Pierre Rosanvallon dénonce "la persistance de tout un antisémitisme latent dans la société française"

Pierre Rosanvallon ©AFP - Yann Castanier / Hans Lucas
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Pierre Rosanvallon ©AFP - Yann Castanier / Hans Lucas
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Pierre Rosanvallon, historien, sociologue et professeur émérite au Collège de France, est l'invité du Grand Entretien. Il participait dimanche à la manifestation contre l'antisémitisme, et analyse également la polarisation actuelle de la classe politique et de la société française.

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  • Pierre Rosanvallon Historien et sociologue, directeur d’études de l’EHESS en histoire et philosophie du politique

L'historien dit avoir défilé "pour deux raisons" : "La première, une raison de solidarité, parce que les actes antisémites se sont multipliés de façon alarmante depuis un mois. La deuxième, c"est qu'il y avait aussi la volonté d'avoir la mémoire de ce que veut dire l'antisémitisme, et en même temps de faire nombre. C'était la première fois, de toutes les manifestations auxquelles j'ai pu participer, que je voyait une pure manifestation d'individus : il n'y avait pas de banderole, pas de groupe constitué à l'intérieur, pas de slogan, chacun était venu comme personne. Il y avait une gravité et le sentiment que ce qui était important, c'était la présence."

"Derrière cette haine historique, il y a l'idée que les juifs sont en trop"

"Il y avait peu de jeunes, peu de personnes de la diversité", reconnait-il toutefois. "J'ai deux petites-filles qui ont 15 ans. Et je suis très frappé par le fait que pour nous, quand des adultes pensent antisémitisme, ils pensent Shoah, Vichy, affaire Dreyfus, alors que pour des plus jeunes, ils pensent au rapport avec le conflit israélo-palestinien. Parce que c'est l'actualité immédiate, ils ne voient pas l'Histoire longue. Or on ne peut pas comprendre la situation actuelle si l'on oublie que l'histoire d'Israël s'inscrit dans une histoire très longue de l'antisémitisme."

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Il estime toutefois que le nombre élevé d'actes antisémites relevés depuis le 7 octobre "n'est pas la conséquence exclusive du conflit israélo-palestinien". "Bien sûr, il joue un rôle important aujourd'hui. Mais ce que montrent ces événements, c’est la présence, la persistance de tout un antisémitisme latent dans la société française. Il a plusieurs dimensions : au XIXe siècle, l'antisémitisme, c'est l'anticapitalisme ; dans l'affaire Dreyfus, le juif c'est le traître à la patrie. Au fond, derrière cette haine historique du juif, il y a l'idée que les juifs sont en trop, qu'ils n'ont pas leur place dans la société."

"Il y a une critique de l'antisémitisme qui vise par ricochet les populations immigrées"

Sur la présence du RN lors de la manifestation de dimanche, Pierre Rosanvallon revient à son idée d'une manifestation d'individus avant tout : "Il y avait 100.000 individus : Marine Le Pen était donc un cent-millième de la manifestation. Ne lui consacrons pas 50 % des commentaires. Il faut aussi prendre le temps de montrer qu'il y a aujourd'hui une critique de l'antisémitisme ambiguë, qui vise par ricochet les populations immigrées, les populations de banlieue, accusées d'être les champions de l'antisémitisme. Il y a une forme de perversité : elle ne vise pas tant à protéger les juifs, qu'à stigmatiser sur un nouveau mode tout un ensemble de population."

"Quand je vois une personnalité comme Éric Zemmour, qui se présente comme un champion de la lutte contre l'antisémitisme, mais qui peu de temps auparavant célébrait Pétain comme le protecteur des juifs, il y a une critique de l'antisémitisme des années 2020 qui va de pair avec une apologie de l'antisémitisme des années 1940", assène l'historien.

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