Dans cette émission enregistrée lundi 13 novembre, les victimes s’expriment sur la MSA (Mutualité sociale agricole) – la sécurité sociale du secteur agricole –, et sur le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), créé en 2020 sous la houlette de la MSA.
Nous avons donc interrogé la Caisse centrale de la MSA sur la prise en charge des victimes de pesticides et sur les cas précis des personnes invitées sur le plateau. Les réponses qui nous ont été apportées se trouvent ci-dessous.
L’une des victimes invitées, Sabine Grataloup, s’exprime par ailleurs sur les poursuites judiciaires qu’elle a engagées en 2018 contre l’entreprise Bayer (ex-Monsanto), fabricante de produits phytosanitaires. Les éléments communiqués par Bayer sont également ci-dessous.
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Mediapart : Combien de victimes de pesticides ont été indemnisées depuis la création du Fonds, en novembre 2020 ? Parmi elles, combien d’enfants ont été indemnisés ? À l’inverse, combien de demandes d’indemnisations n’ont pas été satisfaites ?
Caisse centrale de la MSA : Au 1er novembre 2023, le FIVP a reçu 1723 demandes d’indemnisation depuis sa création : 17 demandes pour exposition prénatale et 1706 pour exposition professionnelle.
Le lien entre la maladie et l’exposition a été reconnu pour 1173 demandes jusqu’à présent : 5 demandes pour exposition prénatale et 1168 pour exposition professionnelle.
Mais une partie importante des demandes 2023 sont encore en cours d’instruction ou en attente de l’accord de la victime (les demandes sont instruites dans le délai de 4 mois dès réception par le FIVP) ; et si le délai est dépassé (ce qui est arrivé en 2022 pour 38 demandes) un accord d’indemnisation est systématiquement donné. Les victimes ont ensuite 4 mois pour accepter le montant de l’offre d’indemnisation : donc la plupart des demandes reçues en 2023 ont pu faire encore l’objet du versement.
En 2022, 81% des demandes ont donné lieu à indemnisation.
Parmi les victimes indemnisées depuis la création du FIVP, combien de victimes ont été reconnues « post-mortem » et combien de veufs, veuves, et de parents d’enfants décédés ont été indemnisés ?
Nous ne pouvons donner aucune information concernant les demandes individuelles adressées au FIVP qu’elles soient en cours ou passées.
Quels sont les montants alloués chaque année au Fonds ? Au vu de l’augmentation du nombre de demandes de reconnaissance en maladie professionnelle, est-il prévu de les augmenter ?
La loi prévoit un double financement qui provient :
- d’une part du produit de la taxe sur la vente de pesticides (en 2022, montant était de 11,7 millions d’euros)
- du résultat des cotisations maladie professionnelle.
En 2022 et pour 2023 ces sommes suffiront et il est prévu en effet que la part du montant puisse évoluer si le nombre des indemnisation continue de progresser.
Pourquoi le FIVP n’indemnise que la population agricole, et non pas les riveraines et riverains des zones agricoles qui contractent les mêmes maladies que celles qui sont au tableau professionnel des maladies agricoles ?
Le législateur a lui-même restreint le périmètre de l’indemnisation FIVP au caractère professionnel et non environnemental. Les cotisations maladies professionnelles contribuent ainsi au financement des rentes qui sont versées chaque mois aux victimes.
Le FIVP indemnise les victimes professionnelles du régime général, les victimes d’exposition prénatale quel que soit le régime d’affiliation ainsi que les assurés du régime agricole et les victimes d’outre-mer.
Aujourd’hui les victimes sont à plus de 90% des travailleurs du monde agricole.
Pourquoi la procédure de reconnaissance en maladie professionnelle exige tant de temps pour certaines victimes – jusqu’à 5 ans de procédure ? Pourquoi certaines sont-elles contraintes de menacer d’aller au tribunal pour obtenir la reconnaissance ?
Le FIVP a été créé notamment pour répondre à un souhait de rapidité de reconnaissance : 4 mois (8 mois pour les demandes d’exposition prénatale).
En 2022 le délai moyen de traitement était ainsi de 138 jours.
Certaines des victimes, comme Gaëlle Galien et Gisèle Garreau, ont poursuivi la MSA, qui a été condamnée. Envisagez-vous de changer vos méthodes, afin de faciliter les procédures pour des personnes déjà très éprouvées, physiquement et psychologiquement, par leur maladie ? Si oui, de quelle manière ?
Pas de réponse à cette question
Pourquoi, dans le cas d’Antoine Lambert, le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) fixé par le FIVP est-il de 55 % alors qu’il est de 72 % pour des cas similaires ?
Pas de réponse à cette question
Pourquoi, dans le cas de Gisèle Garreau, le taux d’IPP fixé par le FIVP est-il de 25 % alors que le médecin conseil de la CPAM lui avait indiqué un taux de 67 %, et qu’il est bien supérieur dans des cas similaires ?
Pas de réponse à cette question
Pourquoi, dans le cas de l’indemnisation de Bernard Guignes, le taux d’IPP est de 30 % alors qu’il est de 50 à 70 % dans des cas similaires ?
Pas de réponse à cette question
Dans le cas de l’indemnisation de Théo Grataloup, pouvez-vous confirmer le lien entre l’exposition prénatale de la mère au glyphosate et les pathologies développées par son fils ?
Nous ne pouvons donner aucune information concernant les demandes individuelles adressées au FIVP qu’elles soient en cours ou passées.
Toutefois, vous trouverez toutes les informations utiles à la compréhension des missions du fonds sur fivp.fr et dans le dernier rapport d’activité en ligne.
Le FIVP répond également à l’objectif de reconnaissance plus rapide mais aussi plus homogène et donc plus juste. En effet, c’est un collège de médecins qui étudie toutes les demandes quels que soient le lieu de résidence de la victime, sa profession ou sa maladie.
La fixation du taux est donc désormais faite au regard de toutes les autres demandes similaires, et sur la base de tableau qui n’existaient pas avant le FIVP.
Plusieurs victimes indiquent ne pas avoir été correctement informées de l’existence du Fonds. De quelle manière informez-vous la population agricole, autant exploitant·es que salarié·es, en métropole et dans les Antilles ?
De nombreuses actions d’information sont régulièrement mises en œuvre auprès des populations concernées (Antilles, affiliés du régime agricole).
Par ailleurs, des actions de prévention sont menées par la médecine de santé sécurité au travail (très présente sur le sujet des pesticides)
Des actions de sensibilisation sont faites auprès des professionnels de santé (ex. services pédiatriques).
Le formulaire de déclaration de maladie professionnelle présente une coche permettant d’indiquer que la maladie de la victime présente un lien avec les pesticides.
Enfin, de nombreuses actions de communication sont prévues à court terme pour faire connaitre le FIVP.
Est-il prévu que d’autres pathologies entrent aux tableaux des maladies professionnelles agricoles ?
Le FIVP est en lien constant avec les ministères, les services de santé au travail et la COSMAP (Commission supérieure des maladies professionnelle) pour faire évoluer les travaux et faire progresser les éléments de reconnaissance de lien des maladies avec les pesticides.
De nombreux anciens ouvriers et ouvrières agricoles, notamment en Martinique, se retrouvent aujourd’hui à la fois malades, en incapacité de travailler, et au-dessous des minimums vieillesse, les indemnisations étant parfois inférieures à 300 euros par mois. Le Fonds envisage-t-il de rehausser le niveau des rentes d’indemnisation ?
Le FIVP peut justement attribuer un complément d’indemnisation aux victimes retraitées
Est-il prévu de faciliter les démarches pour toutes les personnes dont la carrière s’est terminée à la CPAM après avoir été à la MSA, et qui de ce fait ne parviennent pas à faire reconnaître dans un temps raisonnable leur maladie professionnelle ?
Dès lors que le lien est établi entre la maladie et les pesticides, la victime, qu’elle soit actuellement ou anciennement au régime agricole ou qu’elle ait fait toute sa carrière au régime général, peut déposer son dossier devant le FIVP.
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– Mediapart : La demandeuse (Sabine Grataloup) fait valoir que la société Monsanto a manqué, en 2006, à l’obligation d’information dont elle était débitrice à l’égard des consommateurs du produit Glyper, qui contient du glyphosate. Quelles informations avez-vous données aux consommateurs de Glyper, et sous quelle forme ces informations étaient-elles diffusées ?
– La demandeuse fait valoir que la notice d’utilisation du Glyper ne comprenait que la mention « Ne pas inhaler », indication considérée comme insuffisante au regard de tous les dangers établis par la recherche scientifique. Était-ce le cas avec tous les produits contenant du glyphosate, et est-ce le cas toujours aujourd’hui ?
– La demandeuse fait valoir que la société Monsanto ne pouvait ignorer la toxicité du produit mis en cause. Que saviez-vous en 2006 de la toxicité du glyphosate, en particulier pour les femmes enceintes exposées à la molécule ? Pourquoi n'avez-vous pas déconseillé l’utilisation de ce produit aux femmes enceintes ?
- La demandeuse fait valoir que les révélations par la presse internationale, et notamment en France par Le Monde, des « Monsanto Pappers », ont montré que la société Monsanto organisait une désinformation autour du glyphosate. Est-ce que votre société a effectivement menti sur la toxicité du glyphosate ?
– Depuis 2006, avez-vous modifié vos étiquettes sur les produits contenant du glyphosate ? Quelles indications donnez-vous pour les femmes enceintes ?
Le glyphosate est produit par plusieurs entreprises depuis que son brevet est entré dans le domaine public en 2000, et Bayer ne peut répondre que pour ses propres formulations à base de glyphosate. Le Glyper n’est pas un produit distribué par Bayer. Le distributeur de ce produit serait à même de pouvoir vous fournir les réponses à vos questions.
Le glyphosate n’était pas en 2006, et n’est toujours pas tératogène au regard de l’état de la science. Aucun des produits à base de glyphosate n’a hérité d’une classification obligeant à mentionner un danger pour la reproduction ou le fœtus. Les femmes enceintes doivent prendre les mêmes précautions que tout autre utilisateur lors de l’application du produit.
Les autorités et notamment l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques) et l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) ont indiqué que les « Monsanto Papers » ne changent pas leur évaluation du Glyphosate. L’EFSA a ainsi pu confirmer qu’« il n’existe aucune information contenue dans les « Monsanto Papers » ou dont l’EFSA aurait par ailleurs connaissance qui indiquerait que l’industrie a tenté de falsifier ou de manipuler les conclusions et les données brutes des études d’orientation réglementaires utilisées dans l’évaluation du glyphosate » et l’ECHA a indiqué que les Monsanto Papers n’ont eu aucun impact sur l’évaluation globale de la classification du glyphosate.
En outre le glyphosate est la substance la plus étudiée au monde. Plus de 1500 études, dont une centaine de nouvelles études réglementaires, et plus de 12 000 publications scientifiques, ont ainsi été soumises à l’examen des autorités européennes. Toutes ces études confirment l’utilisation sûre du glyphosate et des produits à base de glyphosate. Il est déraisonnable de penser un instant que Monsanto aurait pu influencer les chercheurs à l’origine des milliers de publications scientifiques.
Une instance étant en cours devant le tribunal judiciaire de Vienne, et par respect pour la justice de notre pays, nous ne souhaitons pas développer davantage d’arguments sur ce sujet.