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ENTRETIEN

Comment le pouvoir iranien recourt aux viols et violences sexuelles pour briser la contestation

Dans un rapport publié ce mercredi 6 décembre, Amnesty International (AI) documente les viols et violences sexuelles perpétrés en Iran pour faire taire le mouvement « Femme, vie, liberté ». Parmi des milliers de personnes arrêtées lors des manifestations, l’ONG a recueilli une quarantaine de témoignages décrivant l'usage de ces méthodes par les forces de sécurité, tandis que la justice ferme les yeux. Domitille Nicolet, chargée de plaidoyer sur les violences policières à AI, décrit à RFI la mécanique du gouvernement iranien pour « punir, réprimer et humilier » la population.

Des femmes iraniennes manifestantes s'enfuient face à la police dans le centre de Téhéran, lundi 19 septembre 2022.
Des femmes iraniennes manifestantes s'enfuient face à la police dans le centre de Téhéran, lundi 19 septembre 2022. AP
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RFI : Les témoignages de répression excessive en Iran sont documentés depuis des années. Découvrir ces témoignages faisant état de recours au viol et aux violences sexuelles est-il surprenant, ou pouvait-on s’y attendre ?

Domitille Nicolet : Ce que l'on fait ressortir, la volonté de documentation et de ce rapport, est de parler évidemment d'une arme, d'un arsenal répressif de la part du régime iranien. La nouveauté, elle, ne se pose pas. On documente, à cet instant T, la manière dont le gouvernement a répondu à ce soulèvement extrêmement pressant. Ces 45 personnes – 26 hommes, 12 femmes et 7 mineurs – témoignent de violences sexuelles infligées sur leur personne. L'intérêt de ce rapport, c'est de poser la question de cette arme systématique et massive que sont les violences sexuelles commises contre les manifestantes et les manifestants.

Comment Amnesty International a mené cette enquête ? A-t-il été compliqué de recueillir ces témoignages ?

Quarante-cinq personnes ont eu l'envie de nous faire confiance et de porter leurs voix. C'est une longue démarche de recherche effectuée par notre équipe iranienne de chercheurs. La prise de témoignages s'est faite à distance, en persan (farsi), la langue utilisée en Iran majoritairement. Parmi ces 45 personnes, trois ont décidé de témoigner par écrit. La sensibilité, la difficulté des témoignages et la dureté de ce qu'ils décrivent font ce rapport. C'est un rapport quand même de plus de 120 pages, fait essentiellement de témoignages, de prises de parole. Cela a été un exercice très, très douloureux, mais crucial pour notre équipe iranienne.

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De nombreux hommes et garçons font partie des victimes recensées. Dans une société iranienne marquée par les violences sexistes, est-ce une surprise d'apprendre que même les hommes sont pris pour cible dans cette répression ?

 

« Surprise », je n'emploierais pas ce terme, dans le sens où le gouvernement iranien a affiché une volonté de punir, de réprimer et d'humilier toute la population iranienne dans son ensemble, toutes les personnes qui ont eu le courage d'aller porter une voix différente contre les mesures prises par le gouvernement, notamment contre les femmes. Dans ces personnes, il y a des hommes qui soutiennent évidemment la voix des femmes. Et les autorités, dans leur stratégie d'arrestations pour limiter ce mouvement, ont ciblé et pris aussi des hommes dans les violences qu'elles ont fait subir et qu'on décrit dans le rapport.

Vous parlez d'« arme systématique et massive ». On est ainsi dans le cadre d’une stratégie d'humiliation ?

Tout à fait. C'est ce que l'on dénonce et documente avec les 45 personnes qui ont eu le courage de nous faire confiance pour qu'on porte leur voix et ce qui leur est arrivé. Ces 45 personnes ne sont qu'une partie, évidemment. Ils et elles ne représentent pas la totalité des personnes qui ont subi des violences sexuelles et sexistes. Pour la majorité, elles témoignent avoir aussi entendu ou été témoins d'autres victimes de ces mêmes violences en détention. Il y a vraiment une arme utilisée par ce gouvernement pour réprimer, humilier, punir les personnes qui ont eu le courage de manifester depuis le décès de Mahsa Amini.

Le rapport d'Amnesty fait état de l'indifférence, voire du mépris de la justice iranienne vis-à-vis des victimes, quand cette justice n'est pas carrément complice. Que peut-on espérer avec les révélations de ce rapport ? Des réactions à l'international peut-être ?

On documente et dénonce le mépris, voire la complicité des autorités judiciaires. On cite des exemples très précis. Je n'en prendrai qu'un : des personnes, qui ont voulu porter plainte après avoir été victimes de torture et de violences sexuelles, ont été découragées de le faire. Sur trois personnes qui ont eu le courage d'aller porter plainte parmi les 45 interrogées, deux ont été intimidées et forcées à retirer leur plainte. Et la troisième est encore en cours. Il y a eu aussi un mépris, lorsque les personnes auditionnées devant le procureur avaient le courage de dire « regardez les marques que j'ai sur le corps, regardez l'état dans lequel je me présente à vous, j'ai des révélations à faire, j'ai été victime de violence ». Il y a eu, de la part des procureurs, une envie de ne pas prendre ces paroles en compte. Personne n'a été poursuivi, à notre connaissance.

Ce que peuvent faire les États et la communauté internationale, ce qu'on leur demande au minimum, c'est de reprendre publiquement l'état de ce rapport, les recommandations que l'on fait au niveau du gouvernement iranien, et de dénoncer à leur tour les traitements des forces de l'ordre et des autorités iraniennes de manière générale, ce qui implique le pouvoir judiciaire. Ils peuvent demander au minimum une extension du mandat de la mission de l'ONU, qui a été votée en novembre 2022 et qui comprend trois membres chargés de documenter et rechercher les faits qui ont eu lieu depuis septembre 2022. Ils peuvent renouveler ce mandat afin que, de nouveau, on puisse récolter des preuves, des témoignages, afin que la vérité soit. On demande aux États notamment de vraiment plaider et demander le renouvellement de cette mission d'information.

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