La nauséeuse rhétorique antisémite de La France insoumise

TRIBUNE. LFI, dans ses discours, active un ensemble de marqueurs qui renvoient bel et bien à de l’antisémitisme, écrit Rafaël Amselem, chargé d’études pour GenerationLibre.

Par Rafaël Amselem*

Temps de lecture : 6 min

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« Mélenchon diabolisé comme l'était Le Pen hier », voici le titre d'un éditorial relevant de la bouillie pseudo-journalistique publié dans Rivarol. Jérôme Bourbon y encense le « courage » de Jean-Luc Mélenchon, un homme en lutte contre le « Lobby », comme autrefois l'était Jean-Marie Le Pen pour ses positions non alignées avec « l'entité sioniste ».
Personne ne soupçonnera décemment La France insoumise (LFI) d'accointance quelconque avec l'extrême droite. Néanmoins, si l'attaque fait mouche, c'est que la cible est morveuse. Antisémite ou pas, ce qui est certain, c'est que LFI déploie un ensemble de tropes qui, consciemment ou non, renvoient bien à de l'antisémitisme. À charge aux analystes de déceler les intentions malveillantes ou non qui se cachent derrière. Dans tous les cas, le déni répété de ce fait élémentaire expose le parti Insoumis à la faute politique.

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Des discours évocateurs

Dans la revue K, le chercheur en philosophie politique Milo Lévy-Bruhl nous rappelle plusieurs de ces tropes, auxquels on ajoutera quelques mises à jour. Ainsi, selon Jean-Luc Mélenchon, Zemmour « reproduit beaucoup de scénarios culturels […] liés au judaïsme ». Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) est décrit dans le verbe Insoumis comme un organe d'extrême droite faisant applaudir Zemmour et auprès duquel il faut cesser toute « génuflexion » face à ses « oukases arrogants » et « communautaristes » ; le même Crif qui « oblige » à suivre ses positions à l'international et utilise l'antisémitisme comme un « rayon paralysant ».

On parle encore des « compatriotes » de Jésus qui l'ont mis sur la croix, de Corbyn dont la défaite est à imputer aux « grossières accusations d'antisémitisme » qu'il a subi de la part du « grand rabbin d'Angleterre et les divers réseaux d'influence du Likoud », ou encore de la Première ministre qui se rallie « à un point de vue étranger ». Tout y passe, du Juif arrogant au Juif qui influence au pouvoir, en passant par le Juif déicide, ou encore le Juif à la double allégeance.

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C'est dans ce continuum qu'il nous faut situer le dernier tweet de Mélenchon adressé à Yaël Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée nationale. Montrant une foule parisienne lors d'une manifestation de soutien à la Palestine, il commente : « Voici la France. Pendant ce temps Mme Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français ! » L'attention du débat public s'est focalisée sur l'emploi du terme « camper », donnant l'occasion au leader Insoumis de dénoncer une « police des mots ». Pourtant, un élément plus embarrassant transparaît : comme l'extrême droite qui disait « Pierre-Mendès-Jerusalem » et « Jérusalem Désir », Mélenchon dénationalise Mme Braun-Pivet en opposant son « campement à Tel-Aviv » et le « peuple français ».

Antisémite ou pas, malveillance ou inconscience : le problème d'un trope réside précisément dans son équivocité – ce qui rajoute, à l'inconséquence, le cynisme. Tout conspire au brouillard permanent, au soupçon insoluble, à l'interrogation suspendue, permettant de multiplier les codes pour mieux crier ensuite à l'instrumentalisation de l'antisémitisme. Et Mélenchon de qualifier les accusations en ce sens de « pitoyable diversion pour détourner l'attention de [la] grave faute politique [de Mme Braun-Pivet] ». Un mécanisme rhétorique là encore bien identifié par Milo Lévy-Bruhl : il s'agit de faire accroire que « les accusations d'antisémitisme sont des manipulations orchestrées pour entraver la progression d'une gauche qui se rapproche du pouvoir ou pour interdire la critique d'Israël ».

Dénégation du fait juif

Ces tropes se multiplient sur fond de dénégation du fait et du sentiment juifs, et c'est ainsi que nous pouvons résumer la séquence politique en cours depuis le 7 octobre côté LFI : une dénégation de bout en bout du fait juif, tant vis-à-vis d'Israël que de ses retombées dans le débat national. Parler de « massacres » encouragés par la puissance publique concernant la réponse militaire à une incursion terroriste à visée génocidaire n'est pas audible. C'est ignorer de quelle manière la description d'Israël comme entité diabolique (ce que sous-tend l'idée de massacres) expose les Juifs à l'antisémitisme.

À Sydney, en Allemagne, à Londres, aux alentours de Chicago, partout, les Juifs sont terrorisés au nom de luttes menées pour la Palestine. « Notre but, c'est de terroriser les Juifs », paroles d'un groupe qui préparait un projet d'attentat avorté dans la banlieue de Tours. Qu'on soit bien clair : l'offensive israélienne est encadrée par un jus ad bellum qui astreint l'État hébreu à des devoirs. Mais on ne saurait évoquer des « massacres » en ayant refusé au préalable de parler de terrorisme, a fortiori quand on connaît les précautions prises par Tsahal et la manière avec laquelle le Hamas utilise ses civils comme boucliers humains.

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C'est la même dénégation qui est à l'œuvre dans le tweet publié par Mélenchon dès le 7 octobre. « Toute la violence déchaînée contre Israël et à Gaza ne prouve qu'une chose : la violence ne produit et ne reproduit qu'elle-même. » La leçon a été donnée, mais elle doit être redite : la rhétorique de la « contextualisation » n'est qu'une façon verbeuse de faire peser la responsabilité d'actes aux intentions génocidaires sur un tiers – ici, Israël – au lieu de réserver les torts exclusifs au Hamas. « La violence de l'opprimé est d'abord le produit de la violence de l'oppresseur », résume Tsedek, association décoloniale, soutien de Houria Bouteldja. Ainsi, il y aurait un contexte matériel de production du mal (la domination d'Israël sur la Palestine) qui oblige le dominé au mal, même le plus absolu, sur fond d'asymétrie des luttes.

Moshe Postone, professeur d'histoire à l'université de Chicago, souligne de quelle manière cette vision purement matérielle du fait social oblitère le jugement moral : il n'y a que réaction. Le 11 Septembre n'était à ce titre qu'une réaction à l'impérialisme américain, l'attaque du Hamas n'est qu'une réaction à l'oppression israélienne, rien d'autre. C'est oublier que la réaction est elle-même une action, fondée en soi sur une vision du monde qu'il nous appartient de juger. Le Hamas est un organe fasciste à visée génocidaire. Tous les Juifs, selon leurs dires, doivent disparaître. « J'ai tué 10 Juifs à mains nues ! » s'exclame ce terroriste du Hamas au téléphone avec ses parents le 7 octobre. Mais plusieurs cadres Insoumis pinaillent encore pour qualifier l'entité Hamas.

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Cordon sanitaire

Voici comment, sur fond d'une vision géopolitique délétère qui mythifie Israël au rang des plus grands bourreaux impérialistes de ce monde, nous avons assisté, non sans peine, au spectacle d'une gauche Insoumise imperméable à l'un des plus grands massacres de Juifs de ces dernières décennies. « Condamner, ce serait consacrer la victoire culturelle des sionistes dans notre pays », paroles d'un cadre Insoumis anonyme, rapportées dans L'Opinion. Tout est dit.

Malheureusement, la dernière séquence fut la polémique de trop. Nous ne sommes pas des pantins. Les Juifs méritent mieux. L'antiracisme mérite mieux. Les électeurs LFI méritent mieux. Tout le monde mérite mieux que cette médiocrité méprisable. Quand on en vient à être applaudi par Rivarol, quand Boris Le Lay [blogueur d'extrême droite, NDLR] abonde dans le sens de Mélenchon en affirmant que « la France est dirigée depuis Tel-Aviv. Une même caste dirigeante, une même origine, un même projet », c'est qu'il est temps de quitter la table.

Il nous faut désormais un cordon sanitaire avec LFI. Heureusement, l'espoir se maintient à gauche. Depuis le début de cette séquence, Sandrine Rousseau multiplie des déclarations assez exemplaires, actant un manque de travail sur la question de l'antisémitisme à gauche et la volonté de faire évoluer les positions de son camp. Camarades de la Nupes, prenez-en de la graine.

*Rafaël Amselem est chargé d'études pour GenerationLibre, le think tank fondé par Gaspard Kœnig.

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Commentaires (43)

  • Râleur & fainéant

    LFI... Y a des voix à prendre, mais pas celles des "Juifs" qui ne voteront pas pour Merluche and Co, donc on cherche celles des autres qui eux voteront "bien" ? Hein Jean-Luc !
    Lamentable, de plus en plus lamentable ce faux tribun qui ne voit que lui et ses profits?!
    cdt.

  • Surlaligne

    Heureusement que le Point a une bonne équipe de journalistes qui expriment ce que tout le monde voit sur l'attitude pour le moins très ambiguë de M Mélenchon et de ses proches car la modération m'a refusé un commentaire très mesuré disant finalement la même chose.
    Difficile à comprendre.

  • Martinoune

    Les propos de JlM sont nauséabonds ! Il ose encore parler de la menace de l'extrême droite! Qd on entend ds ses propos et ceux de LFI les relents infects de la 2e guerre mondiale !
    L'antisémitisme élevé comme un dogme à ce stade devrait lui valoir qq soucis avec la Loi ? Comment peut-on encore écouter son discours, jé suis effarée qu'au nom de l'electoralisme on profere tant de propos méprisables...
    On dout lui demander des comptes. Et vite car il entraîne ds son sillage boueux des gens qui manquent tres singulièremt de reflexion objective...