Le mariage précoce, souvent précédé par des mutilations génitales, demeure omniprésent dans plusieurs régions du Kenya, malgré la volonté affichée des autorités d’en venir à bout. Plusieurs facteurs contribuent à l’impasse.

Pauvreté 

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Jane Jilloh

Dans bien des familles défavorisées vivant en milieu rural, l’aîné des garçons, considéré comme un pourvoyeur potentiel, est souvent le seul à pouvoir poursuivre des études au-delà du primaire. Le mariage précoce des filles est vu dans ce contexte par les parents comme une manière d’obtenir quelques biens, par exemple du bétail, tout en réduisant le nombre de bouches à nourrir, explique Jane Jilloh, qui chapeaute un organisme favorisant la réinsertion professionnelle de femmes dans le besoin par le recours à l’artisanat. « Les filles sont vues comme des produits à vendre », dit-elle.

Sécheresse dévastatrice

PHOTO FOURNIE JANE JILLOH

Un grand nombre d’animaux de la région de Marsabit sont morts après avoir été mal nourris en raison de famines successives.

Une sécheresse d’une intensité extrême a frappé pendant quatre années successives le nord du Kenya et décimé les aires de pâturages traditionnels, précipitant la mort de milliers d’animaux essentiels à la survie des communautés locales. La situation, attribuable selon plusieurs chercheurs au réchauffement climatique, a privé nombre de familles de leur gagne-pain et fait exploser le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire. Elle a renforcé du même coup l’intérêt pour les mariages précoces, vus comme une occasion d’obtenir quelques têtes de bétail. « J’avais 50 vaches avant et il ne m’en reste plus qu’une ou deux. La même histoire s’est répétée partout », relève Mme Jilloh pour illustrer l’intensité de la catastrophe.

Manque de ressources

PHOTO MARC THIBODEAU, LA PRESSE

Les autorités locales manquent de ressources pour se rendre dans les villages du comté, qui sont souvent isolés et accessibles uniquement par des routes de terre.

Bien que les lois interdisant les mariages précoces et les mutilations génitales ne laissent aucune place à l’interprétation, leur application laisse gravement à désirer, faute de ressources appropriées. Ambrose Duba, qui travaille pour les services de protection de la jeunesse du comté de Marsabit, note que lui et ses collègues ne disposent que d’un véhicule pour couvrir un territoire de près de 70 000 km2. « C’est frustrant. Parfois, des cas sont signalés, mais il est difficile d’agir », note-t-il. Le gouvernement ne dispose par ailleurs d’aucun refuge d’urgence pour les enfants. « On les confie normalement à des organisations charitables. Lorsque c’est possible, on les réunit avec leurs parents », note M. Duba.

Une police au bilan incertain

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Des policiers kényans, à Nairobi, le 31 octobre

Les services policiers ne sont guère mieux dotés pour répondre aux situations d’urgence. « Lorsqu’on les appelle, ils prennent du temps à réagir. Et il arrive fréquemment qu’ils n’aient pas d’essence pour les voitures », note Ambrose Duba. Pour faire bouger les choses, le gouvernement a ordonné la nomination dans chaque poste de police d’un agent chargé des droits des femmes, mais l’initiative donne des résultats incertains. Le poste est souvent confié à un agent relativement jeune qui n’a pas nécessairement l’écoute de ses supérieurs. Les efforts de sensibilisation du personnel sont souvent à recommencer, puisque les agents ne restent pas nécessairement longtemps en poste dans les régions éloignées.

Attachement traditionnel

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Une affiche dénonce la pratique des mutilations génitales au Kenya.

Dans plusieurs communautés ethniques, l’excision est vue comme une étape incontournable pour limiter la vie sexuelle des filles et assurer leur « pureté » avant le mariage. Ce sont ironiquement souvent les aînés qui exigent le maintien de ces pratiques, relève Mme Jilloh. « Ça prend du temps pour faire changer les choses. Les gardiens de la tradition sont des hommes, et les hommes ne veulent pas que les choses changent », dit-elle.