Quatre ONG de défense des droits humains appellent la Turquie à libérer les politiciens du HDP emprisonnés depuis 2016
Audience dans le complexe pénitentiaire de Sincan, à Ankara, dans le procès dit de "Kobanê" qui met en cause 108 politiciens anciens et actuels du HDP

Human Rights Watch, Turkey Human Rights Litigation Support Project, la Commission internationale des juristes et la Fédération internationale pour les droits humains appellent la Turquie à respecter le droit international et à libérer les politiciens du HDP emprisonnés depuis 2016.

Le gouvernement turc doit respecter le droit international et mettre en œuvre les arrêts contraignants de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en libérant immédiatement les politiciens Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ, anciens coprésidents du Parti démocratique des peuples (HDP), ont déclaré aujourd’hui quatre organisations de défense des droits humains.

Les quatre organisations non gouvernementales – Human Rights Watch, Turkey Human Rights Litigation Support Project, la Commission internationale des juristes et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) – ont lancé leur appel à l’occasion du septième anniversaire de l’emprisonnement des deux anciens députés.

“Le septième anniversaire de l’incarcération illégale de Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ est un rappel brutal de la volonté de la présidence Erdoğan d’utiliser la détention à des fins politiques pour réduire au silence des politiciens de l’opposition démocratiquement élus représentant des millions d’électeurs kurdes et de gauche en Turquie”, a déclaré Hugh Williamson, directeur pour l’Europe et l’Asie centrale à Human Rights Watch. “En défiant les arrêts contraignants de la CEDH ordonnant la libération des politiciens, la Turquie viole de manière flagrante ses obligations légales découlant de la Convention européenne des droits de l’homme et, plus largement, du droit international”, a-t-il ajouté

Le 4 novembre 2016, plusieurs mois après avoir été privés de leur immunité parlementaire, Demirtaş, Yüksekdağ et huit autres députés du HDP ont été arbitrairement arrêtés et placés en détention. Quatre autres députés ont été incarcérés au cours des cinq mois suivants. À l’époque, le HDP détenait 10,7 % des sièges au parlement turc et était soutenu par plus de cinq millions d’électeurs. Alors que les 12 autres députés dont les cas ont donné lieu à des arrêts de la CEDH ont été libérés, Demirtaş et Yüksekdağ restent incarcérés.

Les anciens parlementaires du HDP ont tous été poursuivis à plusieurs reprises dans le cadre de procédures individuelles fondées exclusivement sur l’exercice de leur droit à la liberté d’expression, protégé par le droit international. Cela incluait leurs discours et activités politiques, qui n’impliquaient aucune violence. Lorsqu’un procès de masse a été ouvert contre eux en 2020, de nombreux dossiers individuels en cours ont été fusionnés. Les accusations vagues portées contre eux dans ce procès comprennent des allégations d'”atteinte à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’État” (séparatisme) et même de “meurtre”. Ces accusations sont liées à leur soutien aux manifestations qui ont eu lieu principalement dans les villes du sud-est de la Turquie entre le 6 et le 8 octobre 2014. Les politiciens ont été tenus responsables de toutes les infractions qui auraient été commises au cours de ces manifestations, organisées contre le siège brutal de la ville de Kobanê, dans le nord de la Syrie, par le groupe armé extrémiste État islamique (EI). Au cours de ces manifestations, 37 personnes auraient trouvé la mort.

Les preuves contre les politiciens, sur la base desquelles Demirtaş et Yüksekdağ sont actuellement détenus, consistent notamment en deux publications sur les médias sociaux soutenant les protestations contre le siège de Kobanê envoyées depuis le compte Twitter du HDP. Les autres éléments à charge sont des discours politiques non violents des politiciens, des activités légales et des déclarations de témoins ajoutées au dossier des années plus tard qui soulèvent de sérieuses questions de crédibilité.

La CEDH a jugé dans trois arrêts – deux concernant Demirtaş en novembre 2018 et décembre 2020, et un concernant Yüksekdağ et 12 autres personnes en octobre 2022 – que leur détention sur la base de discours et de publications sur les médias sociaux était une manœuvre à motivation politique visant à les réduire au silence, “étouffant le pluralisme et limitant la liberté du débat politique, qui est au cœur même du concept d’une société démocratique.” La Cour a estimé que leurs droits à la liberté, à la liberté d’expression et à être élus avaient été violés. Les faits constituant la base sur laquelle Demirtaş et Yüksekdağ sont détenus et ont été poursuivis dans le procès de masse de 2021 sont substantiellement les mêmes que ceux contenus dans la procédure que la Cour européenne des droits de l’homme a jugés comme étant des motifs insuffisants pour leur détention.

“Malgré l’arrêt de la Cour européenne selon lequel les motifs justifiant la détention de Yüksekdağ et Demirtaş étaient insuffisants, le procureur général d’Ankara a demandé en avril 2023 leur condamnation pour de nombreuses infractions présumées concernant leur discours politique, ce qui pourrait entraîner leur emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle”, a déclaré Temur Shakirov, directeur par intérim du programme Europe et Asie centrale de la Commission internationale de juristes. “Cela met en évidence les motifs politiques ultimes qui sous-tendent l’affaire en cours visant ces deux personnes et renforce les doutes quant à l’équité de l’administration judiciaire dans le pays”.

Après les détentions de Demirtaş et Yüksekdağ en novembre 2016, la Turquie a organisé un référendum historique et plusieurs campagnes électorales cruciales. Le référendum constitutionnel du 16 avril 2017 a introduit un système de gouvernance concentrant le pouvoir entre les mains du président. Il a été suivi par l’élection présidentielle du 24 juin 2018 – lors de laquelle Demirtaş s’est présenté en tant que candidat depuis sa cellule de prison contre le président Recep Tayyip Erdoğan -, les élections locales du 31 mars 2019 et, plus récemment, les élections législatives et présidentielles du 14 au 28 mai 2023.

“Avec deux figures éminentes de l’opposition en détention, le pays a été privé d’un débat démocratique significatif et d’élections équitables autour de ces campagnes cruciales”, a déclaré Reyhan Yalçındağ, vice-présidente de la FIDH. “Les élections locales de mars 2024 approchant à grands pas, le Comité des ministres et les autres organes du Conseil de l’Europe doivent utiliser tous les moyens disponibles pour garantir la fin des violations continues des droits de Demirtaş et de Yüksekdağ, y compris leurs droits à la participation aux affaires publiques, ce qui constitue également une violation des droits de millions d’électeurs.” 

Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, chargé de superviser la mise en œuvre par les États membres des arrêts de la CEDH, a publié six décisions et deux résolutions appelant la Turquie à libérer Demirtas. Lors de sa session du 5 au 7 décembre de cette année, le Comité des Ministres examinera pour la troisième fois l’incapacité de la Turquie à mettre en œuvre l’arrêt concernant Yüksekdağ et à la libérer.

Les quatre organisations non gouvernementales ont soumis une demande conjointe au Comité des Ministres pour qu’il prenne en décembre une décision appelant à la libération de Yüksekdağ.

“La Turquie a ignoré les nombreuses décisions et résolutions intérimaires du Comité appelant à la libération immédiate de Demirtaş. Ce refus de se conformer aux obligations internationales de la Turquie s’est répété dans le cas de Yüksekdağ”, a déclaré Ayşe Bingöl Demir, directrice de Turkey Human Rights Litigation Support Project (Projet de soutien aux litiges en matière de droits de humains en Turquie). “Le Comité doit intensifier sans plus tarder son suivie de la Turquie dans le cadre de ces affaires, et cela doit inclure le déclenchement d’une procédure d’infraction, conformément à la voie suivie à juste titre dans le cas du défenseur des droits emprisonné Osman Kavala.”

Dix-huit autres anciens élus et maires du HDP et d’un parti affilié, le Parti des régions démocratiques (BDP), sont également détenus. Parmi eux, l’éminente ancienne maire de Diyarbakır, Gültan Kışanak, détenue depuis le 25 octobre 2016, et Sebahat Tuncel, ancienne coprésidente du BDP, détenue depuis le 6 novembre 2016. La détention provisoire de Kışanak a dépassé la limite légale de sept ans prévue par le droit turc, ce qui constitue une violation flagrante du droit international relatif aux droits humains. Les détentions des politiciens sont manifestement arbitraires et motivées par des considérations politiques. Les personnes emprisonnées doivent être immédiatement libérées, ont déclaré les ONG.

 

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