Dans l’Italie de Meloni, la peur croissante des parents de même sexe

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«Une pure folie»Dans l’Italie de Meloni, la peur croissante des parents de même sexe

Christine et Chiara se sont résolues à quitter l’Italie. Cette dernière, mère non biologique d’un garçon de trois ans et d’un fils à naître, craint de voir ses droits contestés.

Chiara (à gauche), une Italienne de 46 ans et sa partenaire enceinte Christine, 42 ans, dans leur appartement à Rome, le 1er décembre 2023. Le couple a décidé de fuir vers l’Espagne.

Chiara (à gauche), une Italienne de 46 ans et sa partenaire enceinte Christine, 42 ans, dans leur appartement à Rome, le 1er décembre 2023. Le couple a décidé de fuir vers l’Espagne.

AFP

Par peur de perdre ses droits parentaux, Chiara a choisi de quitter l’Italie et le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni, hostile aux parents de même sexe. «C’est un cauchemar», confie à l’AFP cette femme de 46 ans, mère d’un garçon de trois ans. Avec sa compagne Christine, elles voient pour «seule issue» de quitter leurs amis, leur famille et leur travail à Rome pour l’Espagne.

L’Italie a légalisé les unions civiles en 2016 mais la loi sur les droits parentaux pour les couples de même sexe entretient le flou. Encouragées par plusieurs décisions de justice, les municipalités ont enregistré ces dernières années les parents biologiques et non biologiques sur les actes de naissance. Mais en janvier, le ministre de l’Intérieur a interdit aux mairies de transcrire les actes des enfants nés à l’étranger par maternité de substitution, citant une récente décision de justice. Dans la foulée, des procureurs se sont mis à contester les actes de naissance des enfants nés de parents de même sexe.

Chiara est enregistrée comme la mère d’Arturo mais n’étant pas son parent biologique, son acte de naissance et ses droits pourraient être contestés à tout moment. Idem pour ses droits concernant son deuxième fils, qui doit naître début 2024. «L’idée que ce bébé serait proposé à l’adoption si Christine décédait, au lieu de m’être donné, est une pure folie», estime Chiara, qui préfère ne pas donner son nom de famille.

Espoirs en berne

Ces dernières années, la plus haute juridiction italienne a demandé au Parlement de clarifier les droits parentaux des couples homosexuels. Sans succès. Les couples de même sexe et les femmes célibataires n’ont pas accès à la gestation pour autrui (GPA) et aucune loi ne prévoit l’enregistrement des enfants conçus à l’étranger par des mères homosexuelles qui accouchent en Italie.

En 2016, le plus haut tribunal italien a appuyé la transcription d’un acte de naissance étranger mentionnant deux mères. Et des tribunaux locaux ont statué en 2018 que les femmes lesbiennes assumant la responsabilité parentale de l’enfant que porte leur partenaire devraient avoir les mêmes droits que les hommes hétérosexuels dont les partenaires utilisent le sperme d’un donneur. Les maires de Milan, Turin, Rome, Naples, Florence, Bologne et Bari ont appelé le Parlement à légiférer le plus rapidement possible.

Mais dans un pays majoritairement catholique, l’inaction des gouvernements successifs a douché les espoirs des militants. Un pessimisme renforcé par l’arrivée au pouvoir du gouvernement Meloni. La dirigeante du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, qui se revendique comme «mère chrétienne», dénonce «l’idéologie du genre» et le «lobby LGBT» et affirme que les enfants ne devraient être élevés que par des parents hétérosexuels.

«Comme une tante»

Cette année, des juges de Milan et de Bergame ont statué que les actes de naissance des enfants nés de parents de même sexe devaient être modifiés. Un procureur de Padoue (nord-est) a même ordonné à la ville de supprimer rétroactivement le nom des mères non biologiques des actes de naissance remontant à 2017.

Les juges délibèrent actuellement sur la modification des certificats de 37 enfants, dont le plus âgé a six ans. Parmi les personnes concernées figurent Alice Bruni et sa compagne irlandaise Brona Kelly, mamans d’un garçon de sept mois. Supprimer Kelly de son acte de naissance reviendrait à la considérer «comme une tante, une amie, alors que nous voulions notre fils ensemble», affirme Alice Bruni à l’AFP. «Elle était dans la salle d’accouchement avec moi, elle a coupé le cordon ombilical.» Cette femme de 40 ans regrette des conditions juridiques inéquitables, avec seulement 15 minutes au tribunal pour sa défense et des erreurs dans les documents officiels.

«Catégorie B»

Les parents de même sexe craignent aussi de perdre leurs droits parentaux en cas de décès de leur partenaire ou de rupture. L’avocat Michele Giarratano, qui représente 15 enfants dans le dossier de Padoue, note que les enfants privés d’un parent «perdent également toute la branche familiale de ce parent», ainsi que les droits de succession. Les juges de Padoue devraient se prononcer en janvier et pourraient renvoyer l’affaire devant la Cour constitutionnelle italienne, où une décision aurait des implications à l’échelle nationale.

D’ici là, le maire Sergio Giordani, qui enregistre les mères de même sexe depuis 2017, a fait savoir qu’il continuerait à le faire. «Comment peut-on dire que celui-ci est un enfant de catégorie A et celui-ci un enfant de catégorie B? Celui-ci a des droits, et celui-là non?» dit-il à l’AFP.

Certaines mères garantissent leurs droits en adoptant leur enfant mais le processus est long, coûteux et complexe.

(AFP)

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