L’UE doit réduire d’un tiers l’utilisation d’engrais azotés pour concilier alimentation et environnement, selon une étude

L'UE doit "globalement" réduire de 31 % l'épandage d'azote dans les cultures, selon une récente étude hollandaise. [oticki / Shutterstock]

Selon une récente étude hollandaise, l’UE doit réduire drastiquement son utilisation d’engrais azotés pour concilier production alimentaire et durabilité, et parvenir aux objectifs de la stratégie de l’UE « de la ferme à la table » (Farm to Fork).

« L’azote [contenu dans les engrais, NDLR] est un élément qui prend de nombreuses formes. L’ammoniac affecte la biodiversité, et le protoxyde d’azote a un pouvoir de réchauffement du climat 300 fois plus puissant que le CO2 », annonce le chercheur hollandais Wim de Vries, lors d’une conférence au Parlement européen le 25 octobre dernier sur la gestion durable des nutriments.

Si les engrais de synthèse font moins parler d’eux que les pesticides, leur utilisation croissante depuis 50 ans pour améliorer les rendements provoque des dégâts considérables sur l’environnement : pollution des eaux, émissions de gaz à effet de serre, appauvrissement des sols et des écosystèmes.

Autre problème que rencontre l’Europe sur le secteur des engrais : sa dépendance à la Russie, premier pays exportateur d’engrais azoté (au monde) et deuxième d’engrais à base de phosphore et de potassium selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture).

À l’échelle mondiale, le surplus d’azote dans l’environnement – mais aussi de phosphore – dépasse les « limites planétaires », au-delà desquelles nous sortons de la « norme » et entrons dans un monde incertain selon le protocole du Stockholm Resilience Centre (SRC). L’Agence européenne pour l’environnement (AEE) estime qu’en Europe, les pertes d’azote sont plus de trois fois suppérieures aux limites, deux fois pour le phosphore.

Toutefois, pour Wim de Vries, les choses sont plus complexes : « Ces études ne disent pas un mot sur les variations spatiales. Il y a des endroits comme l’Afrique subsaharienne où il y en manque, avec pour conséquence la famine ».

« Nous avons besoin d’engrais. L’azote reste un nutriment majeur pour produire nos protéines. 30 à 50% de la population en dépend, et 2 millions de personnes en manquent », ajoute le chercheur spécialiste de la chimie des sols.

Engrais : les députés européens s’entendent sur une stratégie d’indépendance vis-à-vis de la Russie

Dans un projet de résolution voté mardi (31 janvier), les députés européens ont demandé à la Commission de mettre en œuvre des mesures pour se passer des engrais russes, comme la fin des droits d’importations et le développement des engrais organiques.

Améliorer l’efficacité et diminuer les pertes

Pour le scientifique, qui a publié quantité d’études sur le sujet, le problème vient d’abord d’une mauvaise utilisation de l’engrais. Il y a trop de pertes. Que ce soit par les eaux de pluie (lessivage) ou en s’échappant dans l’atmosphère, une grande partie de l’azote est perdu dans l’environnement.

« Sur 100 kg d’azote épendu, 14 kg se retrouvent dans les cultures que nous mangeons, et 4 kg dans l’alimentation animale. Il y a une perte énorme », ajoute Wim de Vries.

Or, comme le montre une étude à laquelle il a participé, une gestion adaptée des systèmes agricoles pourrait diminuer les pertes et ainsi augmenter de 30 % l’efficacité des engrais, que ce soit en réduisant les doses, injectées de façon plus précise, et au bon moment de fertilisation.

D’autres expériences ont montré que ces mécanismes d’atténuation n’engendraient pas de coûts supplémentaires ni de diminution de la productivité agricole.

« Cela montre que la gestion optimale des éléments nutritifs, la gestion des cultures, des sols et leur combinaison, sont autant de possibilités d’augmenter l’efficacité de l’utilisation finale de l’azote », souligne Wim de Vries.

Dans l’UE, les directives sur les nitrates, les directives Habitats ou encore Oiseaux encouragent déjà les agriculteurs à maîtriser les pertes d’azote et améliorer l’efficacité des épandages, tout en demandant aux États un suivi régulier de l’état de pollution des écosystèmes.

Malheureusement, selon le dernier rapport de la directive nitrates de 2021, la Commission constate que pour les périodes 2008-2011, 2012-2015 et 2016-2019, « les bilans nets de l’azote et du phosphate ont tous deux légèrement augmenté au niveau de l’Union des Vingt-sept et le Royaume-Uni ».

Par ailleurs, 10 affaires d’infraction ont eu lieu à l’encontre d’États membres.

Diminution d’un tiers de l’azote en UE

Pour M. de Vries, l’UE doit « globalement » réduire de 31 % l’épandage d’azote dans les cultures, s’appuyant sur une récente étude qu’il a conduite. Celle-ci a évalué les différences entre apports critiques d’azote – ce dont ont besoin les cultures – et les apports réels dans les différents pays.

Certains pays ou régions de l’UE avec une forte densité de bétail – les animaux relâchent de l’azote dans l’environnement – et une agriculture intensive dépassent largement les apports critiques, c’est le cas de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Flandre en Belgique, de la Bretagne en France et de la vallée du Pô en Italie.

En revanche, d’autres pays d’Europe centrale, comme la Pologne ou la Hongrie, n’atteignent pas toujours le seuil critique utile aux cultures, et perdent en rendement. Raison pour laquelle, le chercheur insiste sur la juste « répartition » des usages, associée à une diminution globale de l’azote, et une meilleure efficacité.

« Cela souligne la nécessité d’adopter des politiques d’atténuation spécifiques à chaque région, fondées sur des informations régionales relatives aux apports critiques d’azote et à leurs dépassements, ainsi qu’à leurs conséquences », conclut l’étude hollandaise.

Pour parvenir aux ambitions de la stratégie « de la ferme à la table », à savoir une baisse d’au moins 50 % des pertes de nutriments d’ici à 2030, et de 20 % l’utilisation des engrais de synthèse, d’autres leviers devront être mis en œuvre, en dehors des systèmes alimentaires.

Il faudra notamment diminuer la consommation de viande, réduire le gaspillage alimentaire en recyclant les résidus de culture et les déchets domestiques, avertit Wim de Vries.

Engrais : les eurodéputés demandent des actions à plus long terme

Les eurodéputés voient la récente communication de la Commission sur les engrais comme une première étape pour assurer l’autonomie stratégique de l’UE dans ce secteur, mais ils suggèrent d’envisager des actions à plus long terme pour soutenir les agriculteurs en difficulté.

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