Asie

Bangladesh : quel bilan pour les ouvriers textiles après la grève historique ?

Quel bilan pour les ouvriers textiles du Bangladesh ?

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InfoPar Marine Lambrecht avec Esmeralda Labye et Sébastien Farcis

Les travailleurs des usines textiles ont rejoint leurs postes de travail mercredi dernier après trois semaines de grève au Bangladesh. Une fin de grève amère puisque les ouvriers n’ont pas obtenu gain de cause. Ils ont négocié une augmentation salariale, certes, mais celle-ci reste insuffisante pour leur permettre de vivre dignement.

Dans les rues, le mouvement a été durement réprimé : au moins 4 ouvriers ont trouvé la mort lors d’affrontements avec la police, 140 ouvriers et plusieurs dirigeants syndicaux ont été arrêtés, et environ 10.000 travailleurs font l’objet de poursuites pour violences, selon la police. Une injustice largement ignorée par les marques de fast fashion, qui maintiennent un silence assourdissant. Sébastien Farcis, correspondant de la RTBF sur place, tire le bilan de ce mois de novembre déjà qualifié d'"historique".

Pas assez d’argent pour vivre

Le mouvement de grève a commencé le 30 octobre. Des milliers d’ouvriers du textile ont vandalisé des usines du Bangladesh pour protester contre leurs conditions de travail. Ils exigent un salaire mensuel minimum de 23.000 takas (200 euros) contre 8300 takas (70 euros) décidés par le gouvernement il y a cinq ans. C’est justement là que le bât blesse. "Cette grogne vient du fait que cela fait cinq ans que les ouvriers du textile n’ont pas vu leur salaire minimum augmenter. Les seules propositions de la direction et du patronat étaient inadmissibles pour eux", explique Sébastien Farcis.

Après une semaine de grève, le patronat a accepté une hausse de 56% du salaire minimum pour atteindre 12.500 takas (105 euros). Cette augmentation semble impressionnante mais au regard de l’inflation galopante dans le pays, elle ne permet toujours pas aux quatre millions d’employés du secteur de vivre dignement. La grande majorité de ces ouvriers sont des femmes, qui peinent à se nourrir et à nourrir leurs familles.

"Depuis 2018, beaucoup d’aliments ont augmenté de 150 à 200%. Tout ce qui constitue la base de la nourriture des ouvriers a doublé, comme les oignons, le riz et les lentilles. Donc avec leur salaire, les ouvriers ne peuvent vivre que vingt jours à présent et le reste du mois, ils vivent à crédit. Cela ne devrait pas arriver quand les patrons, les marques et les distributeurs font des profits", dénonce Kalpona Akter, présidente de la fédération des travailleurs du textile du Bangladesh.

Quelques progrès depuis 2013

La Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a rejeté la semaine dernière toute nouvelle hausse des salaires et a prévenu que les protestations pourraient entraîner des suppressions d’emplois. Plusieurs de ses ministres, ainsi que des dizaines de députés du parti au pouvoir, sont de puissants patrons du textile. L’industrie pèse pour environ 85% des 55 milliards de dollars d’exportations annuelles du pays, et fournit de nombreuses grandes marques de fast fashion comme Levi’s, Zara ou H&M.

Face aux pressions, Le principal dirigeant syndical, Babul Akhter, a appelé mercredi les ouvriers à reprendre le travail, tout en maintenant ses revendications. Au Bangladesh, le combat des ouvriers du textile n’est pas neuf. Depuis la tragédie du Rana Plaza en 2013, qui a fait plus de 1000 morts, les syndicats ont obtenu plusieurs avancées.

"Les conditions générales des bâtiments se sont améliorées et c’était le nœud du problème. Les normes ont été révisées grâce à un comité qui a été mis en place avec la participation d’organisations internationales. Depuis 2013, on n’a pas eu d’accidents de la sorte avec plus d’un millier de morts", observe Sébastien Farcis. "Par contre, le salaire au Bangladesh reste le plus bas de toute la région. C’est bien pour cela que beaucoup de marques continuent à choisir le Bangladesh, qui est le deuxième producteur de textiles à destination des pays occidentaux après la Chine."

Le silence des marques

Les syndicats se mobilisent à Bruxelles pour les travailleurs du textile au Bangladesh
Les syndicats se mobilisent à Bruxelles pour les travailleurs du textile au Bangladesh © Tim Dirven / Achact

La situation des travailleurs du Bangladesh fait réagir jusqu’en Belgique. Vendredi, une délégation syndicale ACV/CSC et ABVV/FGTB a interpellé les enseignes Primark, Zara, H&M et C&A de la rue Neuve à Bruxelles. Les participants reprochent à ces marques de s’enrichir sur le dos des travailleurs. "Les politiques d’achat des marques de vêtements sont directement liées aux salaires des travailleurs de l’habillement : si elles paient un prix dérisoire à leurs fournisseurs, il n’y a pas de place pour un salaire vital", pointent les organisations dans un communiqué.

Il faut dire que la plupart des grandes marques font profil bas depuis le début de la grève. Dans une lettre commune en septembre, des marques comme Asos, Primark et H&M ont écrit qu’elles reconnaissaient leur rôle dans le "soutien à l’évolution des salaires". Mais ces paroles ne signifient pas grand-chose si les marquent n’acceptent pas de payer davantage leurs fournisseurs.

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