Les jeunes mineurs du parc de Belleville ont été évacués le 19 octobre. Crédit : InfoMigrants
Les jeunes mineurs du parc de Belleville ont été évacués le 19 octobre. Crédit : InfoMigrants

Parmi les 430 mineurs isolés du parc de Belleville, mis à l'abri le 19 octobre par la préfecture de Paris, plusieurs dizaines ont reçu ces derniers jours une notification de fin d'hébergement. Pour les associations et avocats qui défendent ces exilés, cette décision n'a d'autre but que de pousser ces jeunes à se faire déclarer comme majeurs, et à permettre à l'Etat de les expulser plus facilement du territoire.

Quelques nuits au chaud, et puis plus rien. À peine dix jours après la mise à l'abri de 430 mineurs non accompagnés (MNA) qui dormaient dans le parc de Belleville, dans le nord de Paris, depuis plusieurs mois, voilà que plusieurs dizaines d'entre eux vont de nouveau se retrouver à la rue.

Hébergés dans des Centres d'accueil et d'examen des situations administratives (CAES) dans toute l'Île-de-France depuis le 19 octobre, plusieurs dizaines de mineurs ont reçu ce mardi 31 octobre une notification d'expulsion de la structure, formulée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

La raison de ce revirement ? Les jeunes ne se sont pas présentés à leur convocation par la préfecture de police distribuée après la mise à l'abri.

Pour Florian Bertaux, avocat de plusieurs jeunes et membre du collectif d’avocats d’aide aux étrangers, ces jeunes n'avaient aucune raison de se rendre à une convocation de la préfecture pour retirer un dossier d'asile, puisqu'ils sont déjà engagés dans une autre procédure : celle de faire reconnaître leur minorité.

"Mais comme ils ne sont pas allés en préfecture, ils ont reçu un avis d’expulsion de leur hébergement, ce qui n’a aucun sens !", s'indigne l'avocat.

"Cette convocation était un véritable piège"

Fin octobre, tous les jeunes avaient reçu une convocation de la préfecture de police en vu de déposer une demande d'asile ou de titre de séjour. Un non sens juridique, selon les avocats, puisque les titres de séjour s'adressent aux majeurs, (et qu'un mineur souhaitant déposer une demande d'asile doit obligatoirement être accompagné d'un administrateur "Ad Hoc" désigné par le Procureur).

"Si ces jeunes avaient déposé l’asile, je me demande bien à quoi ça aurait pu ressembler, l'Ofpra se serait retrouvée avec 200 demandes complètement inutilisables", abonde Me Bertaux. 

Quant à ceux qui auraient signé une demande de titre de séjour, ils auraient immédiatement été considérés comme majeurs, et donc potentiellement expulsables (les expulsions de mineurs isolés sont interdites par la loi). "L’idée c’était d’édicter en masse des avis d’expulsion, cette convocation était un véritable piège", selon Me Bertaux.

Alerté par les associations le jour de la convocation, l'avocat s'est précipité à la préfecture pour s'entretenir avec un responsable : "On a expliqué qu’aucun des jeunes ne souhaitait répondre favorablement à la prise d’empreinte, il m’a répondu que la porte de sortie était grande ouverte. C'était hallucinant, même les agents au guichet n'ont pas compris ce que ces jeunes faisaient là", insiste l'avocat.

Contre-attaque judiciaire

La sanction n'a pas tardé à tomber. Des dizaines de jeunes qui ont refusé de se plier aux règles de préfecture de police ont reçu un avis d'expulsion de leur CAES, comme InfoMigrants a pu le constater : "Vous étiez convoqué au guichet d'accueil unique de demandeur d'asile de Paris [...] Vous ne vous êtes pas présenté à ce rendez-vous [...] En conséquence, vous disposez d'un délai de deux jours pour quitter le CAES".


Une notification d'expulsion de CAES adressée à un mineur isolé, le 31 octobre 2023. Crédits : InfoMigrants
Une notification d'expulsion de CAES adressée à un mineur isolé, le 31 octobre 2023. Crédits : InfoMigrants


"À l'origine, la mise à l’abri devait tenir jusqu’au 19 novembre, sachant qu’on est en période de trêve hivernale. Si un de ces jeunes est expulsé à ce titre, attendez-vous à une réponse judiciaire très importante", prévient Florian Bertaux qui se dit "très inquiet" pour l'avenir de ces jeunes.

De son côté, la mairie de Paris reconnaît aussi un échec : "C’est quand même fort de café de sortir ces jeunes et de les remettre dans la rue en pleine trêve hivernale, explique le cabinet de l'adjointe aux Solidarités, Léa Filoche. On espérait tous qu’il y ait une prise en charge plus longue. Toute cette situation s’inscrit dans le problème structurel du dispositif d'hébergement d’urgence qui est saturé." 

>> À (re)lire : Île-de-France : comment l'État tente de désengorger son dispositif d'hébergement d'urgence

Ces dernières années, l'ONU, le Conseil de l'Europe, le syndicat de la magistrature ou encore les associations ont tous demandé aux Etats de respecter une présomption de minorité pour les jeunes migrants en instance de recours, et la création de places d'hébergement dédiées, en vain.

Si 65% des recours de minorité aboutissent à Paris, selon Utopia 56, la procédure peut durer plusieurs mois. Pendant ce laps de temps, les jeunes ne sont pas pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance. Ils errent donc de campements de fortune en squats, et beaucoup finissent par rentrer dans des réseaux de délinquance. Entre 2018 et 2020, quelque 18 000 enfants et adolescents étrangers non accompagnés ont disparu en Europe, selon le collectif de journalistes Lost in Europe.

Les associations craignent de perdre la trace des mineurs

Depuis la mise à l'abri des 430 mineurs isolés du parc de Belleville, les associations qui gravitaient autour d'eux peinent à garder le contact : "Certains ne nous communiquent plus les infos", raconte Yasmine Scola, co-présidente de l'association Tara, qui propose un soutien juridique aux mineurs isolés. "Hier, on s'est rendu devant un CAES. Sur les 14 jeunes qu'on a pu voir, tous avaient reçu la convocation à la préfecture, mais pas tous l’ordre de fin de prise en charge. On pense que les autorités les délivrent au compte-goutte", explique la bénévole. "Certains ont peur de se retrouver à la rue, d’autres estiment que c’est illégal. La préfecture sait très bien qu’avec cette menace de remise à la rue, les jeunes sont davantage susceptibles de signer cette demande de titre de séjour pour majeur".

>> À (re)lire : Mineurs isolés et consommation de drogues : l'importance de "sortir de la zone d'errance"

Selon Florian Bertaux, ces manœuvres n'ont d'autre but que de vider Paris à l'approche des Jeux Olympiques de 2024 : "Il y a 4 ans, aucun mineur isolé ne se faisait contrôler, on ne changeait pas leur date de naissance sur les procès-verbaux d'interpellation, toute cette opération vise à vider Paris", estime l'avocat.

Dès jeudi, plusieurs mineurs devraient être expulsés des CAES d'Île-de-France. De leur côté, les avocats ont envoyé une lettre ouverte au préfet d'Île-de-France, à la préfecture de police, et à l’OFII.

 

Et aussi