Beaucoup de familles sénégalaises vivent de la pêche. Crédit : Picture alliance
Beaucoup de familles sénégalaises vivent de la pêche. Crédit : Picture alliance

Un rapport publié par la Fondation pour la justice environnementale (EFJ) révèle que près de deux-tiers des pêcheurs sénégalais gagnent moins d’argent qu’il y a cinq ans. En cause, "les pratiques de pêche destructrices de l’environnement et non durables" des chalutiers de fonds, contrôlés en grande partie par l’Union européenne et la Chine. Pour subvenir aux besoins de leurs familles, les pêcheurs n'hésitent plus à prendre la mer pour tenter de rejoindre l'archipel espagnol des Canaries.

Les pêcheurs sénégalais l’affirment depuis des années : leur activité se tarit au fil des ans. Un rapport de la Fondation pour la justice environnementale (EJF), une organisation écologique basée à Londres, vient appuyer leurs propos. Selon l’étude, publiée jeudi 26 octobre, "65% des pêcheurs interrogés par EJF ont déclaré gagner moins aujourd’hui qu’il y a cinq ans".

Le rapport s’appuie essentiellement sur des entretiens menés au Sénégal auprès de ces communautés entre septembre 2022 et mai 2023.

Les pêcheurs signalent également que leurs conditions de vie se sont détériorées. Ainsi, "88% des pêcheurs, 93% des transformatrices et 100% des mareyeurs ont déclaré avoir un accès plus limité au poisson pour leur propre consommation", note le document.

Les chalutiers européens et chinois mis en cause

Ces marins mettent en cause les chalutiers de fonds. "Les pratiques de pêche destructrices de l'environnement et non durables pratiquées par la flotte chalutière aggravent la crise du secteur de la pêche artisanale. (Les) pêcheurs artisans ont vu le volume de leurs captures diminuer considérablement et sont contraints de rivaliser" avec ces bateaux "pour des ressources qui s'amenuisent", dit ce rapport.

Pour poursuivre leur activité, les Sénégalais doivent parcourir des distances plus longues, et ainsi acheter plus de carburant. Leurs dépenses quotidiennes sont plus élevées et leur récolte plus maigre.


Les Sénégalais prennent de plus en plus la mer pour rejoindre les îles espagnoles des Canaries. Crédit : Emmanuelle Landais / InfoMigrants
Les Sénégalais prennent de plus en plus la mer pour rejoindre les îles espagnoles des Canaries. Crédit : Emmanuelle Landais / InfoMigrants


En outre, les pêcheurs locaux sont confrontés aux "incursions illégales" des navires étrangers "dans la zone réservée à la pêche artisanale", une situation qui entraîne "la destruction fréquente des engins de pêche". Environ 75 % des pêcheurs ont vu leurs filets ou leurs lignes endommagés par un chalutier, selon le rapport.

Les chalutiers de fond au Sénégal sont essentiellement contrôlés par des acteurs étrangers de l'Union européenne (UE) et de Chine, explique l'ONG. Ils "approvisionnent presque exclusivement les marchés étrangers, principalement ceux de pays de l'UE. Pendant ce temps, de nombreux foyers sénégalais peinent à s'approvisionner en poisson sur les marchés locaux pour leur consommation personnelle".

En juillet, Moustapha Kebe responsable du Bureau d’accueil et d’orientation des Sénégalais de l’extérieur (BOAS) de Louga (nord du Sénégal), délivrait à InfoMigrants le même constat. "Les ressources halieutiques sont accaparées par la pêche industrielle, au dépend de la pêche artisanale", dénonçait-il.

Exode des pêcheurs vers les Canaries

La raréfaction des ressources halieutiques n’est pas nouvelle, mais elle s’est accentuée avec les années, et le changement climatique. L’installation d’une plateforme gazière - gérée par les entreprises BP et Kosmos Energy, et les compagnies pétrolières publiques du Sénégal et de la Mauritanie - à une dizaine de kilomètres au large de Saint-Louis (nord du Sénégal) n’arrange pas les choses. Son exploitation est prévue à la fin de l’année mais elle suscite déjà des inquiétudes.


La plateforme gazière (ici représentée au large de Saint-Louis), gérée par les entreprises BP et Kosmos Energy, perturbe le quotidien des pêcheurs. Crédit : InfoMigrants
La plateforme gazière (ici représentée au large de Saint-Louis), gérée par les entreprises BP et Kosmos Energy, perturbe le quotidien des pêcheurs. Crédit : InfoMigrants


"La cohabitation n’est pas possible. On va exploiter le gaz et tuer la pêche à Saint-Louis", déplorait l’an dernier à Deutsche Welle le secrétaire général de l’Union nationale autonome des pêcheurs du Sénégal, Moustapha Dieng. "Cette plateforme a eu un grand impact sur notre travail car elle est installée dans une zone très poissonneuse où nous avions l’habitude de faire notre pêche quotidienne", déclarait à son tour Moussa Fall, un pêcheur de 36 ans.

>> À (re)lire : "Beaucoup de gens n’arrivent plus à joindre les deux bouts", l'extrême pauvreté pousse les Sénégalais à prendre la mer

Cette baisse d’activité provoque un exode massif des pêcheurs. Ces derniers remplissent les pirogues qui prennent la mer dans l’espoir de rejoindre l’archipel espagnol des Canaries. Selon Boubacar Seye, président de l’association Horizons sans frontières qui lutte contre l’immigration clandestine, la cartographie des zones de départ des migrants est révélatrice. "Tout se passe dans les lieux de pêche, comme les villes de Kayar, Mbour ou encore Saint-Louis".

Depuis janvier, plus de 23 000 migrants ont débarqué aux Canaries, soit une hausse de près de 80% par rapport à la même période de 2022. La majorité sont originaires du Sénégal.

 

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