À l’aube de la 28ème Conférence des Parties sur le Climat de l’ONU (COP28) qui se déroulera du 30 novembre au 12 décembre prochain à Dubaï, le nouveau rapport, publié le 24 octobre dans la revue Bioscience, appelle à remettre en question « la notion dominante de croissance sans fin » pour lutter contre « la surexploitation de notre planète ». Analyse. 

« La vie sur la planète Terre est assiégée ». C’est par ces mots inquiétants que débute le nouveau rapport rédigé par l’équipe de William Ripple, professeur émérite à l’Oregon State University et principal coauteur du rapport.

État de siège

Sur les 35 « signes vitaux » identifiés par les chercheurs, 20 d’entre eux présentent aujourd’hui « des extrêmes records », d’après leur nouveau rapport paru le 24 octobre dans la revue Bioscience. Les scientifiques décrivent un « état de siège » sans précédent et se disent notamment « choqués » par la férocité des événements météorologiques extrêmes de 2023.

« Nous avons peur du territoire inexploré dans lequel nous sommes désormais entrés », affirment-ils sans langue de bois, à l’heure où il leur est demandé « de plus en plus de dire au public la vérité sur les crises auxquelles nous sommes confrontés, en termes simples et directs ».

Si depuis plusieurs décennies, les scientifiques n’ont cessé de mettre en garde contre un avenir marqué par des conditions climatiques extrêmes en raison de l’escalade des températures mondiales, le temps de l’avertissement est aujourd’hui dépassé : « nous assistons à la manifestation de ces prédictions alors qu’une succession alarmante et sans précédent de records climatiques sont battus, provoquant le déploiement de scènes de souffrance profondément pénibles ».

Mise à jour alarmante

En 2020, la même équipe de chercheurs avaient permis de notifier le dépassement de 18 dès 35 signes vitaux identifiés, comme les émissions de gaz à effet de serre, la consommation de viande par habitant, la déforestation liée aux incendies, la fonte des glaces ou encore les anomalies de température. Pas moins de 15 000 scientifiques à travers le monde avaient cosigné le rapport, donnant du poids à ce cri d’alerte sans précédent.

Aujourd’hui, William Rippel et ses collègues présentent la mise à jour annuelle de leurs travaux, qui révèle de « nouveaux records historiques liés au climat et des schémas profondément inquiétants de catastrophes liées au climat ». Malgré quelques « progrès minimes de la part de l’humanité dans la lutte contre le changement climatique », les scientifiques alertent sur l’insuffisance des actions entreprises pour renverser la tendance.

Ils notent par exemple l’augmentation des émissions de carbone dans l’atmosphère, notamment provoquée par la combustion d’énergie fossile.

« Bien que la consommation d’énergie renouvelable (solaire et éolienne) ait augmenté de 17 % entre 2021 et 2022, elle reste environ 15 fois inférieure à la consommation d’énergie fossile ».

Des évènements de plus en plus extrêmes

Au Canada, plus de 16,6 millions d’hectares de forêt ont brûlé cette année, entraînant des émissions de plus d’une gigatonne de dioxyde de carbone (CO2), « ce qui est considérable, étant donné que les émissions totales de gaz à effet de serre du Canada en 2021 étaient d’environ 0,67 gigatonne d’équivalent CO2 », rappellent les auteurs du rapport.

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De même, les océans connaissent des transformations majeures : l’élévation du niveau des mers, l’acidité des océans, l’épaisseur des glaciers et la masse de glace du Groenland atteignent tous des niveaux records. « L’augmentation rapide des températures à la surface de la mer est particulièrement inquiétante, car elle pourrait avoir de nombreux impacts graves sur la perte de la vie marine, la mort des récifs coralliens à cause du blanchissement et l’intensité des grandes tempêtes tropicales », expliquent les chercheurs.

L’équipe relève aussi de nombreux événements climatiques extrêmes qui semblent s’intensifier au fil des ans. « Plusieurs de ces événements démontrent à quel point les extrêmes climatiques menacent des zones plus vastes qui ne sont généralement pas sujettes à de tels extrêmes ; par exemple, de graves inondations dans le nord de la Chine, autour de Pékin, ont tué au moins 33 personnes. Parmi les autres catastrophes récentes figurent des crues soudaines et des glissements de terrain meurtriers dans le nord de l’Inde, des vagues de chaleur record aux États-Unis et une tempête méditerranéenne d’une intensité exceptionnelle qui a tué des milliers de personnes, principalement en Libye ».

Ces évènements dramatiques bouleversent profondément la capacités des écosystèmes à retrouver leur équilibre, et enclenchent ce que les scientifiques appellent des « boucles de rétroaction climatiques », affectant directement la relation entre les émissions et le réchauffement. « Par exemple, le réchauffement provoque le dégel des sols du pergélisol, qui émet du méthane et du dioxyde de carbone, ce qui entraîne un réchauffement supplémentaire ».

Ainsi, le renforcement des boucles de rétroaction amplifie les effets des émissions de gaz à effet de serre, conduisant à un réchauffement supplémentaire. Malgré leur importance, « la combinaison de multiples boucles de rétroaction amplificatrices n’est pas bien comprise, et les forces potentielles de certaines boucles de rétroaction dangereuses sont encore très incertaines », alertent l’équipe de scientifiques.

Agir sur tous les plans face à l’enjeu

En conclusion du rapport, les chercheurs émettent plusieurs recommandations appelant des efforts coordonnés dans de multiples domaines, allant de l’économie à l’alimentation, contribuant à « un programme plus large axé sur une politique climatique holistique et équitable ». Ainsi, ils remettent en question la recherche d’une croissance économique infinie, inconciliable avec les objectifs sociaux, climatiques et de biodiversités fixés par les différents accords internationaux de ces dernières décennies.

De même, ils appellent à stopper la production et la combustion de charbon, à travers la ratification d’un Traité international d’élimination du charbon et, plus largement, d’un Traité de non-prolifération des combustibles fossile. Plus loin, les scientifiques promeuvent également une transition vers des régimes alimentaires à base de plantes, en particulier dans les pays riches, qui « pourrait améliorer la sécurité alimentaire mondiale et contribuer à atténuer le changement climatique ».

Finalement, ils alertent sur les perspectives de morts climatiques de masse : « d’ici la fin de ce siècle, on estime que 3 à 6 milliards d’individus, soit environ un tiers à la moitié de la population mondiale, pourraient se retrouver confinés au-delà de la zone habitable, confrontés à une chaleur intense, à une disponibilité alimentaire limitée et à des taux de mortalité élevés en raison de des effets du changement climatique ».

Il est donc urgent de s’attaquer au problèmes sous-jacents du dépassement des limites planétaires, plutôt que de nous concentrer uniquement sur la réduction des émissions de carbone et le changement climatique (phénomène appelé aussi carbocentrisme). « C’est le moment où nous devons faire une profonde différence pour toute vie sur Terre, et nous devons l’accepter avec un courage et une détermination inébranlables pour créer un héritage de changement qui résistera à l’épreuve du temps », concluent les chercheurs dans un souffle d’espoir.

– L.A.


Photo de couverture de NOAA sur Unsplash

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