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Entretien

En Iran, «on réserve à Narges Mohammadi un traitement sécuritaire comparable à celui d'une terroriste»

Narges Mohammadi, lauréate du prix Nobel de la paix 2023, emprisonnée à Téhéran, a mis fin ce mercredi 8 novembre à la grève de la faim qu'elle avait entamée deux jours plus tôt. Après trois refus d'accès aux soins, la prisonnière a finalement été conduite à l’hôpital, en refusant de porter le voile. Une première victoire, estime Chirinne Ardakani, présidente du collectif Iran Justice et avocate de la famille de Narges Mohammadi, qui a décidé de saisir l'ONU sur les traitements infligés par ses geôliers.

La militante iranienne des droits humains, Narges Mohammadi.
La militante iranienne des droits humains, Narges Mohammadi. via REUTERS - MOHAMMADI FAMILY ARCHIVE PHOTOS
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RFI : Quelles sont les dernières nouvelles que vous avez de Narges Mohammadi ? 

Chirinne Ardakani : Narges Mohammadi se bat depuis plusieurs années contre le voile obligatoire pour toutes les Iraniennes. Elle persiste dans son combat, y compris au sein de la prison d'Evin. La raison pour laquelle elle s'est mise en grève de la faim le 6 novembre dernier, c'était pour protester contre les refus de soins réitérés qui lui ont été opposés par l'administration pénitentiaire, qui conditionnait son transfert au port du voile obligatoire. Le 8 novembre, elle a été transférée à l’hôpital, entourée des forces de sécurité, sans porter de voile. Narges Mohammadi a également mis fin à sa grève de la faim. C'est une victoire pour elle qui avait entrepris cette grève au péril de sa vie. Elle prenait des risques pour sa santé, sachant qu’elle a été opérée du cœur en 2021 et qu'elle a des problèmes cardiaques. Cette grève a en définitive fait plier le régime : ils ont été contraints de procéder à son transfert, et ce, sans le voile obligatoire. C’est la preuve que sa persévérance, la mobilisation des sept codétenues qui l’ont rejointe dans sa grève de faim et la pression internationale ont fini par payer.  

Le même jour, vous avez saisi le groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU d’une plainte à l’encontre des autorités iraniennes. 

On saisit ces organismes parce qu’on espère que ça aboutira et que les autorités iraniennes seront mises au ban des nations interpellées pour le non-respect du droit international. C'est à la fois une procédure dite d'action urgente, pour qu'il y ait une intervention rapide du groupe de la détention, mais aussi pour pousser les autorités iraniennes à mettre fin au traitement inhumain et dégradant qui se caractérise par le refus des soins.

Le deuxième élément pour lequel nous saisissons le groupe de travail, c'est une plainte sur le cas individuel de Narges Mohammadi, pour qui nous demandons d’enquêter sur les conditions inhumaines de détention dont souffre aussi un certain nombre de ses codétenus de la prison. Elle le rappelle d'ailleurs dans son livre blanc sur la torture blanche, rapport qu’elle a publié en décembre 2022 qui documente régulièrement les passages à tabac, les agressions physiques, les violences psychologiques et les cas de torture blanche.

Notre troisième demande, c’est d'exhorter les autorités iraniennes à libérer immédiatement Narges Mohammadi, puisqu'il s'agit d'une détention absolument illégale et contraire au droit international. Elle n'a fait l'objet d'aucun procès équitable, sa détention est arbitraire. Elle est criminalisée en raison des combats qu'elle a pu porter et pas du tout en raison des accusations fallacieuses qui ne reposent sur aucune preuve tangible d'une participation quelconque à une activité contre la sécurité nationale. C'est une prisonnière d’opinion. Elle est incarcérée au mépris de sa liberté de conscience et d'expression. À mesure qu'elle persiste dans ses combats et acquiert une stature internationale, notamment avec l’attribution le 6 octobre dernier du prix Nobel de la paix, elle bénéficie d'un rapport de force supplémentaire. C'est pour cela qu’elle est de plus en plus considérée comme une criminelle d'État par le régime islamique. On lui réserve un traitement sécuritaire comparable à celui d'une terroriste, en raison de la menace grandissante qu'elle incarne pour les autorités iraniennes qui redoutent de voir une figure d'incarnation des forces de résistance prendre forme.  

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Envisagez-vous d’autres actions contre sa détention ? 

Mon association et plus de trente organisations de défense des droits humains, comme Amnesty International ou Front Line Defenders, se sont mises de concert pour cosigner un appel à l'ensemble de la société civile pour qu’elle appelle à la libération immédiate de Narges Mohammadi. Cet appel, publié dans Le Monde, va être suivi d'un certain nombre d'actions, en l'occurrence d'une pétition internationale et de mobilisations dans tous les pays où ces organisations ont des émanations. Le seul mot d'ordre aujourd'hui, c'est la libération immédiate et sans concession de Narges Mohammadi afin qu'elle puisse, le 10 décembre prochain, se voir remettre en personne le prix Nobel de la paix à Oslo. Sa place n'est pas en prison, mais aux côtés des siens et en liberté. 

Les détenues du régime islamique se font systématiquement refuser l’accès aux soins si elles ne portent pas le voile. Est-ce que vous prévoyez un recours collectif contre le refus d’accessibilité aux soins ? 

Il y a un problème de recevabilité de nos recours. Nous ne pouvons pas les saisir sans avoir un mandat de la part des prisonnières politiques. Le mandat qui nous a été donné pour Narges Mohammadi m'est parvenu par son époux, c’est lui qui m'a mandatée pour diligenter cette action. Ce n'est pas nécessairement le cas des autres prisonnières politiques qui ont des difficultés pour engager un certain nombre de démarches.

Ensuite, d'une manière générale, le groupe de travail sur la détention arbitraire ne peut être saisi que de cas individuels. C’est le cas en l’occurrence de Narges Mohammadi, pour qui nous avions des allégations extrêmement circonstanciées sur ces refus de soins. En somme, pour pouvoir saisir ce mécanisme, il faut qu'on soit mandatés individuellement et qu'on ait des allégations suffisamment fiables et documentées. Ça ne veut pas dire qu'on s'interdit de faire attention aux autres cas, ça veut dire qu'en l'état, nous ne pouvons pas envisager des saisines similaires pour les autres prisonnières politiques. De toute façon, pour que notre démarche soit efficace et qu'elle puisse accroître le rapport de force des militants des droits humains par rapport à ce régime, elle ne peut être que collective et dépasser le seul cas de Narges Mohammadi. Nous avons bon espoir que le rapport du groupe de travail de l’ONU, qui sera rendu en mars 2024, mette au jour la réalité des crimes d'État qui ont été perpétrés par les autorités iraniennes et nous permette à nous, juristes et avocats, de saisir la Cour pénale internationale. 

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