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Un citoyen ouzbek expulsé de France malgré les risques de torture

Il y a quelques jours, un citoyen ouzbek a été renvoyé dans son pays d’origine depuis la France. Or, son expulsion va à l’encontre du droit international : la décision de justice n’a pas pris en compte qu’il était sous la protection de la Cour européenne des droits de l’Homme. Il risque la torture en Ouzbékistan.

Rédigé par :

La rédaction 

Arrestation
Un citoyen ouzbek a été renvoyé dans son pays d'origine depuis la France (illustration). Photo : Pexels.

Il y a quelques jours, un citoyen ouzbek a été renvoyé dans son pays d’origine depuis la France. Or, son expulsion va à l’encontre du droit international : la décision de justice n’a pas pris en compte qu’il était sous la protection de la Cour européenne des droits de l’Homme. Il risque la torture en Ouzbékistan.

Des associations de protection des droits humains rapportent que le 14 novembre dernier, M. A., citoyen ouzbek de 39 ans, a été expulsé depuis le centre de rétention de Vincennes. Ses proches affirment l’avoir aperçu sans pouvoir lui parler à Kokand, dont il est originaire, avant qu’il ne soit transféré à Ferghana où il attend son audience.

L’association droits de l’Homme en Asie centrale (ADHAC) et l’association Habitat-Cité, qui s’occupent de son dossier en France, ont signalé une violation du droit international. En effet, le Comité pour la torture des Nations unies a documenté des faits de torture à son égard et confirmé qu’il encourait toujours ce risque en cas de retour dans son pays. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait interdit son renvoi.

Cependant, la préfecture de Paris a fixé la date de son expulsion au 18 novembre. Malgré un recours de son avocate à la CEDH, il a été reconduit à Tachkent via Istanbul quatre jours avant la date annoncée. « Les disponibilités de vol ont permis de rapprocher la date du départ de M. A., dans le respect des dispositions prescrivant de ne maintenir en rétention un étranger en situation irrégulière que pour le temps strictement nécessaire à son départ », a expliqué la préfecture à Novastan.

Des accusations d’extrémisme

M. A. a été arrêté en 2015 en Ouzbékistan. Parce qu’il portait la barbe et avait fréquenté des mosquées lors de sa migration de travail en Russie, il a été accusé d’appartenir au parti Hizb ut-Tahrir et au Mouvement islamique d’Ouzbékistan. Selon les associations qui le défendent, « il s’agit d’un dossier fabriqué ». Torturé lors de sa détention, il décide de porter plainte. Son avocat lui conseille alors de fuir le pays car de tels cas, courants sous le premier président Islam Karimov, sont indéfendables.

Dans certains pays d’Asie centrale, surtout en Ouzbékistan et au Tadjikistan, les accusations d’extrémisme sont souvent fallacieuses et utilisées pour emprisonner arbitrairement, notamment les religieux et les opposants politiques. Par ailleurs, les pays européens prennent ces charges au sérieux. Les accusés rencontrent d’immenses difficultés à obtenir le statut de réfugié à l’étranger et à prouver qu’ils ne sont pas extrémistes mais persécutés en raison de leurs pratiques religieuses.

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M.A. part alors en Russie puis en Estonie. Son dossier, transmis par les autorités ouzbèkes, inquiète en Europe. Sur la base de photos trouvées dans son téléphone et d’un dossier classifié auquel son avocat n’a pas pu avoir accès, le tribunal estonien estime qu’il représente « un danger pour la sécurité nationale » et lui refuse le statut de réfugié. Cependant, il n’est pas expulsé aussitôt car il est reconnu qu’il risque la torture et la prison à vie en Ouzbékistan pour des accusations qui ne sont pas punissables en Estonie.

Le statut de réfugié refusé à plusieurs reprises

M. A. cherche alors à recevoir le statut de réfugié en Allemagne puis finalement en France, où il arrive en 2019. Il lui est refusé en quelques jours. Son renvoi étant toujours impossible, il passe de centres de rétention en assignations à résidence et squats pendant plus de deux ans et demi. Lors d’un incendie à Montereau, en Seine-et-Marne, il sauve la vie d’une personne âgée avec trois autres hommes et une pétition est lancée pour les régulariser, sans succès.

La décision du refus d’asile mentionne qu’il est « ancré dans la mouvance pro-djihadiste » et a eu des « velléités de départ pour la Syrie ». De plus, les tribunaux français ne voient pas ce qui aurait justifié un acharnement juridique en Ouzbékistan et ne croient pas au caractère fallacieux des accusations. L’association Habitat-Cité nie quant à elle tout comportement extrémiste de la part de M. A., avançant qu’il n’a été ni condamné ni poursuivi pour de telles accusations en France.

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« Privé d’allocations et sans ressources, il a décidé d’aller travailler au noir à Paris. Là-bas, il a eu un contrôle au faciès et est passé au tribunal pour avoir violé son interdiction de quitter Melun. Il devait être emprisonné mais a obtenu un sursis et s’est retrouvé au centre de rétention de Vincennes », explique l’association Habitat-Cité à Novastan.

« Il a été étranglé sans raison par un policier dans le centre. Il s’apprêtait à porter plainte mais a été expulsé le lendemain. Nous essayons d’obtenir les images de vidéosurveillance, autrement l’affaire va être enterrée », ajoute-t-elle. La préfecture de police a rapporté à Novastan n’avoir pas connaissance de ces faits, ni enregistré une telle plainte.

« Le tribunal a violé la Convention contre la torture »

Nadejda Atayeva, présidente de l’ADHAC, fait remarquer à Novastan qu’aucun cas similaire n’a été signalé en France jusqu’ici. « Le pays a déjà expulsé des délinquants ouzbeks ou refusé le statut de réfugié à des Ouzbeks, mais pas expulsé quelqu’un qui se trouvait sous la protection de la CEDH. Le tribunal qui a pris cette décision a violé la Convention contre la torture », explique-t-elle. La préfecture quant à elle écrit que « le recours devant la CEDH n’a pas de caractère suspensif » et que la décision prise en France doit s’appliquer.

L’article 3 de la Convention contre la torture, ratifiée par la France, dispose que « aucun Etat partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. »

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Dans d’autres pays d’Europe, des cas similaires ont déjà été rapportés par l’ADHAC. Des citoyens ouzbeks ont été renvoyés notamment de Norvège et de Grande-Bretagne. Ils sont visés par des accusations de terrorisme ou d’homosexualité, encore pénalisée en Ouzbékistan. Sur place, ils sont souvent torturés et condamnés à plusieurs années de prison.

La torture encore courante dans les prisons ouzbèkes

Le lendemain de l’expulsion de M. A., son avocate a fait appel de la décision. Selon Habitat-Cité, le tribunal a ignoré la CEDH car il estime que depuis le changement de pouvoir en Ouzbékistan en 2016, la situation s’est améliorée et que la torture n’est plus pratique courante.

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Or, la torture dans les prisons ouzbèkes n’a pas cessé avec l’élection de Chavkat Mirzioïev. Lors de la 41ème session du Conseil des droits de l’Homme à Genève le 8 novembre dernier, les Nations unies ont exhorté l’Ouzbékistan à prendre des mesures contre les tortures et mauvais traitements infligés dans les centres de détention. Aujourd’hui encore, les tortionnaires restent impunis.

Nane Bouvier
Rédactrice pour Novastan

Relu par Tiphaine Tellier

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