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Proche-Orient

En mer Rouge, des missiles français abattent deux drones venus du Yémen

Gaza, l'engrenagedossier
La frégate multimissions «Languedoc» a abattu deux drones samedi soir. Quelques heures avant, les rebelles houthis avaient menacé d’attaquer tout navire se dirigeant vers Israël.
par Laurence Defranoux
publié le 10 décembre 2023 à 11h03
(mis à jour le 11 décembre 2023 à 9h45)

C’est la première fois depuis trente-six ans que l’armée française abat un aéronef étranger – en 1987, au Tchad, un missile Hawk avait été lancé sur un bombardier libyen qui menaçait N’Djamena. C’est aussi la première fois qu’un bâtiment militaire français est pris à partie par les Houthis depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas le 7 octobre. «Le 9 décembre, la frégate multimissions Languedoc de la marine nationale a abattu deux drones qui se dirigeaient droit sur elle, en provenance des côtes du Yémen. L’interception et la destruction de ces deux menaces caractérisées ont eu lieu vers 21h30 puis vers 23h30 (heures françaises) à 110 km des côtes du Yémen, à hauteur d’Al-Hodeïda», a expliqué un communiqué de l’état-major français une heure après la deuxième attaque. Aucune autre précision n’a été donnée par l’armée française sur l’opération, mais d’après des informations obtenues par Libération, la trajectoire des drones a contraint l’équipage à les intercepter avec des missiles antiaériens Aster 15 – le canon de 76 mm ayant une trop courte portée pour assurer la sécurité du bâtiment et de la centaine de ses marins. Soit des missiles d’une valeur estimée à 2 millions d’euros chacun pour abattre des aéronefs télépilotés de quelques dizaines de milliers d’euros seulement.

Soutenus par l’Iran, les rebelles houthis, qui contrôlent le nord du Yémen, participent depuis quelques semaines à une extension inquiétante du conflit Hamas-Israël au domaine maritime. Dans la journée de samedi 9 décembre, ils avaient menacé d’attaquer tous les navires navigant en mer Rouge à destination de ports israéliens, quelle que soit leur nationalité, si la bande de Gaza, bombardée par l’armée israélienne, ne recevait pas davantage d’aide humanitaire. La veille, les Etats-Unis avaient bloqué une résolution du Conseil de sécurité qui alertait sur la «situation catastrophique» dans le territoire palestinien, et appelait à un «cessez-le-feu humanitaire immédiat».

Depuis le 31 octobre, ces rebelles d’obédience zaydite – une branche minoritaire de l’islam chiite – ont déclaré ouvertement la guerre à l’Etat hébreu. Ils se revendiquent comme faisant partie de «l’axe de la résistance» au côté du Hamas et du Hezbollah libanais et ont pour slogan «Dieu est grand ! Mort à l’Amérique ! Mort à Israël ! Que la malédiction s’abatte sur les Juifs ! L’islam vaincra !» Basés à environ 2 000 km au sud-est d’Israël, ils lancent des drones et de missiles sur la station balnéaire d’Eilat, jusqu’ici tous interceptés.

Désorganiser le commerce mondial

Mais c’est surtout en mer Rouge, axe maritime aussi étroit que stratégique qui relie l’océan Indien à la Méditerranée, que leur capacité de nuisance est la plus grande. Le 19 novembre, un commando houthi héliporté a pris le contrôle du cargo Galaxy-Leader, propriété d’un groupe lié à un homme d’affaires israélien, et les rebelles y tournent depuis des vidéos de propagande. Quelques jours plus tard, des hommes armés se sont emparés du chimiquier Central Park, appartenant à une société basée au Royaume-Uni liée à Israël. Le destroyer américain USS Mason, intervenu pour libérer l’équipage, a ensuite été la cible de missiles balistiques tirés depuis les zones contrôlées par les Houthis. La semaine dernière, ces derniers ont revendiqué l’attaque de deux autres navires accusés d’appartenir à des intérêts israéliens, tandis que la marine américaine annonçait avoir intercepté de nouvelles salves de drones. Or, un quart du trafic maritime mondial de conteneurs transite par la mer Rouge. La multiplication des attaques contre des navires marchands ou militaires pourrait pousser les armateurs à modifier leurs routes et désorganiser le commerce mondial.

La tension monte donc chaque semaine dans les mers du Moyen-Orient, où les marines du globe concentrent des moyens importants depuis le début de la guerre, tentant de dissuader une extension du conflit à toute la région. Depuis la mi-novembre, le Languedoc, bâtiment de combat disposant de capacités anti-sous-marines, anti-navires et anti-aériennes, avait intégré l’escorte du porte-avions américain Dwight-D. Eisenhower pour une mission de sécurité maritime, un signal politique fort de la part de l’Etat français. Ce dimanche 10 novembre, le Hamas, qui «appelle les pays arabes et musulmans à user de toutes leurs capacités […] pour lever le siège de Gaza», a salué la décision «courageuse et audacieuse» des rebelles yéménites. Bien que Washington exhorte Israël à ne pas répondre aux attaques houthies, le chef du Conseil national de sécurité, Tzachi Hanegbi, a dénoncé un «siège naval» et prévenu : «Si le monde ne s’occupe pas de ça, parce qu’il s’agit d’un problème d’ordre international, nous agirons pour y mettre un terme.»

Mis à jour lundi à 9h45 heures avec du contexte et des détails supplémentaires.

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