«Glass Cliff», définition
Des femmes au sommet? Oui, mais seulement en cas de crise

Bien souvent, les entreprises font appel aux femmes pour briller dans les moments difficiles. Mais lorsqu'elles échouent, la responsabilité leur revient entièrement. Ce phénomène s'appelle le «Glass Cliff». Explications.
Publié: 05.12.2023 à 12:06 heures
Fin 2022, Weleda était en crise: Tina Müller a donc repris les rênes de l'entreprise de cosmétiques naturels. Un exemple type de «Glass Cliff». Réussira-t-elle à redresser la barre?
Photo: IMAGO/Oliver Langel
Fin 2022, Weleda était en crise: Tina Müller a donc repris les rênes de l'entreprise de cosmétiques naturels. Un exemple type de «Glass Cliff». Réussira-t-elle à redresser la barre?
Photo: IMAGO/Oliver Langel
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Lena Madonna

Le 11 novembre 2003, le quotidien britannique «The Times» écrivait un article intitulé «Femmes à bord: aide ou obstacle». Le journal a passé au crible 100 entreprises, observant que l'embauche d'une femme à un poste de CEO était suivie de cinq mois de mauvaises performances. Conclusion à l'époque: les femmes sont moins aptes que les hommes à diriger des entreprises.

Ce verdict a laissé les deux chercheurs anglais Alex Haslam et Michelle Ryan perplexes. Ils ont examiné de plus près les cent entreprises mentionnées dans l'article. Au cœur de leur recherche: les performances des femmes en question au cours des mois qui ont précédé leur entrée en fonction en tant que CEO.

Résultat de l'enquête: «Ce n'est pas que les femmes étaient la cause d'une baisse de rentabilité de l'entreprise. C'est plutôt que les entreprises qui présentaient un schéma cohérent de mauvaises performances étaient davantage susceptibles de nommer des femmes à des postes de direction», précise Michelle Ryan dans un podcast.

Un phénomène très répandu

Les deux chercheurs ont publié leur étude deux ans après l'article du «Times». Ils ont alors nommé le phénomène observé «Glass Cliff», la falaise de verre en français. Ce principe indique que les femmes sont de plus en plus souvent placées à la tête d'entreprises en difficulté. Dans ces conditions, il est donc difficile de redresser l'entreprise, le risque d'échec est lattant, tout comme le risque de chute professionnelle. 

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«En temps de crise, on essaie quelque chose de nouveau. Par exemple: une femme à la tête de l'entreprise.»
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Dans la littérature, un exemple de «Glass Cliff» est bien connu: celui de Theresa May. La Première ministre du Royaume-Uni de 2016 à 2019 a hérité de la tâche, presque impossible dès le départ, de négocier le Brexit. Elle a échoué et a dû démissionner par la suite.

Mais il n'y a pas qu'à l'étranger que l'on trouve des cas de «Glass Cliff». En Suisse, l'exemple typique est celui de l'ancienne directrice financière de Swissair, Jacqualyn Fouse. Elle n'a pas occupé ce poste longtemps, mais s'est pourtant retrouvée au cœur des événements lors du grounding de la compagnie nationale.

Choisir une femme, ou prendre un risque

Mais pourquoi les femmes sont-elles choisies comme guide en temps de crise? Petra Schmid, professeur de psychologie à l'EPFZ, répond: «En temps de crise, on prend souvent plus de risques. On essaie quelque chose de nouveau, par exemple une femme à la tête de l'entreprise.» Cela peut aussi être en partie une manœuvre stratégique. La direction souhaite montrer aux parties prenantes que des solutions sont trouvées pour affronter la crise. 

De plus, «il existe des recherches qui montrent que l'association entre la masculinité et un leadership efficace est moins forte en temps de crise», poursuit Petra Schmid. C'est pourquoi il est possible, selon lui, que des caractéristiques féminines stéréotypées soient considérées comme importantes lors d'une gestion de crise. Selon le professeur, il s'agit notamment de traits de caractère tels que la chaleur humaine, la compréhension et un certain sens de l'altruisme.

À première vue, cela peut sembler positif. Les entreprises choisissent des femmes pour des postes importants parce qu'elles estiment que leurs compétences sont la solution. Le hic: bien souvent, les femmes ne reçoivent pas les mêmes outils, ni le même temps à disposition que les hommes. Deux éléments clé pour un changement de cap en entreprise. 

«Les femmes occupant des postes élevés indiquent qu'il leur est plus difficile d'être bien intégrées dans les réseaux et les systèmes de soutien, explique Petra Schmid. Elles ont également moins d'autorité dans leurs positions que les hommes.» Ce désavantage, évident étant donné le manque de moyens, augmente la probabilité de tomber de la fameuse falaise de verre.

L'«effet sauveur»

Si la chute a lieu et qu'une femme CEO doit quitter son poste, la responsabilité de la mauvaise performance lui est attribuée. Les facteurs externes qui ont peut-être contribué à l'échec de l'organisation de l'entreprise sont ignorés. Et dès qu'elle a échoué, un homme la remplace: «Les femmes occupant ce type de postes sont souvent remplacées par des hommes pour signaler que tout est désormais redevenu 'normal'», souligne Petra Schmid. 

Ce phénomène porte également un nom: le «Saviour Effect». Si un homme accepte de reprendre un poste où une femme a échoué, il «sauve» d'une certaine manière l'entreprise aux yeux de la société.

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«Si une femme empathique échoue dans une crise, elle est remplacée par un homme compétitif.»
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Selon le spécialiste, un tel processus a malheureusement tendance à valider de vieux stéréotypes de genre. Par exemple, le fait que les hommes soient de meilleurs leaders. «Les qualités que nous associons aux hommes sont les mêmes que celles que nous associons à un bon leadership.» Les stéréotypes attribuent aux hommes des qualités comme l'assurance et la compétitivité. Ainsi, si une femme empathique échoue dans une crise, elle est remplacée par un homme compétitif. 

Comment lutter?

Mais alors comment lutter contre ce phénomène? La réponse à cette question est complexe. «Les stéréotypes opèrent souvent aussi de manière inconsciente, poursuit Petra Schmid. On peut certes être d'avis que les femmes ont tout autant leur place dans des positions de leadership, mais les associations inconscientes peuvent malgré tout influencer les décisions.»

Selon lui, ces «associations inconscientes» sont induites par la société et ont une grande influence sur le comportement. Selon Petra Schmid, on peut soi-même essayer de prendre conscience de ses propres stéréotypes inconscients et de réguler son comportement afin qu'ils ne s'expriment pas. Mais en réalité, ce n'est pas seulement la tâche de l'individu.

«Pour que les stéréotypes cessent, il faut un changement de mentalité dans la société. Les établissements d'enseignement, les gouvernements et les médias doivent également y contribuer», appuie l'expert. «Il faudrait aussi qu'il y ait plus de femmes qui réussissent dans des positions de leader», estime-t-il. Observer des femmes dans des rôles de leader rendrait l'association entre le genre féminin et le pouvoir plus naturelle. 

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