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"Pour lutter contre la faim, nous devons changer de modèle agricole"

Olivier De Schutter: "Changer de modèle agricole, pour lutter contre la faim"

© OLIVIER VIN - BELGA

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Par Aline Wavreille

Aujourd'hui, plus d'un milliard de personnes sont toujours sous-alimentées dans le monde. Pour quelles raisons la situation n'évolue-t-elle pas?

On a fait des erreurs ces cinquante dernières années. On n’a pas suffisamment soutenu les petits agriculteurs les moins compétitifs. On a voulu privilégier les agriculteurs capables d’écouler leurs productions sur les grands marchés, capables de satisfaire les besoins de l’industrie agroalimentaire, dans des chaînes de transformation de plus en plus mondialisées. Mais toute une partie des agriculteurs n’a pas bénéficié de cette révolution de l’agriculture depuis 50 ans. Du coup, on a une pauvreté rurale qui est considérable, beaucoup de personnes ne pouvant vivre de la petite agriculture ont migré vers les villes, qui à leur tour, sont débordées. Elles ne peuvent pas satisfaire les besoins des pauvres sans importer des aliments à bas prix sur leur propre marché. Ce qui rend encore plus difficile la possibilité pour les petits agriculteurs de vivre de leur travail. Donc il faut réinvestir dans cette agriculture locale.

Vous défendez aussi ce que vous appelez l'agroécologie. Qu'est-ce que ça signifie?

L’agroécologie est dictée par les circonstances que nous affrontons au niveau écologique. On a un système agricole qui est gourmand en énergie, qui utilise des quantités massives d’engrais chimiques et de pesticides. Ce système a développé des méthodes de production très mécanisées utilisant aussi de l’eau douce en grande quantité et tout ça n’est pas soutenable. Il faut repartir d’une méthode de production agricole qui est plus respectueuse de l’environnement, qui est moins dépendante des énergies fossiles et qui en même temps peut être moins coûteuse pour les petits agriculteurs puisque l’agroécologie, c’est une manière plus économe de pratiquer l’agriculture. Ca ne suppose pas l’achat d’intrants coûteux aux prix de plus en plus volatiles.

C'est ce que vous avez défendu pendant 6 ans, en tant que rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation. Vous avez l'impression d'avoir été entendu?

Je crois que sur trois plans, on a fait une véritable révolution dans les esprits. D’abord, il y a un consensus sur le fait qu’on n’aide pas les pays en développement en écoulant chez eux des produits alimentaires ou en leur fournissant une aide alimentaire. On les aide en les aidant à se nourrir eux-mêmes, en réinvestissant dans l’agriculture locale. C'est le premier changement. Deuxième changement, on se rend compte que les politiques agricoles doivent être de plus en plus combinées avec des politiques de santé publique et que la dimension de nutrition, d’alimentation adéquate, de régime alimentaire équilibré doivent faire partie de ce qui détermine les politiques agricoles. Et puis troisième évolution, on a de plus en plus de partisans de l’agroécologie, d'une agriculture plus durable, plus respectueuse des écosystèmes. Le problème, c’est que ces trois révolutions ont eu lieu, mais seulement dans les discours. Sur le terrain, les investissements qui sont faits, qui sont largement le fait des secteurs privés et pas des gouvernements, sont des investissements qui ne tiennent pas nécessairement compte de ces révolutions.

Qu'est-ce qui peut changer les choses alors, selon vous?

Beaucoup de solutions existent, elle sont souvent le fait d’initiatives locales, municipales ou encore régionales. Et les gouvernements devraient soutenir ces initiatives qui amènent une transition des systèmes agroalimentaires vers des solutions plus durables. Souvent, on a l’impression que c’est l’Etat qui doit décider, tout réglementer, qui doit utiliser l’outil fiscal. Pour amener le changement dans la bonne direction. Et l’Etat doit faire ça. Mais il doit aussi être attentif à soutenir les initiatives nombreuses dans toutes les régions, qui sont prises par des citoyens, par des petits producteurs, par des consommateurs qui se regroupent en coopératives pour amener la transition. Et c’est cette transition par le bas qu’il faut soutenir. Je crois aussi que rendre les décisions plus transparentes, associer la société civile, les ONGs et les organisations de producteurs à la prise de décision, démocratiser le système agroalimentaire, c'est vraiment la clef de la solution. Et je suis optimiste parce que l'on progresse beaucoup sur ce terrain-là.

A.W.

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