnage de Donald Duck fait un cauchemar et se voit en tant que pauvre allemand chargé d’obéir aux injonctions du régime nazi. À la fin du cartoon, il se réveille et s’aperçoit qu’il est heureusement américain. Il y a une opposition nette entre le régime nazi et les valeurs démocratiques américaines dans ce dessin animé.", analyse Pierre Cras.

Le dessin animé, une arme de propagande durant la guerre froide ?

Pendant la guerre froide, les États-Unis et l’URSS s’affrontent par dessins animés de propagande interposés. L’URSS, notamment par le biais des studios Soiouzmoultfilm, produit des contenus qui dénoncent le capitalisme, l’impérialisme et promeuvent le communisme, comme Millioner (1963). Dans ce court métrage, un bulldog devient millionnaire : sa soudaine fortune le place au-dessus des lois et l’encourage à promouvoir la guerre. Ave Maria (1972) est un pamphlet contre la guerre du Vietnam qui dénonce les exactions américaines. À l’inverse, les Américains mettent en avant un modèle économique prospère, libre, et démocratique et diabolisent le communisme.

Sous leurs dehors puérils et anodins, les dessins animés ne sont pas destinés seulement aux enfants et reflètent bien souvent les préoccupations politiques et idéologiques du XXe siècle.

Pour aller plus loin

  • Pierre Cras, Entre "politique de bon voisinage" et films d’animation de propagande : Walt Disney s’en va-t-en guerre (1941-1948), Revue française d’études américaines, n°158, 2019
  • Marion Poirson-Dechonne, Le Cinéma russe, de la perestroïka à nos jours, Charles Corlet, 2013
  • Marion Poirson-Dechonne, Le Mystère Starewitch. Un imaginaire à la confluence de deux cultures, L’Harmattan, 2023

Références sonores

  • Musique du dessin animé Samoyed Boy, URSS, 1928
  • Extrait du court métrage animé Der Fuehrer's face de Jack Kinney, Walt Disney Company, 1943
  • Extrait du dessin animé Herr meets Hare de Friz Feleng, Warner Bros, 1945
  • Extrait du dessin animé Tokio Jokio de Norman McCabe, Looney Tunes, 1943
  • Extrait du documentaire Walt Disney, L'homme qui voulait changer le monde de Gérard Miller, Anaïs Feuillette, France 5, 2021
  • Extrait de la bande originale Motherless Child du dessin animé Black and White, URSS, 1932
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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