Karine Follin : "Être secrétaire de mairie, c'est 24 heures sur 24"

Karine Follin, secrétaire de mairie à Tourneville dans l'Eure ©Radio France - Rosalie Lafarge
Karine Follin, secrétaire de mairie à Tourneville dans l'Eure ©Radio France - Rosalie Lafarge
Karine Follin, secrétaire de mairie à Tourneville dans l'Eure ©Radio France - Rosalie Lafarge
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Elles sont considérées comme l'un des maillons essentiels de la vie communale. Les secrétaires de mairie sont au cœur d'une proposition de loi pour revaloriser ce métier qui peine à attirer des candidats. Karine Follin l'exerce depuis une trentaine d'années avec passion et lucidité !

"Cheville ouvrière de l'action publique", "maillon incontournable", "rouage clé"... Voilà comment  les sénateurs parlent des secrétaires de mairie en juin 2023, quand ils votent à l'unanimité une proposition de loi pour revaloriser ce métier. Ce texte arrive en séance à l'Assemblée nationale ce lundi 13 novembre, sous l'œil attentif et critique de Karine Follin, secrétaire de mairie à Tourneville en Normandie.

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Son petit bureau juste derrière la porte d'entrée de la mairie est parsemé de pochettes. Une orange pour le recensement 2024, une verte pour le futur itinéraire vélo, des enveloppes à ouvrir, des dossiers à étudier... "Il y a de tout mais c'est un bazar organisé", rit-elle. S'il y a de tout, comme elle dit, c'est parce que son métier lui fait faire un peu tout dans cette petite commune de 340 habitants. Dans le milieu, le synonyme de secrétaire de mairie, c'est "couteau suisse" !

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Karine Follin est bien en difficulté quand il s'agit de raconter une journée type. "En arrivant, il faut vérifier la boîte mail, répondre quand on le peut ou lancer les recherches, relever le courrier papier, à étudier également. En parallèle, il y a la comptabilité à suivre, surtout dans les petites communes puisque comme on travaille beaucoup avec de petits artisans locaux, on ne peut pas laisser trainer les facture à régler. En plus de cela, on a les choses qui reviennent périodiquement : les budgets tous les ans, les élections... Là, j'ai le recensement en 2024, il faut commencer à le préparer. Donc finalement, le matin quand on arrive, hormis tout ce qui est courrier, on n'a pas vraiment de directives pour la journée, on ne peut pas avoir un emploi du temps à suivre, c'est impossible, on avise !"

A quoi peut ressembler une journée de secrétaire de mairie ?

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Karine Follin, secrétaire de mairie à Tourneville, à son bureau
Karine Follin, secrétaire de mairie à Tourneville, à son bureau
© Radio France - Rosalie Lafarge

Ce qui rend son travail aussi passionnant que fatigant, sourit cette femme d'aujourd'hui 58 ans. Fines lunettes vissées sur le nez, cheveux très courts, Karine Follin aime son métier. Cette aînée d'une famille de trois, qui a grandi un pied en Anjou l’autre en l'Alsace, rêvait pourtant d'autre chose à l'adolescence. Elle était attirée "par le milieu médical" et voulait être "infirmière en bloc opératoire". Elle tente deux fois le concours d'entrée en école d'infirmière, malheureusement sans succès. "J'ai déclaré forfait", assume-t-elle aujourd'hui.

De la fonction publique d'Etat à la fonction publique territoriale

Changement de programme et direction La Poste. Comme ses parents, qui y sont fonctionnaires. Dans le Maine-et-Loire, elle y travaille comme agent contractuel pendant presque huit ans en enchaînant les remplacements à travers le département : guichet, factrice, femme de ménage, centre de tri. Et puis elle démissionne, pour suivre son conjoint en Normandie.

En cherchant du travail à La Haye-Malherbe où elle habite désormais, elle tombe sur une annonce : sa commune cherche une secrétaire de mairie pour prendre le relai de celle qui part à la retraite. Le maire organise un "mini concours" pour départager les candidates, avec "une dictée assez costaud et la rédaction d'une lettre administrative", il sonde leur maîtrise du français, à l'écrit comme à l'oral. Et Karine Follin, 27 ans alors, l'emporte ! "C'est de là que tout est parti".

A l'époque, sans aucune formation, Karine Follin découvre son métier en l'exerçant. "La grosse surprise, se souvient-elle, ça a été la polyvalence des tâches". Entre l'accueil du public, l'aide aux démarches administratives, l'élaboration des budgets, la gestion de la comptabilité et de la commande publique, les dossiers de subvention, de l'urbanisme, de l'état civil... "J'avoue que les débuts ont été un peu chauds", souligne quand même la secrétaire de mairie. Mais elle se fait à toutes ces casquettes et s'y plaît au point d'y rester 17 ans, avant de commencer un peu à fatiguer.

Rappelée par les mairies

Elle décide alors de faire une pause. Cette passionnée de nouvelles technologies se donne deux ans pour tenter de se reconvertir dans le codage informatique. Sauf que les élus du coin ne l’entendent pas tout à fait de cette oreille ! "Pendant ces deux ans, des mairies m'appelaient pour des remplacements. Et de fil en aiguille, j'ai repris le cheval et je suis repartie dans les mairies. Mais avec beaucoup plus de recul et de fermeté dans mon approche. J'ai choisi des petites collectivités pour avoir un peu plus d'autonomie et découvrir une autre façon de travailler", se félicite Karine Follin.

Des petites collectivités à la recherche de secrétaires de mairie ça ne manque pas ! Karine Follin trouve facilement plusieurs postes et les cumule "pour arriver à peu près un temps complet". Elle navigue ainsi entre différentes communes de l'Eure avant de se poser à Tourneville. Et uniquement Tourneville. Elle y fait 28 heures par semaine. "A 58 ans, c'est suffisant, parce que je suis un peu usée quand même. Il y a une fatigue psychique en fin de carrière. Parce qu'être secrétaire de mairie, c'est du 24 heures sur 24. On ne peut pas déconnecter, on pense toujours à quelque chose qu'on a commencé et pas terminé, on a un coup de fil du maire ou d'un adjoint pour nous dire qu'il y a eu un décès et qu'il faut venir, l'organisation des élections, les budgets, c'est du stress. Ce n'est pas facile. Surtout quand on aime son métier, c'est épuisant !" reconnaît-elle.

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Pour l'aimer ce métier, elle l'aime. Elle a même créé en 2019 avec quelques collègues  l'Association des secrétaires de mairie rurale de France. "On avait beaucoup de coups de fil à droite à gauche pour nous demander des renseignements, comme on était anciennes dans le milieu, on se retournait souvent vers nous. Et on s'est dit que si une ou deux secrétaires dans le voisinage avaient besoin d'informations, il devait y en avoir d'autres au niveau national. Donc on a monté l'association pour que tout le monde puisse avoir accès aux informations".

Cet investissement lui a valu d'être  nommée l'an dernier chevalier de l'ordre national du Mérite. Non sans émotion. "C'est très impressionnant" dit-elle humblement.

En trente ans d'expérience, elle a vu son métier changer

Tout cela ne l'empêche pas de regretter quelques évolutions. "Le souci, c'est qu'avec la dématérialisation, on a perdu beaucoup de contact. Même avec les administrations, tout se fait par mail. Et puis ce qui a beaucoup changé aussi, c'est la vision du public par rapport à nous. Les gens payent leurs impôts en ligne, gèrent leurs factures par internet. Résultat, quand ils viennent en mairie, on a le sentiment d'être pris pour une machine. On leur doit tout tout de suite. Ils viennent chercher un renseignement, on est censé l'avoir. C'est le côté qui est devenu plus désagréable maintenant qu'auparavant".

"Il y a eu beaucoup de changements, et pas nécessairement en bien"

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Et ça n’aide pas à attirer les candidats, même si pour elle, le problème est ailleurs. "Les compétences qu'il faut avoir, c'est tellement lourd que ça fait peur. Beaucoup ne se rendent pas compte de ce que représente le travail réel une fois en poste. Et puis il y a le côté financier. Quand on voit le travail demandé et la rémunération en parallèle - moins de 11 euros net par heure en catégorie C - on voit bien qu'il y a un fossé qui nous sépare du privé".

C’est d’ailleurs l’un des points de  la proposition de loi attendue lundi à l’Assemblée. Le texte vise entre autre à favoriser la promotion interne, de la catégorie C à la catégorie B. "Insuffisant" pour Karine Follin. "Pourquoi prévoir une de faciliter la promotion, et pas les nommer directement en catégorie B ? " s'étonne-t-elle.

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Adopté à l’unanimité au Sénat, le texte a au moins le mérite de mettre en lumière ce métier méconnu, occupé à plus de 90% par des femmes, mais qui peine donc à attirer de nouveaux candidats. Aujourd’hui, près de 2 000 postes sont vacants, et on estime qu’il y en aura quasiment 10 000 à renouveler d’ici 2030, puisqu'un tiers des agents actuels approche de la retraite. Karine Follin en fait partie et elle l'admet, elle attend avec un peu d'impatience l'heure du départ !

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