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Le grand invité Afrique

«Centrafrique: la fabrique d'un autoritarisme»: avec le changement de Constitution, «Touadéra a une assurance de rester au pouvoir»

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« Centrafrique : la fabrique d'un autoritarisme », c'est le titre d'une étude publiée par le Centre de recherche international de SciencesPo et qui explore la construction du pouvoir du président Faustin-Archange Touadéra depuis 2016 : à la fois dans la continuité des pratiques historiques dans le pays et du contexte international de notre époque. Entretien avec le chercheur Roland Marchal, spécialiste de la région et auteur de l'étude.

Le président de la République centrafricaine (RCA), Faustin-Archange Touadéra, le 2 mars 2023 à Libreville.
Le président de la République centrafricaine (RCA), Faustin-Archange Touadéra, le 2 mars 2023 à Libreville. AFP - LUDOVIC MARIN
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RFI : Vous attaquez fort en définissant la Centrafrique comme un « État déliquescent autour d’une crise existentielle » et jouant de ses « propres faiblesses et de la configuration régionale et internationale » pour « contraindre le champ politique et terroriser sa propre population ». L’analyse de la situation en Centrafrique pousse-t-elle nécessairement à tant de sévérité ?

Roland Marchal : Je parle de cette crise de 2013 qui, d’une certaine façon, reste irrésolue. Est-on sorti de cet épisode tragique ? Par certains côtés, apparemment oui : le niveau de violence à Bangui n’est évidemment plus du tout de même nature. Par contre, on peut considérer que ce pays reste quand même dans un entre-deux à cause de choses basiques : le nombre de déplacés, le nombre de réfugiés, une situation politique et sécuritaire qui reste quand même hautement problématique malgré une forte présence des Nations unies et de ce qu’on appelle très gentiment les forces bilatérales, c’est-à-dire russes et rwandaises.

Est-ce qu’on peut résumer votre propos en disant que dans le fond, Faustin-Archange Touadéra a bâti un projet autoritaire à la fois dans la lignée de l’histoire centrafricaine, mais aussi en s’adaptant à une situation sous-régionale et internationale mouvante, et que cela lui a permis de pérenniser son pouvoir ?

Ce régime post-transition a réussi à sortir d’une certaine façon la gestion de la crise centrafricaine de ses opérateurs traditionnels, le Congo-Brazzaville et le Tchad, et au contraire a su se rendre dépendant du Rwanda, de l’Angola et également évidemment de la Russie. Déjà là, il y a une nouveauté qui est très intéressante et qui montre d’une certaine façon la grande modernité du projet autoritaire. Ce qui est inquiétant, de mon point de vue, c’est le fait qu’on a un environnement international qui a été extraordinairement défaillant, à commencer bien sûr par la France - j’y consacre de nombreuses pages -, mais également les Nations unies : il faudra quand même un jour dire l'extraordinaire échec qu’elles connaissent en Afrique centrale.

Ce qui est notable dans ce régime, c’est qu’il vient au terme d’une crise existentielle, qu’il faut reconstruire un pays et que ce qu’on va voir, c’est finalement une élite qui va essayer de se reconstruire elle-même. Et je dis ça au sens propre et figuré, parce qu’au sens propre, on peut constater qu’il y a tout un nouveau quartier de Bangui qui s’appelle « Bellevue » - je dis c’est plutôt « belle vie » -, avec de très nombreuses maisons extrêmement spacieuses, luxueuses dans un contexte centrafricain, mais construites avec quel argent ? La population se demande : « pourquoi, nous, on n’a rien et pourquoi certains ont tant ? »

Il y a un autre point de permanence, c’est la rupture entre la capitale qu’on appelle des fois « la République de Bangui » et les provinces, rupture qui ne fait que se creuser ?

Cela est un énorme problème dans l’appréhension internationale de la situation en Centrafrique. D’une certaine façon, si les choses ne se passent pas trop mal à Bangui, cela veut dire qu’elles ne se passent pas trop mal à l’échelle du pays, se dit-on, ce qui évidemment n’est pas vrai du tout. Et c’est là peut-être où on doit regretter l’hypocrisie, pour être gentil, des Nations unies : elles auraient dû depuis le début mettre un point tout à fait alarmiste sur cette situation. Au contraire, ce qu’on a vu, ces écarts se développent ; et à l’intérieur de Bangui également, entre certains quartiers.

Faustin-Archange Touadéra a eu pendant plusieurs années un comportement assez virulent vis-à-vis de la communauté internationale et de la France. Ces derniers mois, il y a eu un changement de ton par rapport à Paris, par rapport à l’ONU, par rapport aux bailleurs internationaux. Comment voyez-vous ce changement de ton ?

Je crois qu’il y a plusieurs choses qui se sont passées. La première, c’est quand même le changement de Constitution qui va permettre à Monsieur Touadéra d’être réélu sans aucun problème dans son propre pays. Donc, il a une assurance d’une certaine façon de pouvoir rester au pouvoir. Il sait que pour rester au pouvoir, il lui faut payer ses fonctionnaires, surtout ses militaires. Fondamentalement, c’est comme ça que [François] Bozizé s’est maintenu et disons que d’une certaine façon, le calcul est assez juste. Il n’a pas besoin de développer le pays, il n’a pas besoin de faire régner l’ordre et la loi.

Et donc, il s’est retrouvé face un moment à une pression financière très forte puisque la France a arrêté l’aide budgétaire, du coup l’Union européenne a arrêté, et du coup la Banque mondiale et les autres institutions donatrices ont été quand même plus hésitantes : puisque donner de l’argent à la Centrafrique, cela signifiait fondamentalement payer les salaires de Wagner.

Aujourd’hui, la posture française a évolué. Le président Touadéra se dit qu’on peut faire un peu plus de diplomatie, qu’on peut donner certaines assurances, une des assurances étant par exemple de ne pas donner l’hospitalité à des groupes rebelles tchadiens, donner une marge de manœuvre plus grande au Rwanda, et que tout cela va dans le sens des intérêts bien compris de Paris.

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