"Le véritable récipiendaire du Nobel, c'est l'ensemble du peuple iranien", pour le mari de Narges Mohammadi

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"Le véritable récipiendaire du Nobel, c'est l'ensemble du peuple iranien", pour le mari de Narges Mohammadi

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Ali, Taghi et Kiana Rahmani, les enfants et le mari de Nargès Mohammadi, prix Nobel de la Paix 2023, à Oslo le 9 décembre
Ali, Taghi et Kiana Rahmani, les enfants et le mari de Nargès Mohammadi, prix Nobel de la Paix 2023, à Oslo le 9 décembre
© AFP - Frederik Ringnes / NTB

Elle est le prix Nobel de la Paix 2023, mais ce sont ses enfants qui monteront sur scène ce dimanche pour recevoir le prestigieux prix à Oslo. Et pour cause : la journaliste Narges Mohammadi est toujours enfermée dans sa cellule de la prison d'Evin, à Téhéran. Elle va y entamer une grève de la faim.

Elle a été incarcérée en 2021, et ce n'était pas la première fois : la journaliste et militante Narges Mohammadi a été maintes fois arrêtée et condamnée ces dernières décennies, tout comme son mari Taghi Rahmani. Devenue l'un des principaux visages du mouvement "Femme, Vie, Liberté" en Iran, initié après la mort de la jeune Mahsa Amini, Narges Mohammadi a été nommée Prix Nobel de la Paix. Un prix qui sera remis symboliquement ce dimanche à ses enfants, invités à Oslo avec leur père Taghi Rahmani. Ce dernier a répondu aux questions de France Inter.

FRANCE INTER : Comment va Narges Mohammadi, après 20 mois de détention ?

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TAGHI RAHMANI : "Son état s'est amélioré, mais il y a une nécessité de poursuivre ses soins, car elle a des difficultés d'ordre cardiaque et pulmonaire. Même si son état s'est stabilisé, le suivi médical doit être constant et permanent, ce qui n'est pas toujours possible en détention : elle a à plusieurs reprises été privée de soins en mesure de rétorsion par rapport à la poursuite de ses combats depuis sa cellule.

Il y a aujourd'hui deux prisonnières politiques, qui sont les codétenues de Narges Mohammadi, qui sont issues des Bahaïs, une minorité religieuse persécutée en Iran. En solidarité avec leur propre grève de la faim, elle a annoncé que ce dimanche, jour symbolique de remise de son prix Nobel, elle se mettrait aussi en grève de la faim."

Avez-vous pu continuer à échanger avec elle depuis son arrestation ?

"Ça fait 20 mois, date à laquelle elle a été incarcérée, que je n'ai pas eu de contact direct au téléphone avec elle. Dans les prisons iraniennes, les prisonnières politiques les plus sécurisées se voient appliquer un régime de criminel d'État et de terrorisme : les conditions de détention pour elles sont plus sécurisées que les autres. Elle a un régime de défaveur : elle ne peut avoir que deux numéros de téléphone enregistrés, et celui de ses proches en Iran uniquement. Il lui est interdit de communiquer directement avec moi, qui suis aussi ancien prisonnier politique.

Le contact direct entre nous deux est impossible, mais dans toutes les prisons du monde, il y a des moyens d'échapper à la vigilance de ses geôliers. Et c'est même une fierté pour les militants dissidents de parvenir à mettre en place des stratégies de contournement de l'administration pénitentiaire, l'expression même du pouvoir des autorités. Mais le militant paye le prix de ces stratégies : pour avoir réussi à faire sortir une lettre clandestinement, elle a pris de nouveau un an de détention. Ça fait partie du prix à payer pour que ses idées se propagent en-dehors de la prison."

Que représente ce prix pour elle et pour le mouvement qu'elle représente en Iran ? C'est un symbole fort ?

"Évidemment que ce prix a une portée symbolique, mais pas uniquement : il permet des perspectives d'action concrètes. Par exemple, Narges Mohammadi se saisit de tout ce qu'il y a autour d'elle pour en faire un enjeu de revendication : quand elle a fait une grève de la faim pour obtenir des soins, elle a exigé que son transfert soit subordonné à la condition qu'elle ne porte pas le voile obligatoire. Et finalement, le régime a dû céder face à sa détermination. Le combat qui attend les Iraniens, c'est précisément celui-là : d'avancer et de progresser dans ces revendications pas à pas. Le Nobel de la Paix permet de mettre en lumière ces luttes, cela permet une tribune d'expression politique.

Le combat de Narges Mohammadi n'est pas un combat personnel : c'est un combat qui engage l'ensemble des prisonniers politiques. C'est aussi et surtout pour eux qu'elle se bat, plus largement pour que l'ensemble des Iraniens puissent obtenir une société démocratique, dans laquelle les libertés publiques et individuelles sont assurées, dans laquelle l'égalité entre les genres est assurée. Nous sommes tous, à notre niveau, porteurs de ce message : ce prix lui donne une responsabilité mais cette responsabilité est collective. En réalité, le véritable récipiendaire du prix, c'est l'ensemble du peuple iranien."

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