"Les femmes politiques, on leur parle de leurs vacances, de leurs gamins et de leurs tenues". Cela peut sembler inoffensif mais pour Mathilde Viot, co-fondatrice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique et autrice de L'homme politique, moi j'en fait du compost, c’est bien une forme de violence, une manière de rappeler aux femmes que leur place n’est pas en politique.

"De là se décline tout un scénario qui va de ce qui peut sembler anodin, jusqu’au tragique qu'a vécu Sandrine Josso." La récente plainte de la députée contre le sénateur Joël Guerriau, qu’elle accuse de l’avoir droguée dans le but de l’agresser sexuellement, vient de secouer le monde politique mais montre aussi que quelque chose a changé dans les réactions aux violences sexistes et sexuelles à l’égard des femmes politiques, estime l’activiste : "Tout le monde commence à prendre conscience de ses droits et de la possibilité de se défendre et ça c’est peut-être nouveau."

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C’est aussi la société dans son ensemble qui ne veut plus de ce climat d’impunité, note Mathilde Viot, pour qui les accusations contre Gérald Darmanin, contre Damien Abad, ou encore contre Adrien Quatennens ont élevé le degré d’exigence : "La population demande que ce soit des faits qui n’existent plus et ça c’est nouveau et c’est très fort. Les politiques pour l’instant n’ont pas intérêt à changer les choses, les hommes ont le pouvoir, ils veulent le garder. Les partis ont tort d’ignorer cette lame de fond."

Un besoin urgent de données sur les violences en politique

Selon une étude de Jasmina Mršo réalisée pour le European Liberal Forum en 2021 et menée dans 25 pays européens auprès d’activistes politiques, 68,8% des répondantes disent avoir déjà expérimenté des violences sexistes et 74% ont vécu des violences en raison de leur engagement politique : arrivent en tête les violences émotionnelles (79,2%), les violences en ligne (71,4%) et les violences psychologiques (64,9%).

Des violences sexuelles ont également été subies par un tiers des répondantes. Plus de la moitié d’entre elles estiment que les violences contre les femmes en politique sont perçues comme acceptables et 83% jugent que les institutions ne mettent pas de protection en œuvre. D'où viennent ces violences ? Des internautes en majorité, selon les victimes, des adversaires politiques, des électeurs, mais aussi des membres de leur propre parti.

On manque de données agrégées pour parler autrement qu'à travers des témoignages individuels.

La réponse doit être globale, estiment aujourd’hui élues et militantes réunies ce vendredi 24 novembre 2023 à l’hôtel communal de Schaerbeek pour le lancement d’un mouvement #MeToo politique européen. C’est l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles et l'EuroCentralAsian Lesbian* Community qui sont à l’origine de l’initiative. "Il faut combler un manque cruel de datas et ainsi démontrer que ces violences en politique ne sont pas des actes isolés mais des faits systématiques", a rappelé à la tribune la militante lesbienne et élue parisienne Alice Coffin.

L’objectif prioritaire de ce mouvement féministe européen sera donc de récolter des chiffres, de construire des outils, de concevoir des classements pour faire pression sur les partis et les institutions. "On manque de données agrégées pour parler de violences sexuelles en politique autrement qu'à travers des témoignages individuels", confirme Maud Royer, présidente de l’association Toutes des femmes et ancienne responsable des outils numériques au sein de la France Insoumise. "Le journalisme d'investigation là-dessus est central. Les témoignages ont un impact énorme puisque quand on gagne, c'est bien, mais quand on perd, et que les agresseurs restent en place, ça décourage les autres de parler. Il faut des outils qui tiennent au long terme, au-delà des simples rebondissements médiatiques des affaires qui se déroulent les unes après les autres."

Un continuum de violences sexistes qui touchent les plus vulnérables

Pour Assia Hifi, co-fondatrice de l’Observatoire du racisme en politique et militante féministe antiraciste pour une écologie populaire et décoloniale, il est indispensable de penser ce combat dans un ensemble : "Tout est imbriqué, la lutte anticapitaliste, la lutte contre les violences sexistes, la lutte antiraciste. Si on veut abolir ce système d'oppressions, on est obligé d'avoir une vision transversale."

Elle dresse le constat que les femmes racisées subissent des violences bien spécifiques en politique, notamment de l’exotisation et de la fétichisation, une délégitimation de leur parole, mais sont aussi touchées encore plus durement par le harcèlement, notamment des menaces de mort, de viol. "Ça a un impact concret. Les femmes racisées restent moins longtemps dans les sphères politiques parce que deux violences s'abattent sur elles, les violences sexistes et les violences racistes, et cette imbrication des deux les découragent. Cela montre que c’est un enjeu démocratique de lutter contre ça, pour qu'elles restent et aussi pour qu'elles osent venir."

Ça permet de créer de l'entraide, de la sororité, ça donne du souffle, de l'espoir.

Un propos que soutient Priscilla Zamord, vice-présidente Solidarités, égalité et politique de la ville de Rennes Métropole et membre du syndicat de parents Front de mères. "Je n'ai pas choisi le lundi d'être une femme, le mardi d'être queer, le mercredi d'être métis perçue comme noire ! Les discriminations se cumulent, c'est très insidieux. C'est par exemple reformuler ce que je peux dire en réunion, disqualifier ma parole. J'ai eu ma fille au tout début de mon mandat et une des expériences compliquées a été l'articulation entre vie d’élue et vie de mère. Même au sein d'une majorité de gauche, c'était toujours un combat de faire comprendre qu'on ne cale pas des réunions stratégiques le mercredi soir parce que c'est toujours encore les femmes qui sont chargées de la question parentale. Ce sont des petits détails mais qui ont leur sens en termes de charge mentale."

Faire front contre la montée de l’extrême-droite en Europe

La dimension européenne d'un mouvement de libération de la parole et de lutte contres les violences sexistes et sexuelles en politique apparaît comme une évidence pour toutes les militantes présentes à Bruxelles le 24 novembre dernier, notamment pour rompre l’isolement de celles qui vivent partout ces violences et transmettre du soutien et de la solidarité.

Mais c’est aussi un climat de montée de l’extrême-droite dans toute l’Europe que toutes veulent combattre : "L'extrême-droite n'est pas l'amie des militantes contre les violences sexistes et sexuelles", rappelle Assia Hifi. "Il y a besoin d'un rempart face à la vague qui se joue à l'échelon européen, d'un front d'activistes pour mener la bataille culturelle partout."

Une observation partagée par Priscilla Zamord : "On a besoin de faire de l'alliance et de la coopération. Ça permet de créer de l'entraide, de la sororité, ça donne du souffle, de l'espoir."